[Infoligue] Crowdfunding, quand le don déçoit
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 13 Juin 07:29:35 CEST 2016
Crowdfunding, quand le don déçoit
Publié par : M le magazine du Monde
Le : 10.06.2016
Par Guillemette Faure
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Loin du succès de ses débuts, le financement participatif s’essouffle.
En cause, la multiplication des sollicitations, qui entraîne la
démobilisation des contributeurs.
Cinquante euros pour remettre en état un jardin partagé ? Dix euros pour
le lancement d’un magazine ? Cent euros pour un projet de resto
solidaire ? En 2016, grâce au développement des plateformes de
crowdfunding, ou financement participatif, c’est tous les jours
kermesse, et vos amis ont l’air de vendre des billets de tombola.
Hélas pour eux, en 2016, demander à ses proches de mettre au pot pour
financer un projet ne suscite plus le même émerveillement qu’il y a cinq
ans. Les « Ah, comme c’est sympathique ! » ont cédé la place aux «
Encore ! » et aux « Est-ce qu’ils vont le prendre mal si je ne donne pas
? » Le financement participatif, outil génial, a fini par transformer
nos meilleurs amis en spammeurs professionnels.
Les opérateurs de plateforme de crowdfunding comme Ulule et
KissKissBankBank assurent qu’il ne faut pas tout mélanger : solliciter
ses proches pour un anniversaire sur une cagnotte en ligne de type
Leetchi ou financer l’ouverture d’une coopérative de quartier, ce n’est
pas pareil ! Sauf du point de vue de celui auquel on demande de mettre
la main au portefeuille.
2,3 millions de Français ont déjà participé
Pour comprendre ce qui est arrivé, il faut aller faire un tour à la Fête
du crowdfunding, orchestrée chaque année par l’association Financement
participatif France et par l’ESCP. Ce samedi 28 mai, un barbier
(fondateur de Big Moustache) s’est installé dans la cour de cette école
de commerce parisienne, en face des food trucks. Plusieurs ateliers ont
été organisés dans les étages. Parmi eux, « Réussir son crowdfunding »,
avec des représentants de différentes plateformes, des porteurs de
projets et une prêteuse.
« C’est de l’entrepreneuriat par procuration. » Renaud Guillerm,
créateur de Videdressing
« On est toujours mal à l’aise pour demander de l’argent à ses proches,
y explique Alexis Krycève, fondateur de Treez (un bracelet vendu égale
un arbre planté). Mais il ne faut pas avoir d’états d’âme. » Renaud
Guillerm, le créateur de Videdressing, l’a décomplexé en lui disant que
les amis pouvaient être contents de participer, surtout ceux qui ont une
vie de bureau bien rangée – « C’est de l’entrepreneuriat par
procuration. » On pensait que nos amis nous harcelaient avec leurs
appels à donner alors qu’ils nous offraient une deuxième vie.
Et le flot des sollicitations ne risque pas de tarir. « On n’a jamais eu
autant de projets en ligne… », assure Mathieu Maire du Poset, chez
Ulule. Chez KissKissBankBank, Vincent Ricordeau parle d’une croissance
à deux chiffres ces trois dernières années.
Invité vedette de la Fête du crowdfunding, l’ancien ministre du
redressement productif, Arnaud Montebourg, célèbre le triomphe du
financement participatif : « Un million de Français ont soutenu des
projets en crowdfunding en 2014, nous en sommes à 2,3 millions
maintenant. 18 000 projets ont été financés en 2015. »
La Fête du Crowdfunding, 1re édition en 2014 (3:30)
Dans l’auditorium, l’ancien ministre raconte l’histoire des jeans 1083
(1 083 kilomètres étant la distance de la diagonale la plus longue de
France). L’entreprise a lancé un appel aux dons, promettant d’offrir à
ceux qui participaient au financement un jean fabriqué à moins de 1 083
kilomètres de chez eux.
« J’en ai deux, j’ai de la chance, je m’y suis pris tôt », note l’ancien
ministre. « Les gens viennent chercher les belles histoires », répète à
l’envi Mathieu Maire du Poset, d’Ulule. C’est sans doute la raison pour
laquelle l’histoire des jeans 1083 – avec du local, des valeurs, et une
contrepartie intéressante – est racontée aussi souvent.
Des résultats très variables
Mais les projets ne sont pas toujours aussi percutants. « La longue
traîne, ça peut être Mme Jocelyne qui va faire des photos dans l’Ariège…
», note Vincent Ricordeau. Entendu : « Une copine nous envoie un message
pour soutenir le projet de son fils en Amazonie… On ne va pas lui payer
ses vacances ! » Et les collectes réussies tiennent parfois de la loterie.
Propriétaires de la librairie La Soupe de l’Espace à Hyères, Jean
Pichinoty et Mélanie Cudel ont lancé un crowdfunding pour ne pas fermer
boutique. Le comédien François Morel leur a fait la surprise de parler
de leurs efforts au million d’auditeurs de sa chronique hebdomadaire sur
France Inter. « Sans lui, on serait arrivés péniblement au premier
palier [premier objectif fixé] », reconnaît le libraire.
A la Fête du crowdfunding, Arthur Begou, du site Comme des papas, est
venu avec un triporteur présenter ses petits plats « Homme made ». Il en
est à sa deuxième campagne de levée de fonds et a habillé son discours
d’arguments sur le commerce en ligne « pour montrer patte blanche ».
Parler simplement de petits pots pour bébé n’aurait peut-être pas suffi
: « Aujourd’hui, on a l’impression que seules les boîtes techno sont
capables de générer des résultats. »
Ceux qui ont fait partie de la première vague sentent qu’il leur faut un
argument supplémentaire. Marc de La Ménardière, producteur-réalisateur
du film En quête de sens (2014), a été l’un des premiers à organiser un
crowdfunding pour un film. « Les gens voyaient dans la démarche quelque
chose de spontané. On a bénéficié de cette nouveauté sans en maîtriser
le savoir-faire. » Ils avaient demandé 12 000 euros et en ont obtenu 39
000. Ils ont recommencé cette année pour un autre documentaire dans la
même fibre – Tout s’accélère –, et ont récolté 16 275 euros pour 10 000
euros demandés.
Le procédé victime de sa banalisation
A force, les arguments et le vocabulaire censés motiver peuvent s’user.
L’idée de participer à une grande aventure, ça marche les premières
fois, moins quand votre boîte mail et les réseaux sociaux vous relaient
plusieurs kilos de grandes aventures par semaine.
La banalisation de la démarche enlève l’enchantement des premiers
temps. Les pionniers sont devenus des importuns, et les projets qui s’en
sortent sont désormais plus souvent ceux dont le lancement est soutenu
par des professionnels de la visibilité.
« Les projets qui marchent sont soit des produits de consommation, soit
des projets engagés. » Matthias Lavaux, spécialiste de l’économie
collaborative
Du coup, les donateurs en arrivent à avoir des raisonnements étonnamment
froids. Chargée d’études à Paris, Perrine ne voit pas bien pour quelle
raison elle devrait participer : « Des copains de fac m’ont contactée
pour l’achat d’un verger en crowdfunding. En échange, j’aurais le droit
d’aller chercher un panier de fruits en Poitou-Charentes ? »
Selon Matthias Lavaux, chargé d’un cours d’économie collaborative à
l’université Paris-III, « l’intérêt du financement participatif, c’est
d’arriver à toucher d’autres communautés que celles que l’on connaît.
Mais comme ça demande un savoir-faire que les gens n’ont pas, ils se
disent, je vais gratter mon père, ma mère, mes copains… Mais on n’a pas
besoin du financement participatif pour ça. »
« Après la ruée de 2010, on commence à arriver à saturation. Les
projets qui marchent sont soit des produits de consommation où le don
avec contrepartie devient une forme de pré-achat, soit des projets
engagés qui mobilisent des communautés », poursuit-il. Et si le marché
français est moins développé que l’anglo-saxon, ce n’est pas qu’une
question de démographie.
Culturellement, dans les pays où la place de l’Etat est forte,
l’individu est moins enclin à financer des initiatives sociales ou
culturelles. Certains, quand ils reçoivent des demandes de crowdfunding,
avouent répondre mentalement « Merci, mais je paie mes impôts ! »
D’autres se fixent des critères de « nécessité » : « La demande pour un
projet de JR et AV sur KissKissBankBank… Un artiste millionnaire et
Agnès Varda ? Non mais ça va pas… Je ne vais pas donner à des gens
riches ! »
L’apparition d’une « crowdfunding fatigue »
La généralisation du crowdfunding pousse à s’interroger sur ce qui nous
incite à donner. Soutient-on des aventures entrepreneuriales ?
Dépanne-t-on dans des situations d’urgence ? Cherchons-nous des badges
de vertu pour se voir en grand philanthrope quand on se regarde dans la
glace ? Certains projets génèrent beaucoup de plaisir à donner, une
fierté d’appartenance à un élan collectif, mais – le monde est mal fait
– ce ne sont pas forcément ceux pour lesquels nos proches nous sollicitent.
Au bout du compte, on n’accepte plus de contribuer par intérêt pour le
projet mais en fonction de notre réponse à la question : « A quel point
cette amitié m’est-elle précieuse ? » « Se sentir obligé inhibe le
désir de donner librement, de bon cœur », note Jean-Edouard Grésy, un
médiateur qui a beaucoup travaillé sur les questions du don.
Finalement, la « crowdfunding fatigue » ne tient peut-être pas tant au
nombre de sollicitations qu’au nombre de fois où on donne pour de
mauvaises raisons.
Guillemette Faure
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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