[Infoligue] Profession : philanthrope

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 13 Juin 07:17:10 CEST 2016


Profession : philanthrope

Publié par : LE MONDE ARGENT
Le : 12.06.2016

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Mécènes acceptant de témoigner à visage découvert, essor du nombre de 
fondations et des montants distribués… la philanthropie française vit 
son printemps. Evidemment, nous sommes à des années-lumière des 
Etats-Unis, où les actifs des fondations atteignent 823 milliards de 
dollars – soit les PIB des Pays-Bas et de la Belgique réunis –, où les 
donateurs s’affichent, s’exhibent même, en donnant à coups de dizaines 
de milliards. Question de culture et d’histoire. Outre-Atlantique, 
l’Etat-providence n’existant pas, les individus ont de tout temps pris 
en charge des missions d’intérêt général – éducation, culture… – qui 
sont chez nous dévolues à la puissance publique.

Mais cela change. La France compte plus de 2 200 fondations, dont près 
de la moitié ont été créées au cours des quinze dernières années. Elles 
gèrent 22 milliards d’euros d’actifs et en dépensent 7,4 milliards 
chaque année, dont 1,5 milliard sont resdistribués à des projets 
présents dans le social, le médical, la culture, l’enseignement supérieur…

Derrière les poids lourds, comme la fondation Bettencourt Schueller, 
forte de 900 millions d’euros d’actifs et d’un budget annuel de 50 
millions, une myriade de fondations plus modestes s’activent pour le 
bien commun. Un quart des fondations sont dotées de moins de 100 000 
euros. « La culture philanthro- pique commence à se diffuser. Les 
philanthropes, plus jeunes que par le passé, acceptent de s’exprimer sur 
leurs motivations, les retombées de leurs actions… Cela crée une saine 
émulation », constate ­Dominique Lemaistre, directrice du mécénat de la 
Fondation de France.

Des fondations abritées pour les particuliers

Ce foisonnement n’est pas dû au hasard. « Il tient à un double 
mouvement. D’un côté, une frange de la population s’est enrichie 
rapidement en profitant depuis la fin des années 1990 d’un capitalisme 
­débridé ; de l’autre, l’Etat, conscient que sa capacité d’intervention 
dans les domaines d’intérêt général diminuait, a incité le privé à 
prendre le relais », explique Antoine ­Vaccaro, président du Centre 
d’étude et ­de recherche sur la philanthropie.

Au fil des ans, l’Etat a ainsi multiplié les dispositifs fiscaux et 
légaux pour favoriser cette générosité privée. En 2003, la loi Aillagon 
marque un tournant, en encourageant le mécénat d’entreprise et en 
réorganisant le monde des fondations et son financement. Ce texte, qui 
accorde aussi d’importantes réductions d’impôt aux donateurs, permet le 
développement des fondations abritées, qui sont devenues l’outil 
philanthropique des particuliers. Créer sa propre fondation est, en 
effet, un jeu d’enfant. Il « suffit » de 100 000 à 200 000 euros à 
verser sur trois ou cinq ans pour être accueilli à bras ouverts par les 
fondations abritantes, qui gèrent les questions administratives et 
permettent aux donateurs d’accéder au statut de philanthrope.

C’est de cette façon que des centaines d’anonymes en sont venues à créer 
leur propre fondation. « Lorsque mon père m’a laissé un héritage 
important, je ne voulais pas changer de vie, je l’ai vécu comme une 
responsabilité. J’ai donc cherché une solution pour pouvoir soutenir 
efficacement la cause qui me tient à cœur, la préservation des forêts et 
notamment des arbres anciens. Je me suis tournée vers la Fondation de 
France. Ses équipes m’ont aidée à affiner mon projet, me déchargent des 
aspects fiscaux et réglementaires », explique Catherine Marquot, aux 
manettes de la Fondation Toi, l’arbre.

« Créer une fondation est d’une simplicité biblique, renchérit un autre 
mécène qui a frappé à la porte de la Fondation pour la recherche 
médicale. La fondation s’occupe de la paperasserie, nous épaule dans le 
choix des dossiers, nous fait rencontrer les chercheurs… Cela nous 
permet aussi d’être plus efficaces : j’en avais assez de multiplier les 
dons, je souhaitais avoir un effet plus massif. » Preuve que la formule 
séduit, il existe à ce jour plus de 1 200 fondations abritées.

Délégation des missions d’intérêt général

La puissance publique ne s’est pas arrêtée là. Elle a ensuite favorisé 
la création de nouveaux véhicules (fondation coopérative scientifique, 
fondation universitaire, fonds de dotation…), tout en octroyant des 
coups de pouce fiscaux supplémentaires : en 2007, la loi TEPA permet aux 
assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune de réduire leur 
fiscalité de 75 % de la somme donnée.

Bref, l’Etat a mis en place une sorte de délégation des missions 
d’intérêt général, ce qui a fait grincer les dents de certains, qui 
s'inquiètent de voir le privé s’arroger certaines actions réservées à 
l’Etat. « Croire que les philanthropes attaquent la souveraineté de 
l’Etat, seul garant des missions d’intérêt général, est dépassé. C’est 
plutôt l’inverse : l’Etat se sert de la philanthropie et se redéploie à 
travers elle, car il a besoin de ses ressources. Il la libère tout en 
l’encadrant », souligne Nicolas Duvoux, professeur de sociologie à 
l’université Paris-VIII.

Les mécènes, bien conscients que la société civile doit jouer son rôle 
face aux besoins sans cesse croissants, répondent présent et sortent 
ainsi la France d’une philanthropie « post mortem ». Un tiers des 
philanthropes français ont moins de 55 ans et 87 % sont en activité, 
selon l’observatoire de la Fondation de France. « C’est une des grandes 
évolutions de ces dernières années : les donateurs veulent donner de 
leur vivant, être partie prenante de leur générosité », précise Benoît 
Miribel, président du Centre français des fonds et fondations.

Cette nouvelle vague de philanthropes est notamment composée 
d’entrepreneurs, qui n’attendent plus d’avoir vendu leur société pour 
consacrer une partie de leur temps et de leur argent à une cause. « Je 
n’allais pas attendre d’avoir 70 ans pour faire du bien, alors que je 
peux dès aujourd’hui m’engager », explique Charles Kloboukoff, fondateur 
du groupe bio Léa Nature, qui participe depuis 2007 au « 1 % pour la 
planète ». C’est-à-dire qu’il reverse 1 % de son chiffre d’affaires à 
des causes environnementales. Une partie de cette somme – un million 
d’euros en 2015 – alimente aussi la fondation d’entreprise, qui finance 
des programmes de sensibilisation pour sauvegarder l’environnement.

Même son de cloche pour le restaurateur Alain Cojean, qui a créé la 
Fondation Nourrir, Aimer, Donner il y a cinq ans : « Elle me donne une 
plus grande liberté pour soutenir des projets que je découvre au gré de 
mes rencontres. »

Alors que recherchent ces Bill Gates français ? « Si les ressorts de 
cette générosité sont multiples et souvent très personnels, l’idée de 
rendre à la société ce que l’on a reçu est omniprésente », note Mme 
Lemaistre. M. Cojean confirme. « Partager la richesse produite m’a 
toujours semblé logique, naturel même. Je verse au moins 10 % des 
bénéfices de mon entreprise à la fondation », explique-t-il, tout en 
refusant le qualificatif de philanthrope.

Un tel projet peut aussi être l’occasion pour des familles de se 
retrouver autour d’un but commun et ainsi de renforcer la cohésion 
familiale. « La fondation est un bel outil pour transmettre des valeurs 
aux générations suivantes. Les couples qui s’engagent aujourd’hui dans 
cette démarche sont bien plus jeunes que par le passé et associent 
pleinement leurs enfants », explique Sabine Roux de Bezieux, présidente 
d’Esprit de famille, une association qui regroupe une cinquantaine de 
fondations familiales.

L’autre mouvement à l’œuvre depuis plusieurs années est la volonté de « 
professionnaliser » cette générosité. Issus du business, ces mécènes 
importent les méthodes de l’entreprise dans leur conception de la 
philanthropie : cahier des charges pour sélectionner les projets, 
indicateurs pour tenter d’évaluer les retombées… « Les entrepreneurs 
sont persuadés que, ayant réussi dans les affaires, ils peuvent faire 
mieux que les associations ou la puissance publique pour résoudre 
certains problèmes », note M. Duvoux.

« Le philanthrope a une obligation morale, celle de ne pas seulement 
donner pour le plaisir, et des devoirs » Pascal Vinarnic, créateur de la 
fondation Demeter

Pour eux, cette quête de l’impact, de l’efficacité des dons, va de soi. 
D’ailleurs, les programmes de développement, les politiques publiques ne 
font-ils pas eux aussi l’objet de constantes évaluations ? « Cette 
question est devenue indispensable aux yeux des jeunes générations de 
philanthropes pour qui la transparence est cruciale », confirme Max 
Thillaye du Boullay, conseiller en philanthropie à la Fondation 
Apprentis d’Auteuil.

Mais ce culte du chiffre peut aussi avoir des effets pervers. « 
Aujourd’hui, ce qui ne se mesure pas ne se comprend pas. C’est terrible… 
Cette doxa de l’efficacité bride la pensée, l’innovation. Se focaliser 
sur l’impact à court terme risque d’empêcher de financer des programmes 
de longue haleine, dont les effets ne sont pas mesurables à brève 
échéance et qui sont pourtant essentiels », prévient Pierre Calame, 
président honoraire de la Fondation Charles Léopold Mayer.

Dans certains champs de l’intérêt général, comme la culture ou certains 
secteurs du social, l’impact peut être difficile à évaluer. Les 
associations, qui ont des besoins criants de financement, ne 
risquent-elles pas de monter des projets collant davantage aux attentes 
et exigences des philanthropes qu’à l’intérêt général ? Une structure 
spécialisée dans la réinsertion ne sera-t-elle pas tentée d’accompagner 
des personnes en moins grande précarité pour augmenter ses « ratios » ?

Cette pression sur le monde associatif ne peut être éludée, d’après 
Antoine ­Vaccaro, qui définit le philanthrope comme un despote éclairé. 
« Contrairement à une association, dont le fonctionnement est en théorie 
démocratique, dans une fondation, c’est la personne qui l’a dotée 
financièrement qui choisit son projet. Ce n’est guère négociable, c’est 
une forme de gouvernance plus autoritaire, néanmoins au service de 
l’intérêt général… Il faut donc que cette générosité soit utilisée à bon 
escient. »

D’où l’émergence de questions sur le rôle et la redevabilité du 
philanthrope. Ce thème était d’ailleurs au centre des Rencontres 
internationales des philanthropes, organisées le 13 juin à Paris par la 
Fondation de France et dont Le Monde est partenaire. « Le philanthrope a 
une obligation morale, celle de ne pas seulement donner pour le plaisir, 
et des devoirs. Il doit s’engager sur le long terme, comprendre, 
s’investir dans la cause et ne pas s’immiscer dans le quotidien des 
projets soutenus », résume l’investisseur Pascal Vinarnic, dont la 
Fondation Demeter vise à favoriser l’innovation économique dans le champ 
social. Des interrogations bienvenues et nécessaires si la philanthropie 
souhaite se développer en confiance et en transparence avec la société.

     Frédéric Cazenave
     Journaliste au Monde


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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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