[Infoligue] Le mauvais procès fait aux contrats aidés
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 24 Aou 08:56:19 CEST 2017
Le mauvais procès fait aux contrats aidés
Publié par :
https://www.alternatives-economiques.fr//mauvais-proces-aux-contrats-aides/00080033
Par : Laurent Jeanneau
Le : 23/08/2017
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Haro sur les contrats aidés. La ministre du Travail Muriel Pénicaud a
ouvert les hostilités le 9 août dans l’hémicycle de l’Assemblée
nationale, juste avant les vacances parlementaires. Sans s’embarrasser
de nuances : « Les études de la Dares 1, de l’OCDE, comme celles de la
Cour des comptes, montrent trois choses. Premièrement, les contrats
aidés sont extrêmement coûteux pour la nation. Deuxièmement, ils ne sont
pas efficaces dans la lutte contre le chômage. Troisièmement, ils ne
sont pas un tremplin pour l’insertion professionnelle. » Fermez le ban !
Quelques jours plus tard, le Premier ministre Edouard Philippe est lui
aussi monté au créneau : « Si les emplois aidés avaient été un
instrument efficace de lutte durable contre le chômage, ça se serait vu
», a-t-il déclaré le 18 août lors d’un déplacement dans le Gers. Selon
des informations publiées par Les Echos et par Libération, le
gouvernement veut limiter à 110 000 le nombre de contrats aidés qui
seraient financés au second semestre 2017, une baisse de 40 % par
rapport à l’enveloppe qui a été accordée en début d’année et une
division par deux comparé à ce qui avait été consenti au second semestre
2016. Plus aucun contrat ne serait financé dans le secteur marchand,
c’est-à-dire à destination des entreprises. Dans le secteur non-marchand
(l’Etat, les collectivités locales et les associations), les contrats
restant seraient ciblés en priorité sur l’Education nationale,
l’outre-mer et le secteur sanitaire et social.
Socialement utiles
Un tel tour de vis est un coup dur pour les associations et risque de
fragiliser de nombreux services publics. Surtout, ce coup de frein aura
des conséquences sociales potentiellement dramatiques pour les
bénéficiaires de ces emplois subventionnés, qui essayent tant bien que
mal de reprendre pied sur le marché du travail. Car les contrats aidés
ont incontestablement une utilité. Bien sûr, ils ne sont pas exempts de
tout défaut, mais les sources dont on dispose soulignent toutes leurs
effets globalement positifs 2. Y compris les services de la ministre du
Travail ! Dans une note confidentielle que nous avons pu consulter,
l’administration dresse un bilan nettement plus nuancé des contrats
aidés que les déclarations à l’emporte-pièce de sa patronne.
C’est à la fin des années 1990 et au début des années 2000 que le
nombre de contrats aidés a atteint des sommets
Les contrats aidés font partie de l’arsenal de la politique de l’emploi
depuis plus de trente ans maintenant. Une telle longévité serait
surprenante s’ils étaient vraiment inefficaces. Le premier dispositif de
ce type a en effet été créé en 1984 par Laurent Fabius, sous l’acronyme
TUC ou « travaux d’utilité collective », afin de lutter contre la montée
du chômage des jeunes. Les TUC n’existent plus aujourd’hui, mais ils ont
été remplacés par un florilège de contrats différents, créés aussi bien
par des gouvernements de droite que de gauche, à mesure que la courbe du
chômage prenait son envol.
Le recours aux contrats aidés a fortement chuté en 15 ans
C’est à la fin des années 1990 et au début des années 2000 que le nombre
de contrats aidés a atteint des sommets, avec notamment les fameux «
emplois jeunes » du gouvernement Jospin. Leur nombre a ensuite nettement
diminué, en rythme avec la baisse du chômage. Après l’éclatement de la
bulle Internet, en 2001, le chômage est reparti à la hausse, mais la
droite n’a pas immédiatement relancé cet outil une fois au pouvoir. Il
faut attendre 2005 et le plan de cohésion social de Jean-Louis Borloo 3,
au moment où le taux de chômage atteint le seuil symbolique des 10 %.
Qu’est-ce qui distingue un contrat aidé d’un emploi aidé ?
Il est difficile de s’y retrouver dans la jungle des contrats aidés.
D’autant que c’est le paradis des acronymes : CES, CEC, CEV, CAE,
CI-RMA, CUI-CIE, CUI-CAE, EA… Les pouvoirs publics font parfois preuve
d’une imagination sans borne pour qualifier les dispositifs qu’ils
inventent, sans que cela ne soit très explicite. De quoi parle-t-on au
juste ? Une récente note de la Dares, un service d’études et de
statistiques rattaché au ministère du Travail, propose une définition
assez claire : un contrat aidé est un « contrat dérogatoire au droit
commun, pour lequel l’employeur bénéficie d’aides, sous forme de
subventions à l’embauche, d’exonérations de certaines cotisations
sociales ou d’aides à la formation ; l’accès à ces contrats est réservé
aux personnes rencontrant des difficultés particulières d’accès à
l’emploi, et le volume de contrats est piloté par les pouvoirs publics
». A ne pas confondre avec l’emploi aidé, une notion beaucoup plus
large, qui englobe des exonérations de cotisations et autres avantages
fiscaux moins ciblés, c’est-à-dire que toutes les embauches répondant
aux critères de ces emplois aidés perçoivent les aides, sans qu’il y ait
de pilotage politique du volume de ces aides. Ainsi, de nombreux
dispositifs aidant les entreprises à embaucher des jeunes, comme le
contrat de génération ou l’exonération de cotisation chômage pour
l’embauche de jeunes en CDI, sont en réalité des emplois aidés, et non
des contrats aidés. Même chose pour les contrats en alternance, parce
qu’ils ne s’adressent pas à des publics en difficulté.
En 2007, le gouvernement de Nicolas Sarkozy commence par réduire
fortement le nombre de contrats aidés, avec un discours très critique
sur ce type de dispositif, qui rappelle les arguments aujourd’hui
avancés par Edouard Philippe et Muriel Pénicaud. Mais l’éclatement de la
crise et l’explosion du chômage l’obligeront à être pragmatique et à
mettre de l’eau dans son vin. Les contrats aidés sont réhabilités. Très
rapidement, ils retrouvent le niveau qu’ils avaient début 2007. En 2010,
une réforme tente alors de simplifier les dispositifs issus de la loi
Borloo 4
La fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy se traduit par une baisse
importante du nombre de contrats aidés, alors même que la courbe du
chômage continue son ascension
Mais ce rebond ne dure pas. La fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy se
traduit par une baisse importante du nombre de contrats aidés, alors
même que la courbe du chômage continue son ascension. Ce n’est qu’en
2012, à la faveur de l’alternance, que les contrats aidés seront
remobilisés, avec la création des emplois d’avenir par François
Hollande. Mais il n’y a pas pour autant d’explosion du nombre d’emplois
aidés. Fin 2015, on retrouve tout au plus les niveaux enregistrés en
2010 ou début 2007. Deux fois moins que ce qui prévalait au début des
années 2000.
Un outil de lutte à court terme contre le chômage
Ce rapide historique – qui est loin d’être exhaustif 5 –, montre bien
que les contrats aidés ne sont pas seulement mobilisés « à la veille
d’élections présidentielles » de façon « opportune et politique », comme
l’a indiqué Edouard Philippe le 18 août. C’est même plutôt l’inverse :
leur nombre a baissé en 2016, mais aussi en 2011, en 2006, et même en
2001. Bref, les années préélectorales n’ont jamais été de bons crus en
termes de contrats aidés. Ils sont plus sûrement utilisés comme outil de
lutte à court terme contre le chômage. Avec une certaine efficacité.
D’abord parce qu’ils créent des emplois nets.
En 2015, les 60 000 contrats aidés supplémentaires ont permis une
création nette d’environ 21 000 emplois, explique la Dares
Twitter
En 2015, les 60 000 contrats aidés supplémentaires ont ainsi permis une
création nette d’environ 21 000 emplois, estime la Dares. Mais aussi
parce qu’ils jouent un rôle contra-cyclique, comme disent les
économistes, c’est-à-dire qu’en période de ralentissement économique,
ils ont un effet positif sur l’activité. Et cela parce qu’ils permettent
d’améliorer rapidement les conditions de vie de leurs bénéficiaires, en
leur distribuant du pouvoir d’achat.
La direction générale de l’emploi et de la formation professionnelle
(DGEFP) l’écrit noir sur blanc dans une note à destination de la
nouvelle ministre du Travail qui n’a pas été rendue publique : « les
contrats aidés sont un des outils les plus efficaces pour diminuer à
court terme le chômage », peut-on lire dans ce document. C’est
particulièrement frappant quand on croise la courbe du chômage avec
celle du nombre de contrats aidés, comme dans le graphique ci-dessous.
Les contrats aidés, un outil efficace contre le chômage
Dans cette note interne, la DGEFP ne manque d’ailleurs pas d’avertir la
ministre : « Une baisse du nombre de bénéficiaires de contrats aidés au
second semestre 2017 au niveau des seuls renouvellements aurait des
effets sur le chômage élevé : + 62 000 demandeurs d’emploi sur le second
semestre. » Visiblement, le gouvernement souhaite aller encore plus
loin. Au risque de casser la dynamique de baisse du chômage, qui reste
très fragile.
Quels sont les principaux types de contrats aidés ?
Certains contrats aidés sont dédiés au secteur non marchand,
c’est-à-dire qu’ils peuvent être utilisés par l’Etat, les collectivités
locales ou les associations. C’est le cas des contrats uniques
d’insertion – contrats d’accompagnement dans l’emploi (CUI- CAE), dont
la durée peut varier de 6 mois à 2 ans, voire 5 ans pour les plus de 50
ans. Les contrats uniques d’insertion – contrats d’initiative emploi
(CUI- CIE), en revanche, sont destinés au secteur marchand. L’aide y est
conditionnée à une embauche en CDI ou en CDD pour six mois minimum.
Les emplois d’avenir ont pour objectifs de proposer des solutions aux
jeunes de 16 à 25 ans sans emploi peu ou pas qualifiés, de leur ouvrir
l’accès à une qualification et à une insertion professionnelle durable.
Ce sont prioritairement des emplois à temps complet conclus à durée
indéterminée ou déterminée, pour 1 à 3 ans. Les emplois d’avenir peuvent
être déclinés dans le secteur marchand et le secteur non marchand.
Le secteur de l’insertion par l’activité économique dispose par ailleurs
de contrats spécifiques, mobilisables dans 4 types de structures : les
associations intermédiaires, les ateliers et chantiers d’insertion, les
entreprises d’insertion et les entreprises de travail temporaire
d’insertion.
Tous les contrats aidés n’ont cependant pas le même impact. Ce sont en
effet les contrats à destination de l’Etat, des collectivités locales ou
des associations qui ont « l’effet emploi » le plus important.
Dans le secteur non marchand, « financer un contrat aidé permet de
créer un emploi supplémentaire », note la Dares
Dans le secteur non marchand, « financer un contrat aidé permet de créer
un emploi supplémentaire », explique la Dares. En revanche, dans le
secteur marchand, le bilan est moins reluisant : financer un emploi y
crée moins d’un emploi, car une partie des recrutements en contrats
aidés correspond en réalité à des « effets d’aubaine », l’employeur qui
bénéficie de l’aide aurait embauché même en l’absence d’aide.
Un effet sur la file d’attente des chômeurs
Pour autant, ce n’est pas une raison pour enterrer trop vite les
contrats aidés du secteur marchand, comme veut le faire le gouvernement.
Car ces dispositifs ont d’autres objectifs que la création nette
d’emploi. Ils visent avant tout à insérer professionnellement les
personnes éloignées du marché du travail. L’aide financière octroyée (de
20 à 36 % du Smic pour les CUI-CIE) permet de flécher l’emploi vers les
personnes les moins bien loties sur le marché du travail (les jeunes,
les seniors, les peu qualifiés, etc.). Ce qui permet de modifier la file
d’attente du chômage. « Ces personnes, plus éloignées du marché du
travail, moins productives à un moment donné, coûteraient trop cher à
l’employeur et risqueraient alors d’entrer dans un processus d’exclusion
durable du marché du travail », note la Dares. En subventionnant leur
emploi, les contrats aidés permettent de « rééquilibrer » quelque peu le
marché du travail en leur faveur. Cet « effet profil » est d’ailleurs
plus important dans le secteur marchand.
Moins d’effets d’aubaine dans le secteur non marchand
Comme le souligne la DGEFP dans sa note interne, cet effort de ciblage
sur les publics éloignés du marché du travail « est un objectif central
pour éviter tout risque d’éviction et d’utilisation non efficiente des
masses financières sous-jacentes au profit d’individus dont l’insertion
professionnelle pourrait passer par des contrats de droit commun ». Or
cet objectif « a été atteint » juge la DGEFP. En 2015, neuf nouveaux
bénéficiaires d’un contrat unique d’insertion sur dix présentaient des
difficultés particulières pour trouver un emploi. Une part qui a
sensiblement augmenté ces dernières années, a en croire la DGEFP. Même
constat pour les récents emplois d’avenir, qui ont bénéficié à 79 % à
des jeunes peu ou pas diplômés.
Les emplois d’avenir ont bénéficié à 79 % à des jeunes peu ou pas
diplômés
Si à court terme les contrats aidés permettent de créer des emplois et
de modifier la file d’attente du chômage, quels sont leurs effets à
moyen terme ? Autrement dit, que deviennent les bénéficiaires de ces
dispositifs ? Accèdent-ils à un emploi durable, ou retournent-ils
grossir les rangs de Pôle emploi ? La réponse diffère selon le type de
contrat. Le taux d’insertion dans l’emploi à moyen terme est nettement
plus élevé pour les contrats aidés du secteur marchand que pour les
contrats aidés du secteur non marchand. En 2014, six mois après la fin
du contrat aidé, 67 % des personnes qui ont bénéficié d’un CUI-CIE
étaient en emploi, contre 41 % pour les personnes sorties d’un CUI-CAE.
Une insertion dans l’emploi variable
Mais ces comparaisons sont trompeuses. « Ces taux d’insertion ne
permettent cependant pas d’estimer et de comparer l’efficacité de ces
dispositifs », avertit la Dares. Si les performances en terme
d’insertion dans l’emploi des contrats aidés du secteur non marchand
(les CUI-CAE) sont plus faibles, c’est parce que ces contrats
s’adressent à un public nettement plus en difficulté que les contrats du
secteur marchand (les CUI-CIE). La part des allocataires de minima
sociaux est notamment plus élevée pour les CUI-CAE.
Un risque d’enfermement ?
Il existe néanmoins un risque d’« effet d’enfermement » pointé par la
Dares pour les contrats aidés du secteur non marchand, même si les
auteurs de l’étude soulignent que leurs résultats sont fragiles et
mériteraient d’être davantage documentés. Ce risque d’enfermement peut
pénaliser à long terme les bénéficiaires de contrats aidés et réduire
leurs chances d’accéder à un emploi non aidé. Pourquoi ? Parce qu’il
peut y avoir un décalage entre les postes proposés par ce type de
contrat et les métiers sur lesquels les entreprises du secteur privé
cherchent à recruter. A cela peut s’ajouter un signal négatif envoyé aux
employeurs, qui peuvent stigmatiser les bénéficiaires de contrats aidés.
Enfin, une personne en contrat aidé peut réduire son effort de recherche
pendant la durée du contrat.
Ces écueils sont néanmoins atténués si cette personne a pu bénéficier
d’une formation digne de ce nom pendant le dispositif. Or de ce point de
vue, la qualité des contrats aidés du secteur non marchand s’améliore :
la part des personnes en CUI-CAE déclarant avoir bénéficié d’une
formation pendant son contrat est passée de 35 % en 2011 à 46 % en 2014.
Mais ce sont surtout les récents emplois d’avenir qui ont changé la
donne : plus de 90 % des jeunes en emploi d’avenir bénéficient
d’engagement de formation.
53 % des emplois d’avenir sont des contrats longs
Par ailleurs, pour que les formations proposées soient qualifiantes, il
faut que la durée du contrat ne soit pas trop courte. Or depuis 2013,
des efforts sont faits en ce sens : la durée moyenne des conventions de
CUI-CAE est ainsi passée de 6 à 7 mois en 2012 à 10,7 mois en 2016. Là
encore, les emplois d’avenir sont exemplaires, puisqu’ils ne peuvent pas
être signés pour moins de 12 mois et que 53 % des emplois d’avenir sont
des contrats longs (CDI ou CDD de trois ans). Enfin, un soin particulier
est apporté à la qualité de l’accompagnement dans les emplois d’avenir.
« Les emplois d’avenir sont la formule la plus aboutie des contrats
aidés », juge la DGEFP dans une note interne non publique
Résultat : « Les emplois d’avenir sont la formule la plus aboutie des
contrats aidés », juge la DGEFP dans sa note interne, avant d’ajouter :
« Ils reposent sur le triptyque emploi-formation-accompagnement avec un
niveau d’exigence sur chacun de ces volets jusque-là inédit pour les
contrats aidés ». Dans ses recommandations à la ministre, la DGEFP
propose même de transposer les caractéristiques des emplois d’avenir aux
autres contrats aidés. Des préconisations qui sont tombées dans
l’oreille d’un sourd, puisque contre toute logique, le gouvernement
envisage au contraire de ne pas créer de nouveaux emplois d’avenir et se
contente de renouveler les contrats en cours au second semestre 2017…
Le bilan positif des emplois d’avenir
Plus de 325 000 jeunes bénéficiaient d’un emploi d’avenir fin 2016. 53 %
de ces emplois sont des contrats longs (CDI ou CDD de trois ans) et plus
de la moitié des CDD sont renouvelés. Près de 80 % des bénéficiaires ne
sont pas titulaires du baccalauréat, 40 % sont issus des zones
prioritaires, ce qui correspond aux objectifs initiaux que le
législateur s’était fixés. Trois quarts des jeunes auraient bénéficié
d’une formation au cours de leur première année de contrat et une
formation sur deux serait certifiante. Le taux d’insertion dans l’emploi
(58 %) est meilleur que pour les CAE pour les emplois d’avenir du
secteur non marchand qui ont duré trois ans. Pour les contrats plus
courts, le taux d’insertion est comparable. Sauf que l’insertion après
un emploi d’avenir se fait davantage vers un emploi non aidé.
Au vu de tous ces éléments, il est difficile de dire que « les contrats
aidés ne sont pas un tremplin pour l’insertion professionnelle », comme
l’a pourtant affirmé Muriel Pénicaud. Certains d’entre eux sont plus
efficaces que d’autres. Mais si des efforts sont faits en termes de
formation et d’accompagnement des salariés en insertion, ils ont des
effets positifs indéniables.
Les exonérations de cotisations sociales ou le CICE coûtent bien
plus cher
Reste la question de leur coût. Sont-ils « extrêmement coûteux pour la
nation » comme le juge la ministre ? Le jeu en vaut-il la chandelle ?
Selon le document de la DGEFP, la facture globale des contrats aidés
prévue pour 2017 s’élève à 2,4 milliards d’euros. Ce qui est loin d’être
négligeable. Mais ce n’est pas le poste le plus onéreux de la politique
de l’emploi. Les exonérations de cotisations sociales coûtent bien plus
cher : 36 milliards d’euros en 2016. De même que le crédit impôt
compétitivité emploi (CICE) : 22,7 milliards d’euros en 2017. Si les
effets des exonérations de cotisations sociales sur l’emploi font débat,
ce n’est pas le cas de l’impact du CICE, qui est très faible. « De
l’ordre de 50 000 à 100 000 emplois [auraient été] créés ou sauvegardés
sur la période 2013-2014 » grâce au CICE, estime le comité de suivi de
ce dispositif. Etant donné que le CICE a coûté 11,3 milliards d’euros en
2013 et 17,2 milliards en 2014, cela donne une fourchette de 286 000 à
570 000 euros par emploi créé. A titre de comparaison, le coût d’un
emploi d’avenir estimé par la Cour des comptes s’élève à 11 000 euros
par an et par jeune, celui d’un CUI-CAE à 9 500 euros et d’un CUI-CIE à
7 000 euros ! Autant dire que ce ne sont pas les mêmes ordres de grandeur…
Le yo-yo du financement
Cela ne veut pas dire que le financement des contrats aidés va de soi.
Plus que leur coût, ce qui pose problème c’est la manière dont les
enveloppes sont définies et distribuées. Les budgets votés en loi de
Finances sont rarement sincères et presque systématiquement dépassés. Et
d’un semestre à l’autre, le nombre de contrat aidés financés comme le
montant de l’aide prise en charge par l’Etat peuvent varier
significativement. Un yo-yo qui ne facilite pas le travail des
associations d’insertion sur le terrain et qui fragilise les parcours
des bénéficiaires qui ont au contraire besoin de continuité et de
stabilité pour se raccrocher aux wagons du marché du travail. Ces «
phénomènes de stop-and-go ont pour conséquence des consignes
contradictoires auprès des prescripteurs, une difficulté à mobiliser des
employeurs et un déploiement dans l’urgence des dispositifs au détriment
de la qualité », note la DGEFP. La coupe claire envisagée par le
gouvernement va à coup sûr accentuer ces difficultés.
« Ces contrats sont-ils faits d’abord pour les personnes qui en
bénéficient ou pour alléger le coût du travail de certains employeurs ? »
Une réforme de ce pan de la politique de l’emploi est pourtant légitime,
et il n’est pas forcément absurde de réduire le volume des contrats
aidés si le chômage baisse, à condition de ne pas se précipiter pour ne
pas fragiliser la reprise actuelle. Mais il aurait fallu engager un vrai
débat et se poser les bonnes questions, comme le pointe Michel Abhervé,
spécialiste de la politique de l’emploi, sur son blog. Pour lui, la
principale question qu’il faut se poser est l’objectif principal que
l’on assigne à ces contrats : « Sont-ils faits d’abord pour les
personnes qui en bénéficient afin de leur donner une opportunité d’être
dans une relation de travail qui ne leur serait pas fournie sans cela ?
Où sont-ils faits pour alléger le coût du travail de certains employeurs
? Dans l’histoire de ces contrats qui a maintenant une trentaine
d’années sous des formes diverses, nous avons vécu une tendance
constante à ce que l’objectif premier, fondateur dans un contexte de
chômage de haut niveau, soit perverti par le deuxième. » De fait, il
existe des dérives, des cas où les contrats aidés sont détournés de leur
mission originelle et servent à financer des postes qualifiés dans
certaines associations ou collectivités locales. L’Education nationale,
en particulier, a été épinglée pour sa gestion des contrats aidés. Elle
est pourtant épargnée par les coupes à venir.
Derrière les acronymes, des anonymes
Il y a donc du tri à faire. La DGEFP préconise d’ailleurs dans sa note
interne « une plus grande sélectivité concernant les recruteurs ». « La
logique d’insertion professionnelle doit passer par une plus forte
sélection des structures en fonction de leur capacité à proposer des
emplois qui améliorent concrètement l’employabilité du bénéficiaire », y
est-il écrit. Comment ? En privilégiant les structures qui offrent des
parcours de formation qualifiante et en plafonnant le nombre d’emplois
aidés par établissement, par exemple.
Ce qui est frappant, dans ce débat, c’est que l’on raisonne à coup
d’enveloppe, de coût, de taux d’insertion, de volume, comme s’il ne
s’agissait que d’une ligne dans un bilan comptable. On oublie trop vite
que derrière les acronymes, il y a des anonymes, des personnes engagées
dans un parcours d’insertion. Et ces personnes sont plutôt satisfaites
de leur passage dans ces dispositifs tant décriés. Six mois après leur
sortie de contrat unique d’insertion, 74 % des anciens bénéficiaires
trouvaient que le contrat aidé leur avait permis de se sentir utile et
de reprendre confiance. Ce qui n’est pas le moindre de leur mérite.
1. La Dares est la direction de l’animation de la recherche, des
études et des statistiques, un service rattaché au ministère du Travail.
2. Nous n’avons pas retrouvé l’étude de l’OCDE citée par Muriel
Pénicaud qui démontrerait l’inefficacité des contrats aidés. La seule
mention aux contrats aidés que nous avons trouvée concerne une étude
économique sur la France qui date de 2015 et qui explique au contraire
que le développement des contrats aidés dans le secteur non marchand a
permis à l’emploi de résister face à une conjoncture morose..
3. Le plan de cohésion sociale a créé les contrats d’avenir (CA) et
les contrats d’accompagnement dans l’emploi (CAE) et a réformé les
contrats initiative emploi (CIE) destinés aux entreprises privées.
4. C’est à ce moment que sont créés les contrats uniques
d’insertion – contrats d’accompagnement dans l’emploi (CUI-CAE) pour le
secteur marchand et les contrats uniques d’insertion – contrats
initiative emploi (CUI-CIE) pour le secteur non-marchand.
5. On aurait pu aussi évoquer les contrats emploi solidarité
(1990-2005), les contrats emploi consolidé (1992-2005), les contrats
emploi-ville (1996-1997), les contrats de retour à l’emploi (1990-1995),
les contrats d’insertion - revenu minimum d’activité (2004-2010) ou
encore les dispositifs spécifiques à l’insertion par l’activité
économique (IAE).
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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