[Infoligue] Qui veut la mort des MJC ?
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 20 Jan 07:10:41 CET 2017
Qui veut la mort des MJC ?
Publié par : LE MONDE
Le : 20.01.2017
Par Michel Guerrin
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Les Maisons des jeunes et de la culture, indispensables lieux de vie et
d’éducation populaire, sont condamnées à s’entendre avec les villes,
mais que se passe-t-il quand un maire n’en veut plus ? A Sens, deux
camps s’affrontent.
C’est une histoire affligeante, qui ne bouleverse pas la France, juste
la ville de Sens. Mais elle se répète partout dans le pays, donc
parlons-en. C’est vrai, elle est plus violente ici, avec deux camps qui
s’affrontent, comme dans un western. Dans cette ville de l’Yonne de 25
000 habitants, plus tournée vers Paris que vers la Bourgogne, il existe
depuis 1971 une Maison des jeunes et de la culture (MJC). Pas un théâtre
prestigieux labellisé par l’Etat, mais pas un cabanon non plus. Un gros
corps de bâtiment sur 1 500 mètres carrés, dont une salle de spectacles
de 150 places, La Fabrique, 19 salariés, un budget de 800 000 euros, 120
heures de cours dispensés par semaine à plus de 1 000 adhérents âgés de
3 à 87 ans – danse, arts plastiques, théâtre, chant, guitare, yoga, etc.
Ajoutons un festival du court-métrage (CLAP 89), des expositions, des
animations, des actions pour accompagner les jeunes dans leurs projets…
Autant dire que la MJC anime Sens. Elle est si stratégique que la
députée et maire (Les Républicains) Marie-Louise Fort veut en prendre le
contrôle. Pour la désosser ? C’est la question. La mairie fait vivre la
MJC en lui versant chaque année 157 000 euros, met à sa disposition un
bâtiment qui lui appartient, avec en prime le chauffage, l’électricité
et l’entretien. Mais ce qu’on fait dedans est du ressort d’une
association, avec un directeur et un conseil d’administration.
Mme Fort lance l’offensive en octobre 2016. De façon maladroite, voire
brutale. En gros : vous nous rendez les clés, on garde le personnel,
mais on gère le lieu, que l’on transforme en Cité des arts, que se
partageront les associations de la ville, dont la MJC si elle le
souhaite. Depuis, c’est la guerre. La ville lui coupe les vivres depuis
le 1er janvier, change les serrures de la salle de spectacles, joue la
montre comme on assiège un château fort. La MJC saisit la justice en
brandissant son bail commercial, manifeste dans la rue, occupe les
locaux jour et nuit, rameute les adhérents, poursuit ses activités. Le
bras de fer va durer des mois.
Cette affaire dit beaucoup de notre modèle culturel et associatif. Il y
avait 3 000 MJC dans les années 1970. Elles sont environ 1 500
aujourd’hui. Et celles qui restent ont souvent perdu des plumes et de
l’argent, surtout ces dernières années – c’est le cas à Sens. Sans
parler d’une tension souvent vive avec les mairies, principales sources
de financement des MJC, qui veulent reprendre la main sur ces trublions.
Certains maires ne comprennent pas pourquoi, alors qu’ils sont élus par
le peuple, ils délèguent à des MJC une action populaire qu’ils
pourraient mener eux-mêmes. Ils pensent pouvoir faire mieux aussi,
ajoutant que les MJC ne font plus un bon boulot et qu’elles ont un
mauvais rapport qualité-prix. Et puis les villes ont multiplié les
équipements qui peuvent entrer en concurrence avec ceux d’une MJC. A
Sens, comme ailleurs, il existe par exemple un théâtre municipal, une
école de musique, de théâtre et de danse. Sans doute des actions
pourraient être mutualisées.
Un lieu d’éducation populaire
En fait, les MJC sont condamnées à s’entendre avec les villes. Mais
quand un maire ne le veut plus… Ainsi celle d’Evry, dans l’Essonne, a
été municipalisée par Manuel Valls, quand il en était le maire. Ajoutons
que nombre d’élus de droite accusent les MJC d’être des repères de
gauchistes. C’était assez vrai, ça l’est beaucoup moins, mais ça reste
un lieu de contre-pouvoir sur l’éducation populaire. Aussi chaque
élection municipale est périlleuse pour une MJC, surtout quand la droite
gagne. Or en 2014, ce fut un raz-de-marée, à Sens comme ailleurs, et pas
mal de nouveaux élus ont rabioté ou carrément flingué leur MJC.
La politique est loin d’être le seul facteur. Les maires doivent faire
avec des budgets en berne, plombés par la baisse des dotations de
l’Etat. Ils doivent couper dans les subventions, et partout la culture
de proximité – donc la MJC – est la première victime. Ainsi la maire de
Sens jure qu’elle n’a plus les moyens d’entretenir sa MJC, qu’elle lui
verse chaque année une subvention égale à ce qu’elle donne à l’ensemble
des 88 associations culturelles et sportives de sa ville.
Arrivons à la question essentielle. Il y a partout en France une
incompréhension sur la nature et le rôle d’une MJC. Nos grands
responsables culturels la considèrent comme un lieu ringard, avec des
spectacles ringards. Mais elle n’est pas faite pour ça. Les élus la
voient comme un opérateur de spectacles, une sorte de prestataire de
services. Mais elle est bien plus que ça. La MJC est un lieu de vie et
d’éducation populaire. On y apprend moins à être un spectateur qu’un
acteur. On enseigne aux jeunes à monter ensemble des projets. A
pratiquer plus qu’à consommer. Dans cette logique, nombre de MJC, comme
celle de Sens, fonctionnent beaucoup sur le bénévolat. Qui souvent
s’évanouit quand une mairie la reprend en main.
Le problème est que l’éducation populaire est devenue un gros mot, qui
n’est plus de l’époque. Encore que. Qui soutient la MJC de Sens contre
la maire de droite ? Pas tant le PS, beaucoup le Front national. Oui le
FN, qui lui est bien de l’époque, défend une MJC avec un discours qui
semble écrit par le Parti communiste d’antan. « Je dénonce la brutalité
inouïe et injustifiable de la mairie, un acharnement personnel de la
maire contre un lieu qui fait une véritable éducation populaire et qui
fonctionne bien », dit Julien Odoul, responsable local du FN.
Les candidats à la présidentielle de tous bords appellent à lutter
contre la « fracture culturelle » entre Paris et les régions, entre les
habitués et les délaissés de la culture. Vingt ans qu’ils le disent,
vingt ans qu’ils font le contraire. La question va largement au-delà des
MJC, mais elle en fait partie, tant l’espace qui invite à être à la fois
acteur et spectateur culturel se réduit. Du reste, dans nombre de villes
où une MJC disparaît, son action n’est pas remplacée. Parce qu’elle
était seule à le faire.
Michel Guerrin
Journaliste au Monde
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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