[Infoligue] Les colonies de vacances seraient-elles vraiment devenues du tourisme ?!

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 14 Mai 16:26:13 CEST 2018


Les colonies de vacances seraient-elles vraiment devenues du tourisme ?!

Publié par : 
https://theconversation.com/les-colonies-de-vacances-seraient-elles-vraiment-devenues-du-tourisme-95167
Le : 1 mai 2018

Auteurs :
- Jean-Michel BOCQUET - Pédagogue - Doctorant en Sciences de l'éducation 
CIRNEF, Université Rouen, Chargé de cours, Université Paris 13 – USPC - 
Directeur du MRJC et membre du collectif Camp Colo constitué pour 
l'occasion.
- Cyril DHEILLY - Doctorant en sciences de l'éducation, CIRNEF, 
Université de Rouen Normandie

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La Direction générale des entreprises (DGE) a transposé une directive 
européenne, dite directive « Travel », en droit français. Celle-ci vise 
à protéger les consommateurs de voyages touristiques contre un certain 
nombre de risques.

Des voyages touristiques ? Mais que viennent donc faire les colonies de 
vacances, les camps scouts et les classes de découvertes dans cette 
transposition ? Le choix surprenant de considérer ces organisations dans 
le cadre du déplacement de personnes qui contractualisent avec un 
organisateur a pourtant bien été pris, pour une considération 
touristique et commerciale de l’activité, du loisir, des vacances.

La question de la justesse de considérer les camps, colonies de vacances 
et classes de découvertes comme des activités commerciales, 
touristiques, concurrentielles et contractualisables mérite d’être 
posée. Ce qui peut paraître évident à une direction administrative du 
ministère de l’Économie et des Finances saisit le champ de l’animation 
par sa vision biaisée et politiquement orientée, balayant l’histoire 
avec froideur, reniant le caractère propre de telles organisations, qui 
ne sont pas et n’ont jamais été une activité touristique.

Un retour sur l’histoire des finalités de ces actions montre que la 
directive Travel est le dernier avatar d’une longue évolution libérale. 
L’origine des colos, traditionnellement citée, remonte à 1876 et à la 
première ferien-kolinie organisée en Suisse par le pasteur Bion. Des 
voyages scolaires étaient organisés bien avant cela, notamment par Don 
Bosco et les camps organisés par les patronages. Dès le départ, classes 
de découvertes, patronages et colonies de vacances sont liés.


Le scoutisme naît en 1907 alors que les colonies de vacances et les 
patronages existent déjà. Il s’inscrit dans les mêmes finalités : le 
sanitaire et social. Ces organisateurs et ces mouvements cherchent à 
former des enfants en bonne santé, physiquement forts, 
intellectuellement développés et spirituellement bons. Colonies et camps 
cherchent à former les bons républicains ou chrétiens de demain : les 
dimensions politiques et religieuses sont fortes.

Dès les années 30, la dimension éducative des centres de vacances se 
développe. En France, scouts laïques, Éducation nouvelle, syndicat 
national des instituteurs et organisateurs de colonies de vacances 
(notamment G. de Failly et son association Hygiène pour l’Exemple) vont 
construire des stages de formations de moniteurs de colonies de 
vacances, ancêtres du BAFA et aux origines de la création des CEMEA.

Les chrétiens font de même, construisent leur pédagogie sur le même 
modèle. Comme les républicains, les chrétiens utilisent leurs bâtiments 
scolaires pendant l’été pour organiser des colonies de vacances. Dès 
l’après-guerre, la finalité éducative des colonies de vacances et des 
camps scouts est assez clairement affichée et précisée. Tout ce qui peut 
se faire dans une colo ou un camp est présenté comme éducatif : vivre en 
collectivité, faire du sport, dessiner, construire, chanter, danser, 
etc. Aujourd’hui encore, l’argument avancé pour justifier de l’existence 
des colos et des mouvements de jeunesse est de dire qu’ils sont 
éducatifs, comme pour affirmer le sens de ces actions.

Quels sont les liens qui unissent ou distinguent les colonies de 
vacances, les camps scouts, les classes de découvertes et les activités 
touristiques ? Pourquoi chercher à y intégrer ces œuvres sociales, 
agissant dans l’intérêt général et assigner ces formes de séjours au 
marché et au tourisme ?

La directive Travel

Pour la protection des consommateurs, la Commission européenne a adopté 
la directive n°2015/2302 du 25 novembre 2015, laquelle concerne les 
voyages à forfait et les prestations de voyage. Si la transposition de 
celle-ci en droit français au 31 décembre 2017 a bien respecté les 
délais prévus, nombre d’acteurs du champ de l’animation et de 
l’éducation tombent des nues alors qu’ils découvrent que cette 
transposition s’applique aux accueils collectifs de mineurs et aux 
classes de découvertes, pour aller bien au-delà des activités de tourisme.

Cette opération s’est déroulée sans une réelle concertation des acteurs 
du champ, dans une urgence apparente mais en toute discrétion. La 
transposition risque fort de signer l’arrêt de mort de nombreuses 
associations organisatrices, lesquelles avaient déjà du mal à survivre 
dans un univers fortement concurrentiel. C’est aussi et surtout l’idée 
de colos différentes qui est mise en péril.

Pourquoi ça ne colle pas avec le tourisme ?

Les liens entre tourisme et colonie de vacances ont toujours été ténus, 
mais jamais les colonies de vacances ne sont tombées à pieds joints dans 
le tourisme. Plusieurs éléments permettent de comprendre cela. Le 
tourisme et les colonies de vacances furent tous deux l’apanage de la 
noblesse puis de la bourgeoisie. Le tourisme s’organise en industrie dès 
le XIXe siècle pour occuper le temps libre des bourgeois, par les 
bourgeois, pour les bourgeois. Le thermalisme en est, d’ailleurs, un 
très bon exemple.

Les colonies de vacances, quant à elle, organisent le temps des enfants 
pauvres ou d’ouvriers par la bourgeoisie pour les rendre plus forts et 
plus sains, pour qu’ils deviennent les bons ouvriers de demain. 
L’hygiénisme domine, souvent dans la charité. Ce qui distingue tourisme 
et colonie de vacances, c’est la finalité et le public concerné. Ce qui 
les rapproche se révèle être le déplacement et l’utilisation du temps 
libre. Au tourisme, la forme industrielle et aux colonies de vacances, 
la forme désintéressée, l’association.

À des fins politiques et sociétales, l’État a organisé la question de 
l’enfance et de la jeunesse. Les colonies de vacances sont 
progressivement devenues un puissant outil de politiques publiques : 
amélioration de l’état sanitaire (année 20), occupation du temps libéré, 
endoctrinement (sous Vichy), construction des élites 
(entre-deux-guerres), accès à la culture, aux loisirs (année 70), 
éloignement des quartiers (année 80) ou tentative de mixité (CIEC 2015). 
Mais l’État et les collectivités ont aussi utilisé les colonies de 
vacances comme outil de développement du tourisme : dans les années 60 
un grand nombre de bâtiments de colonies de vacances sont construits en 
même temps que les stations balnéaires de bord de mer.

Dans les années 70, puis 80, c’est au tour des Alpes de voir le nombre 
de colonies de vacances se développer, comme si, maintenant que les 
stations sont construites, il fallait utiliser les colonies de vacances 
pour faire tourner le business. On retrouve cette même idée dans le plan 
montagne de la région Auvergne-Rhone-Alpes de 2017-2018, pour lequel un 
investissement est prévu pour mettre aux normes les bâtiments de colos, 
après avoir massivement investi dans les structures de ski. Les enfants 
en colos serait-il l’élément permettant de rentabiliser les 
investissements dans les infrastructures ? En cela, aménagement du 
territoire, tourisme et colos sont liés.

Les associations organisatrices flirtent, elles aussi, avec le tourisme 
et ses formes : gamme de séjours, prestations, activités, forfaits, et 
thématiques. La Ligue de l’Enseignement créa un opérateur de voyage et 
de séjour agréé en 1993 (Vacances Pour Tous International), l’UFCV a 
fait de même dans les années 80 avant faillite. La Fédération Léo 
Lagrange fut créée dans les années 50 par Pierre Mauroy en adaptant les 
jeunesses socialistes à la société du loisir. Les associations 
structurent leur catalogue de vente, segmentent les publics, développent 
l’offre et ajoutent même des options de voyage ou d’hébergement. Les 
rapports commerciaux changent, on passe d’une organisation en interne 
(comme les communes ou les associations pour leurs membres) à une vente 
par catalogue ou site Internet. On choisit une colo comme on choisit un 
hôtel. Il existe même des ventes privées de séjour.

Parmi les conséquences de ces évolutions ? Le nombre d’enfants baisse 
toujours un peu plus, il y a de moins en moins de classes moyennes qui 
partent en colo, les pauvres ne partent qu’entre eux. Les publics ne se 
mélangent plus, les mixités sont quasi-inexistantes.

Les colonies de vacances et les classes de découvertes : est-ce vraiment 
du tourisme ? À moins d’agiter des définitions nouvelles, émancipatrices 
du tourisme, comme un « tourisme transformationnel » qui ferait mieux 
avaler la pilule de cette transposition, cela n’est pas le cas. 
Serait-ce bien des transformations des enfants et des jeunes par 
l’industrie du tourisme que l’on nous propose indirectement ? Accepter 
cette transposition revient à accepter la fermeture d’associations qui 
organisent des séjours à des fins non commerciales, dont les modèles ne 
sauraient limiter les enfants à des programmes préétablis, aux risques 
préquantifiés. Le champ de l’animation risque d’en être non pas 
bouleversé mais annihilé, avec des catégories d’enfants qui n’auront 
plus accès aux vacances. Ce choix de société vers lequel nous semblons 
fatalement entraînés va au-delà de la pensée des colonies de vacances. 
Les conditions privilégiées d’existence sont d’une part accordées aux « 
gros » acteurs et aux marchands pour, d’autre part, une rationalisation, 
de plus en plus anticipée, des risques et donc des activités.

Colo et tourisme vivent donc une longue histoire d’attirance et de rejet 
: amour contrarié et amitié qui ne colle pas.


Pourquoi la transposition de la directive Travel est-elle dangereuse ?

Que va entraîner cette intégration définitive et imminente des colonies 
de vacances dans l’industrie touristique ? Évidemment la disparition des 
petites associations à la faveur d’un mastodonte généré par les 
fusions-acquisitions, la disparition des valeurs de partage et de 
faire-ensemble des colonies de vacances au profit d’apports individuels 
éducatifs contractualisables (autrement appelés compétences) et, enfin, 
la réduction de toutes activités de temps libre à une activité de 
divertissement, utilitariste, pensée par des industriels.

C’est, là comme ailleurs, la disparition d’un outil de politiques 
publiques permettant d’aménager le territoire, de construire des 
mixités, de travailler sur le rythme de vie des enfants et de leurs 
parents ou de penser une société du care et de la paix.

C’est aussi, et définitivement, placer la question économique au-dessus 
de la question éducative, c’est officialiser que les colonies de 
vacances et les classes de découvertes relèvent de la Direction générale 
des entreprises et non plus d’une direction spécifique au sein d’un 
ministère dédié.

Progressivement, au cours des trente dernières années, les organisateurs 
de colonies de vacances et de classes de découvertes ont glissé vers le 
tourisme, tant dans la forme que dans le contenu des séjours proposés. 
Soit, ils sont devenus de plus en plus gros, à l’image de l’UCPA, qui 
devient aujourd’hui le principal opérateur du secteur en rachetant une 
agence de voyages pour mineurs, soit ils ont dû mal à survivre à la 
concurrence. Certains ont disparu.

Ce ne sont pas les gros opérateurs qui souffriront de la directive 
Travel mais les petits qui essaient de donner sens à leur action, qui 
survivent dans un paysage concurrentiel. Les gros, quant à eux, à 
l’image du tourisme du XIXe siècle, sont les bourgeois qui travaillent 
pour et par les bourgeois, en utilisant les avantages des solidarités : 
le CEE, les prix de groupe de la SNCF, le BAFA, et les aides publiques.

Que font les ministères concernés ? La transposition de la directive 
Travel qui est proposée n’est ni acceptable, ni acceptée. Les envies 
nouvelles et les actions qui viseraient à la revisiter commencent à se 
faire entendre, afin que les Accueils collectifs de mineurs (ACM) et les 
classes de découvertes soient exclus de cette directive. Pourquoi ne pas 
s’appuyer sur l’histoire et les acteurs du champ ? En contrepartie, 
pourquoi les réactions d’organismes reconnus ou de leurs représentants 
semblent-elles tamisées, tâtonnantes, puisqu’elles ne sont pas publiques 
? Non-connaissance du sujet ? Non concernés ? Craintes de briser une 
diplomatie et des acquis ?

Un élan contre cette transposition

Les colonies de vacances et les classes de découvertes restent un objet 
sensible dans le cœur des français. Elles ont été des lieux de plaisir, 
de camaraderie, de vie collective et d’expérimentation, même si elles 
ont aussi été, pour certains, des lieux détestés.

Dans une dynamique difficile, les colonies de vacances doivent-elles 
être jetées dans une poubelle comme d’autres objets désuets ? Ne peut-on 
pas les considérer avec soin, les réparer, les transformer sans les 
dénaturer, les repenser dans le cadre d’une économie circulaire ou 
travailler sur le sens à travers des recherches à différentes échelles ? 
La mise en concurrence, avec des objets rapides et déshumanisés et dans 
un modèle économique libéral, est-elle fatale ? Politiquement, nos 
enfants ont toujours besoin de prendre du temps et de (re)construire un 
rapport à la nature. Les colonies, camps et classe de demain, s’ils 
existent hors du tourisme, peuvent être ce lieu de découverte et de 
rencontre.

Ajoutons que d’autres pays européens, qui n’ont pas de dispositif 
similaire aux colonies de vacances mais des mouvements de jeunesse, 
appliquent cette directive uniquement aux agences de voyages… Dans les 
pays européens, le tourisme est représenté par les voyages à forfait, 
organisés par des tour-opérateurs, et qui ont peu à voir avec une 
certaine idée des colos, du scoutisme et des classes de découvertes !

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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