[Infoligue] Éducation populaire - Directive Travel : menace sur les camps et colonies de vacances

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 14 Mai 16:22:26 CEST 2018


Éducation populaire - Directive Travel : menace sur les camps et 
colonies de vacances

Par : Sophie Lebrun
Publié par : http://www.lavie.fr
Le : 04/05/2018

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Dans une ordonnance publiée en décembre dernier, le gouvernement 
contraint les accueils collectifs de mineurs à but non lucratif à 
s’inscrire dans le droit encadrant les entreprises de tourisme. Une 
mesure qui met gravement en danger de nombreuses associations 
d’éducation populaire.

« Un voyage scolaire serait-il une activité lucrative ? Qui peut mettre 
un prix sur un coucher de soleil observé par des jeunes ? » C’est avec 
inquiétude que s’exprimait François Mandil, délégué national des Scouts 
et Guides de France (SGDF), au micro de RCF le 25 avril. En cause : la 
transposition en France d’une directive européenne de protection des 
consommateurs. Votée en 2015, elle vise à assurer aux clients d’une 
agence de tourisme installée en Europe qu’ils seront remboursés si une 
activité qu’ils ont payée n’a finalement pas lieu. Mais dans sa 
traduction française, le résultat est tout autre : la Direction générale 
des entreprises n’a pas pris en compte la dérogation prévoyant que les 
associations et organismes sans but lucratif n’aient pas à s’inscrire au 
registre du tourisme – puisqu'ils n'en sont pas un acteur. Or, à partir 
du 1er juillet, la loi les considérera donc soumis au même règle qu'une 
agence de voyage ou un Tour opérateur.

La première conséquence est financière : toute association devra 
justifier d’une garantie financière pour couvrir l’ensemble de ses 
camps, et basculera dans un régime de responsabilité de plein droit, 
devenant responsables de l’exécution des services « vendus » aux 
parents. « Le baromètre devient la satisfaction du consommateur, 
explique François Mandil à La Vie. Par exemple, si l’on prévoit une 
activité canoë dans un camp de jeannettes (les 8-11 ans), nous devrons 
d’abord immobiliser le prix de la prestation et, si elle n’a pas lieu, 
rembourser directement les parents. Aujourd’hui, cette obligation est 
valable entre le prestataire et nous. »

La faillite des petites associations

Si les SGDF, première organisation d'éducation populaire de France, 
devraient pouvoir faire face budgétairement, ils s’inquiètent en 
revanche pour les plus petites structures. « Avec cette législation, je 
dois mettre 80.000 euros sur un fonds de garantie bloqué le 1er 
juillet... sauf que je ne les ai pas en trésorerie ! détaille Arnaud de 
Bechvel, président de Vitacolo, une association qui propose une 
soixantaine de colonies de vacances pour environ 1000 jeunes par an. La 
transposition de la directive Travel explique que cela garantira que je 
rembourse des parents qui réserveraient un séjour et n’enverraient 
finalement pas leur enfant. Ça tombe bien : je le fais déjà sans avoir 
besoin de mettre 10% de mon chiffre d’affaire sur un compte bloqué. Les 
familles que nous accueillons n’ont pas beaucoup d’argent et nous le 
savons. Nous pratiquons des prix accessibles à tous avec une politique 
d’accueil large et attentive. »

L’alternative serait de rejoindre une fédération qui prendrait en compte 
une partie de ce fonds. « Mais nous ne voulons pas avoir de comptes à 
rendre à des organismes avec lesquels nous ne partageons pas les mêmes 
valeurs, continue Arnaud de Bechvel. Nous sommes en lien avec des 
fédérations, nous échangeons pour partager des constats, des façons de 
fonctionner, mais de manière libre et indépendante. Nous ne voulons pas 
nous retrouver obligés d'orienter nos propositions de séjours parce 
qu’une fédération estime cela meilleure pour nous, conditionnant ainsi 
son soutien financier. »

Au Mouvement rural de la jeunesse chrétienne (MRJC), on s’insurge aussi 
sur ce glissement dangereux : « D’abord, nous devrions prendre un 
agrément tourisme pour maintenir notre activité de camp ; or, notre 
mission n’est pas de proposer des camps touristiques, insiste 
Jean-Michel Bocquet, directeur du MRJC. Ensuite, nous aurions à 
rejoindre un organisme comme la Ligue de l’enseignement – ce qui serait 
vraiment déplacé – ou les Scouts et Guides de France – alors que nous ne 
sommes pas scouts… Sans compter que nous n’avons parfois pas les mêmes 
positions que les fédérations qui nous sont proposées. Ça n’a pas de sens. »

Une relation historiquement distante

Surtout, Jean-Michel Bocquet, par ailleurs chercheur en sciences de 
l’éducation au Centre interdisciplinaire de recherche normand en 
éducation et formation (CIRNEF) dénonce un glissement philosophique : un 
mouvement de jeunesse peut-il seulement avoir une activité de tourisme ? 
Dans un article publié sur The Conversation, co-écrit avec Cyril 
Dheilly, lui aussi chercheur au CIRNEF, il revient sur l'histoire de la 
relation entre tourisme et colonie de vacances, expliquant que leurs 
liens « ont toujours été ténus, mais jamais les colonies de vacances ne 
sont tombées à pieds joints dans le tourisme ».

« Le tourisme et les colonies de vacances furent tous deux l’apanage de 
la noblesse puis de la bourgeoisie. Le tourisme s’organise en industrie 
dès le XIXe siècle pour occuper le temps libre des bourgeois, par les 
bourgeois, pour les bourgeois, écrivent-ils. Les colonies de vacances, 
quant à elle, organisent le temps des enfants pauvres ou d’ouvriers par 
la bourgeoisie pour les rendre plus forts et plus sains, pour qu’ils 
deviennent les bons ouvriers de demain. L’hygiénisme domine, souvent 
dans la charité. Ce qui distingue tourisme et colonie de vacances, c’est 
la finalité et le public concerné. Ce qui les rapproche se révèle être 
le déplacement et l’utilisation du temps libre. » Depuis le XXe siècle, 
les chercheurs rappellent que les colonies de vacances ont été et 
continuent d'être un outil de politiques publiques « permettant 
d’aménager le territoire, de construire des mixités, de travailler sur 
le rythme de vie des enfants et de leurs parents ou de penser une 
société du care et de la paix ».

Or, assimiler les colonies de vacances à du tourisme, « c’est aussi, et 
définitivement, placer la question économique au-dessus de la question 
éducative, c’est officialiser que les colonies de vacances et les 
classes de découvertes relèvent de la Direction générale des entreprises 
et non plus d’une direction spécifique au sein d’un ministère dédié ». 
Avec un risque non négligeable : « Accepter cette transposition revient 
à accepter la fermeture d’associations qui organisent des séjours à des 
fins non commerciales, dont les modèles ne sauraient limiter les enfants 
à des programmes préétablis, aux risques préquantifiés. Le champ de 
l’animation risque d’en être non pas bouleversé mais annihilé, avec des 
catégories d’enfants qui n’auront plus accès aux vacances. »

Sollicité par ces associations, les équipes du Premier ministre ont 
répondu comprendre leurs inquiétudes et les rejoindre sur le fond. Elles 
plancheraient sur des solutions juridiques pour sortir de l'impasse. 
L'enjeu est important : les vacances d'été de centaines d'enfants en 
dépendent.

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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