[Infoligue] Après la rentrée en chansons, priorité à l’éducation musicale ?

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 13 Sep 08:08:00 CEST 2018


Après la rentrée en chansons, priorité à l’éducation musicale ?

Publié par : https://theconversation.com/
Le : 11 septembre 2018
Auteur : Philippe Coulangeon - Sociologue directeur de recherche au 
CNRS, Sciences Po – USPC

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Pour la deuxième année consécutive, en 2018, les ministres de 
l’Éducation nationale et de la Culture se sont associés pour une rentrée 
en musique dans les écoles, collèges et lycées. Comme l’année 
précédente, il s’agissait d’accueillir les élèves « par des chants ou 
des concerts afin de commencer l’année sous le signe de la joie et de la 
sérénité », selon les mots du communiqué de presse officiel.

Portée par la conviction que « le développement de la pratique 
collective de la musique est essentiel pour bâtir l’école de la 
confiance », cette rentrée en musique s’inscrit dans le cadre d’une 
action plus vaste en faveur de l’éducation artistique et culturelle. Les 
deux ministères y font la part belle à la pratique musicale, à travers 
notamment la mise en place du « plan chorale » dans l’ensemble des 
établissements du primaire au bac, suivi par la création, en cette 
rentrée 2018, d’un enseignement facultatif de chant dans les collèges.

Des vertus éducatives discutées

La priorité donnée à la musique et au chant doit sans doute en partie 
aux vertus éducatives qui lui sont souvent prêtées. La pratique musicale 
est ainsi réputée favoriser les capacités de concentration, de 
mémorisation et de synchronisation. Elle est aussi présumée encourager 
la productivité et la créativité, réduire le stress, et développer 
l’empathie. Prenant appui sur des recherches récentes dans le domaine 
des neurosciences, notamment les travaux d’Isabelle Peretz, l’idée selon 
laquelle la pratique musicale, en plus d’adoucir les mœurs, rendrait 
intelligent, sociable et efficace est pourtant assez largement controversée.

S’agissant en particulier des effets sur les capacités cognitives et les 
apprentissages scolaires, les études existantes livrent des résultats 
contradictoires. Certaines suggèrent un effet robuste de la pratique 
musicale sur les résultats scolaires, particulièrement prononcé pour les 
élèves de milieu défavorisé. D’autres soulignent au contraire l’absence 
d’effet significatif, le lien entre la pratique musicale et les 
performances cognitives relevant en grande partie d’un biais de sélection.

Il est en effet possible que les enfants et les adolescents qui 
pratiquent la musique diffèrent des autres sous le rapport de 
caractéristiques pour partie inobservables (génétiques, notamment) qui 
jouent simultanément sur les performances cognitives et les résultats 
scolaires d’une part, et sur l’engagement dans la pratique musicale, 
d’autre part.

L’impact d’une pratique périscolaire

D’ailleurs, l’effet de la pratique musicale sur les trajectoires et les 
résultats scolaires, s’il existe, est sans doute partiellement d’une 
autre nature. Il faut garder à l’esprit que cette pratique s’effectue 
aujourd’hui principalement, en France, en marge du temps scolaire. Menée 
à partir des données du panel d’élèves français entrés en classe de 6e à 
la rentrée 2007 (et suivis par la Direction de l’évaluation, de la 
prospective et de la performance (DEPP) du Ministère de l’Éducation 
nationale), une recherche récente fait ressortir l’impact positif sur 
les résultats des collégiens en français et en mathématiques d’un 
certain nombre de pratiques extrascolaires.

C’est le cas de la musique, mais pas seulement – la pratique sportive 
produit quasiment les mêmes effets. Ces pratiques ont en commun de 
prolonger au-delà du temps scolaire un encadrement des usages du temps 
dont on peut penser qu’il est en soi bénéfique aux élèves. Si elle 
suggère un impact sur les résultats scolaires, l’étude ne montre en 
effet pas d’impact significatif sur les compétences cognitives stricto 
sensu, telles qu’elles sont mesurées par la DEPP chez les élèves du panel.

On peut ainsi penser que c’est aussi parce qu’elle requiert, en les 
exacerbant, les dispositions sollicitées par nombre d’apprentissages 
scolaires – engageant un rapport au temps fait de répétition, de 
patience, de satisfaction différée, de discipline – que la pratique 
musicale va de pair avec de meilleurs résultats. Et dans la mesure où 
ces pratiques sont très diversement présentes selon le milieu social des 
élèves – avec une forte prédominance dans les environnements favorisés 
–, elles tendent à renforcer les inégalités de réussite scolaire.

C’est en tout cas la thèse formulée il y a une quinzaine d’années par la 
sociologue américaine Annette Lareau, qui caractérisait notamment le 
style éducatif des familles des classes supérieures par l’importance 
accordée à ce type de pratiques. À cet égard, ce n’est sans doute pas 
tant l’effet bénéfique de cet encadrement des usages du temps libre dans 
les milieux favorisés qu’il convient de souligner, que le préjudice subi 
par les enfants de milieu populaire beaucoup plus largement livrés à 
eux-mêmes hors de l’école. L’impact très inégal des vacances, et en 
particulier des grandes vacances d’été – dont profitent peu les enfants 
de milieux défavorisés – procède vraisemblablement des mêmes causes.

Des signaux contradictoires

Sur ces questions, l’école française se singularise par le rôle très 
limité de l’Éducation nationale dans l’encadrement du temps 
périscolaire, très largement confié à la responsabilité des familles, 
des collectivités locales et du secteur associatif. Si la rentrée en 
musique ou le plan chorale signale une volonté plus globale de 
réinvestir des activités qui, parce qu’elles s’exercent aujourd’hui 
principalement à la périphérie de l’École, ont un effet très 
inégalitaire, elles peuvent alors contribuer, aussi modestement que ce 
soit, à réduire les écarts de trajectoires et de performances entre élèves.

Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que le gouvernement actuel, 
qui a entériné il y a quelques mois le retour à la semaine des quatre 
jours dans 80 % des écoles, livre en la matière des signaux 
contradictoires. L’éducation artistique et culturelle pourrait être un 
levier tout à fait pertinent de reconquête des temps périscolaires, mais 
on voit mal comment elle pourrait exercer de tels effets dans le cadre 
d’un temps scolaire réduit – la France se singularisant déjà par un 
volume horaire scolaire global parmi les plus faibles d’Europe.

Quoi qu’il en soit, au vu des incertitudes qui entourent les effets des 
activités extrascolaires en général et des activités musicales en 
particulier sur les performances des élèves, il est à craindre que 
l’impact de ces dispositifs soit dans l’immédiat jugé décevant, si l’on 
se contente de les évaluer à cette aune. Mais il est aussi permis 
d’interroger le bien-fondé de cette tendance à indexer la légitimité de 
l’action publique dans le domaine culturel sur ses effets « extrinsèques 
» : lutte contre le décrochage scolaire, la fracture sociale, la 
ghettoïsation des quartiers populaires, etc.

À cette tendance, qui se manifeste aussi dans la conception des 
politiques d’attractivité économique et touristique des territoires, on 
peut tout aussi bien opposer les vertus intrinsèques des arts à l’École 
en général, et de la musique en particulier. Considérer en d’autres 
termes que les pratiques chorales et musicales à l’École puissent être à 
elles-mêmes leur propre fin.

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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