[Infoligue] « Réfléchir sur l’évolution de la philanthropie que nous voulons en France »

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 10 Jan 09:35:22 CET 2019


« Réfléchir sur l’évolution de la philanthropie que nous voulons en France »

Le débat sur la fonction de redistribution que peut jouer le don dans un 
pays qui est statistiquement le moins généreux du monde occidental 
mérite mieux que quelques slogans anti-riches, estime Stéphane Lauer, 
éditorialiste au « Monde ».

Par Stéphane Lauer
Publié par : LE MONDE
Le : 31 décembre 2018

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Chronique.

Pendant que certains, sur les ronds-points de France et de Navarre, 
réclamaient de changer la vie en augmentant le pouvoir d’achat, d’autres 
proposaient de « Changer par le don ». Cette initiative lancée, début 
décembre, en plein conflit des « gilets jaunes », par Denis Duverne, 
président du conseil d’administration d’Axa, et Serge Weinberg, son 
homologue chez Sanofi, vise à faire appel à la générosité des plus 
riches en léguant au moins 10 % de leurs revenus ou de leurs fortunes au 
monde associatif.

Prendre et donner : deux faces de la même pièce qui taraude une société 
obnubilée par la notion d’égalité. Bien sûr, on ne pouvait imaginer pire 
calendrier pour parler philanthropie. Alors que l’essentiel du débat est 
focalisé sur les fins de mois, la démagogie ambiante aura vite fait de 
classer l’initiative au rang des « bonnes œuvres » d’une catégorie de 
population « fin de race », déconnectée de ce que vit la majorité des 
Français. Toutefois, en ces temps de jacquerie où le simplisme est 
devenu l’alpha et l’oméga de la réflexion citoyenne, le débat sur la 
fonction que peut jouer le don dans un pays qui est statistiquement le 
moins généreux du monde occidental mérite mieux que quelques slogans 
anti-riches.

Réfléchir sur le système français

Selon les données recueillies par les économistes Gabrielle Fack, 
Camille Landais et Alix Myczkowski dans leur ouvrage Biens publics, 
charité privée (Cepremap, éditions Rue d’Ulm, 104 pages, 9 euros), les 
Français donnent en moyenne 0,3 % de leurs revenus, soit huit fois moins 
que les Américains. Et la situation ne s’améliore pas. Il y a quelques 
jours, Serge Weinberg nous confiait que, depuis la suppression de 
l’impôt sur la fortune (ISF) le 1er janvier, on constate une chute de 
près de 50 % des dons à certaines grandes associations.

Ce contrecoup a de quoi faire réfléchir sur le système français, qui 
propose un abattement qui peut aller jusqu’à 75 % du montant du don pour 
un coût global de 2,2 milliards d’euros par an pour les caisses de 
l’Etat. La France est ainsi le pays où les incitations fiscales sont les 
plus généreuses du monde. On ne peut pas en dire autant des 
bénéficiaires, qui, lorsqu’ils n’ont plus besoin de défiscaliser, sont 
beaucoup moins enclins à partager leur fortune.

« La France a sans doute utilisé de façon excessive les incitations 
fiscales », estiment les économistes, qui considèrent que les efforts 
devraient plutôt porter sur la structuration du secteur à but non 
lucratif afin de favoriser l’initiative privée dans les domaines 
d’intérêt général. « A quoi cela sert-il d’avoir de fortes incitations 
aux dons si les acteurs qui produisent ces biens publics ne sont pas 
organisés pour faire appel aux dons ? », s’interrogent-ils tout en 
relevant que des institutions publiques comme les universités ou les 
hôpitaux faisaient jusque très récemment peu appel à la générosité, 
faute de structures adéquates.

Le cadre a évolué avec la création en 2007 du statut de fondation 
universitaire et en 2014 celui de fondation hospitalière. Mais au regard 
des limites de plus en plus flagrantes des finances publiques et le 
délabrement de plus en plus prononcé de nos facultés et de nos 
établissements hospitaliers, les besoins grandissants en matière de 
lutte contre la pauvreté et de promotion de la réinsertion, il ne semble 
pas incongru d’encourager encore davantage la collecte de dons en fixant 
des objectifs précis et en établissant clairement les règles et les 
contrôles sur l’utilisation des fonds.

La France doit-elle pour autant basculer vers un modèle à l’américaine ? 
« Cela ne peut pas être notre horizon, affirme Serge Weinberg. En 
revanche, il y a en France une sorte de respect immodéré de l’Etat comme 
seul détenteur du bien public. Je pense qu’il est nécessaire qu’il 
existe d’autres parties prenantes. Les associations sont des lieux 
d’innovation sociale, qui, en étant proches du terrain, permettent 
d’apporter des réponses originales et efficaces là où l’Etat et les 
collectivités locales sont de moins en moins capables de le faire. »

Les promoteurs de « Changer le don », qui réunit déjà plus de 60 
donateurs et vise 400 engagements d’ici à la fin 2019, ne prétendent pas 
suppléer à des financements publics défaillants, mais veulent avant tout 
participer à l’invention de nouveaux modes opératoires, insiste M. Weinberg.

Les gagnants du système

On est effectivement loin du système américain. Aux Etats-Unis, la 
philanthropie est omniprésente. Selon David Callahan, le fondateur du 
site Web Inside Philanthropy, en moins d’un siècle, le nombre de 
fondations a été multiplié par 500 et le montant de leurs actifs est 
passé d’un milliard de dollars (874 millions d’euros) à 800 milliards 
aujourd’hui. Un modèle ? Pas vraiment, répond le journaliste Anand 
Giridharadas, qui vient de publier Winners Take All. The Elite Charade 
of Changing the World (Les gagnants prennent tout. Le simulacre des 
élites qui allaient changer le monde, Knopf, 304 p., non traduit), un 
livre qui a eu un certain retentissement dans une Amérique qui devient 
de plus en plus ploutocratique.

Pour lui, la philanthropie a été mise en place par les gagnants du 
système pour que celui-ci ne change pas. Il s’interroge par exemple sur 
le fait que les problèmes les plus cruciaux (inégalités, pauvreté, 
éducation) sont confiés à une caste non élue plutôt qu’à des 
institutions publiques qui sont sapées par le lobbying et l’optimisation 
fiscale. « Les philanthropes américains ont créé un système qui assèche 
le bien public et qui charge ceux qui l’ont ruiné de le réparer. On 
demande aux incendiaires d’être les pompiers », accuse-t-il. Il reproche 
également au système de contribuer à biaiser le débat d’idées : après 
avoir participé au déclin de l’université publique et assisté à celui de 
l’édition et de la presse, il place sous influence les intellectuels en 
finançant leur travail.

La charge est lourde, mais elle donne à réfléchir sur l’évolution de la 
philanthropie que nous voulons en France. Si « le don doit changer », 
les missions d’intérêt collectif doivent rester sous le contrôle étroit 
d’institutions publiques et démocratiquement élues. La générosité 
privée, elle, ne peut venir qu’en appui.

Stéphane Lauer

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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