[Infoligue] Philanthropie : « Toute somme offerte par un riche donateur pèse sur le reste des citoyens »

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 10 Jan 09:33:31 CET 2019


Philanthropie : « Toute somme offerte par un riche donateur pèse sur le 
reste des citoyens »

Lorsque les riches se font philanthropes, il ne faut pas oublier que 
l’Etat, en abondant, reste le premier payeur, explique l’économiste 
François Meunier dans une tribune au « Monde ».

Par François Meunier
Publié le 08 janvier 2019
Par : LE MONDE

*******************


Tribune.

Serge Weinberg, président de Sanofi, et Denis Duverne, président d’Axa, 
ont lancé l’appel « Changer par le don » auprès de personnes riches pour 
qu’elles s’engagent à donner au moins 10 % de leur revenu ou de leur 
patrimoine. Plusieurs personnalités se sont déjà ralliées à ce projet, 
dont l’objectif est d’arriver à 400 donateurs d’ici à la fin de l’année.

Dans un contexte français où les riches donnent peu, et plutôt moins que 
le reste de la population en proportion du revenu, l’initiative est à 
saluer. Pourtant, quelque chose gêne dans un des arguments qui 
justifient la démarche. On lit en effet sur le site : « Ces initiatives 
sont d’autant plus nécessaires que l’action publique a trouvé ses 
limites : limites en termes de légitimité vis-à-vis des acteurs proches 
du terrain, limites quantitatives quand la dépense publique représente 
55 % du PIB. L’Etat n’a pas d’autre choix que de partager la gestion du 
bien commun avec les citoyens. »

En clair, l’Etat s’épuiserait dans sa fonction de « providence » et la 
pression fiscale est à son comble : au privé de prendre le relais. Or, 
ce n’est pas la réalité.

Grâce au code fiscal français, en effet, quand le privé donne 100 €, 
l’Etat lui rend 66 € ou 75 € selon l’association choisie – et 75 € au 
titre de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) dans la limite de 50 
000 €. Autrement dit, pour un euro net donné, l’Etat double au minimum 
la mise, ceci dans la limite de 20 % du revenu. Et les legs et donations 
aux œuvres sont exonérés de droits.

Fort engagement social de l’Etat

Si l’Etat devient « illégitime » et atteint ses limites budgétaires, 
qu’il garde donc cet argent, d’autant plus qu’il doit financer son aide 
au don soit par une réduction d’autres dépenses, soit par des impôts 
accrus sur les autres contribuables. A budget public constant, toute 
somme offerte par un riche donateur pèse pour une bonne part sur le 
reste des citoyens, et pour des fins choisies par ce seul donateur. On 
sort du principe de finances publiques où l’impôt est universel, sans 
fléchage a priori, et surtout fait l’objet d’un choix démocratique 
collectif.

L’« appel des 400 » suscite donc deux réactions opposées : on se 
félicite d’abord d’une prise de conscience par les gens riches que leur 
bonne fortune doit aller de pair avec la générosité. Cela fait suite, 
avec quelques années de retard, au Giving Pledge lancé aux Etats-Unis 
par Bill Gates et Warren Buffett, un engagement donné par les grosses 
fortunes signataires de donner à la philanthropie 50 % de leur 
patrimoine. Ou encore au Giving White Paper, lancé par le gouvernement 
conservateur britannique en 2011, pour que les riches donnent 10 % de 
leur revenu. Mais on s’interroge aussi sur ce que signifie une aide 
fiscale forte dans nos sociétés quand, d’année en année, l’éventail des 
revenus et des patrimoines s’élargit.

Traditionnellement, la France fait partie des pays où les gens donnent 
peu aux œuvres. Rien à voir avec les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne. 
Notre pays se classe 72e au World Giving Index de 2018, un indice de 
générosité philanthropique établi par la Charities Aid Foundation 
britannique. La raison ne tient pas à une aide fiscale trop réduite, 
notre système étant, depuis les réformes du début des années 2000, l’un 
des plus généreux au monde. L’explication relève davantage du fort 
engagement de l’Etat dans l’aide sociale, l’éducation ou la culture : 
beaucoup jugent qu’ils paient déjà assez d’impôts ou, mieux, que 
l’action publique est le véhicule le plus naturel pour convoyer l’aide.

Un rapport à l’argent particulier

Par exemple, la Suède, pays de forte redistribution par le canal public, 
n’est guère mieux placée (42e) que la France dans le palmarès cité. Le 
droit successoral français, limitant donation et legs à la quotité 
disponible, joue également si on le compare aux pays où prévaut la 
liberté de disposer de son héritage. Enfin, notre rapport à l’argent est 
particulier : on ne retrouve pas chez nous le côté valorisant du don 
comme aux Etats-Unis. On parle là-bas du « warm glow », difficile à 
traduire sinon par « lueur qui réchauffe davantage celui qui l’émet que 
celui qui la reçoit ». Le terme évoque le sentiment de plénitude et 
d’estime de soi qu’apporte l’acte de donner.

Article réservé à nos abonnés Lire aussi  Gabriel Attal : « Il faut que 
les grandes fortunes françaises puissent léguer leur argent à des œuvres »
Aux Etats-Unis, le phénomène a pris des dimensions spectaculaires que 
l’historien Paul Veyne appellerait « évergétisme », faisant référence 
aux très inégalitaires sociétés de l’Antiquité dans lesquelles les 
riches se voyaient honorés par l’ensemble de la communauté parce qu’ils 
bâtissaient des temples ou des fontaines. Le don finit par prendre un 
statut différent ; plus qu’un revenu qu’on abandonne, il devient 
consommation d’un bien supérieur, celui qui donne visibilité sociale, 
enrichissement moral personnel, activités variées au moment de la 
retraite, etc., un phénomène qu’analysait déjà Thorstein Veblen dans 
l’Amérique du capitalisme triomphant au tournant du XXe siècle. Qui plus 
est, une « consommation » où la collectivité y va de sa poche, soit 
directement par l’aide fiscale, soit indirectement en baissant les 
impôts sur les riches. On est encore loin de cela en France.

Il est souhaitable que l’Etat encourage les citoyens, forts de leur 
proximité du terrain et des besoins qu’ils identifient, à choisir là où 
certaines ressources publiques doivent être affectées. Mais il faut 
réfléchir aux limites à y donner dans un contexte de disparité 
croissante des revenus. Cela conduira probablement à limiter en montant 
absolu l’avantage fiscal de la philanthropie.

François Meunier (Economiste à l’Ensae ParisTech)

-- 

-----------------------
Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
-----------------------
Nos sites :
http://www.laligue-alpesdusud.org
http://www.laligue-alpesdusud.org/associatifs_leblog
-----------------------





Plus d'informations sur la liste de diffusion Infoligue