[Laicite-info] La question laïque en 2011 : un débat peut-il en cacher dix autres ?
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 5 Mai 08:29:22 CEST 2011
La question laïque en 2011 : un débat peut-il en cacher dix autres ?
Une analyse d'Audrey Baudeau Docteur en Sciences de l’Education Mention
Histoire
Publié par : http://blogs.mediapart.fr
Le : 04 Mai 2011
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Nous proposons de poser quelques interrogations en lien avec la laïcité
et de laisser apparaître celles sous-jacentes qui ont d’autres enjeux
que la laïcité à travers trois exemples d’actualité absolument différents.
1. Doit-il appartenir au gouvernement républicain laïque de s’occuper
des religions ?
Le débat sur la laïcité n’a pas débuté qu’il est déjà mal engagé. Il
serait en effet question en partie de l’islam et de sa compatibilité
avec les lois de la République. Pourquoi parler d’une religion en
particulier alors que le sujet de la laïcité a cet avantage majeur de
pouvoir traiter de toutes ? De quoi voulons-nous parler, de laïcité ou
d’islam ?
Il s’agirait notamment de savoir « Comment organiser l’islam en France ?
», est-ce bien là le rôle d’un gouvernement républicain ?
Et comment, ceux concernés, les musulmans acceptent-ils qu’un
gouvernement se permette de vouloir organiser leur religion ?
Il serait donc question d’examiner : le nombre et l’organisation des
lieux de culte, la formation des imams, le contenu de leurs prêches, la
langue utilisée pour s’adresser aux fidèles, … Depuis quand
appartient-il au gouvernement de s’intéresser à cela ? Ne devrait-il pas
plutôt se préoccuper de la formation des enseignants, du contenu des cours ?
En réalité, il semble aujourd’hui difficile de ne pas se soucier de
religion. Simplement ne pas s’en soucier. Il est évident que l’attitude
du Président de la République laisse perplexe. Dans son ouvrage intitulé
« La République, les religions, l’espérance », Nicolas Sarkozy n’hésite
pas à opposer les valeurs religieuses aux valeurs républicaines : « Je
suis convaincu que l’esprit religieux et la pratique religieuse peuvent
contribuer à apaiser et à réguler une société de liberté […] On aurait
tort de cantonner le rôle de l’église aux seuls aspects spirituels […]
On ne peut pas éduquer les jeunes en s’appuyant exclusivement sur des
valeurs temporelles, matérielles, voire même républicaines […](1). Lors
de sa visite officielle au Vatican en décembre 2007, il précisait que «
Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la
différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais
remplacer le curé ou le pasteur, même s’il est important qu’il s’en
approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice
de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. » (2).
Quel intérêt cela cache t-il ? Comment considérer l’annonce de ce débat
sur la laïcité avec bienveillance ?
1. Faut-il repenser la laïcité ou bien l’appliquer ?
Promenez-vous en avril près de Notre Dame dans le 5e arrondissement de
Paris et assistez à la procession catholique « notre Seigneur dans la
rue », vous constaterez qu’elle mobilise autrement et qu’elle bloque
autrement la voie publique que quand les musulmans prient en pleine rue.
Alors quel est le problème ?
Le fait que des musulmans prient dans la rue pose la seule question de
l’utilisation de la voie publique pour des manifestations religieuses.
La laïcité est bien faite, il n’est pas nécessaire de parler d’une
religion, il est possible de traiter cette question au sens général.
Il s’avère qu’en France, la législation soumet à la déclaration
préalable pour toute manifestation religieuse. Le principe est la
liberté. L’interdiction ne peut intervenir que si la manifestation est «
de nature à troubler l’ordre public » (3).
Il appartient à la police municipale « d’assurer le bon ordre, la
sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». Elle comprend
[notamment] : 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du
passage dans les rues, quais, places et voies publiques (…) ; 2° Le soin
de réprimer les atteintes à la tranquillité publique (…) ; 3° Le
maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands
rassemblements d’hommes (…) » (4).
La police ne peut donc pas intervenir si cela dérange seulement «
philosophiquement » le voisinage, elle le peut si l’autorisation
préalable n’a pas été déposée ou si cela trouble l’ordre publique.
→ Pourquoi ne pas s’en tenir à l’application de la loi ? Et surtout,
pourquoi stigmatiser une religion alors qu’il est pertinent de traiter
cette question au sens général ?
2. La laïcité concerne t-elle et traite t-elle équitablement toutes les
religions ?
La question du financement indirect des lieux de culte se pose actuellement.
« La République ne reconnaît, ne salarie et ne subventionne aucun culte"
(5). L’article 2 de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de
l’Etat est clair. Il stipule que l’Etat français renvoie le religieux à
la sphère privée, et ne finance donc aucun culte sur son territoire, et
ce, quelle que soit la religion.
L'Etat est propriétaire des édifices anciens donc les édifices religieux
(synagogues ou églises) bâtis avant 1905 sont devenus propriétés de
l'Etat, qui les prête gratuitement aux églises. De fait, l’Etat est tenu
de financer la restauration et l’entretien des bâtiments à ses propres frais
Il n’en va pas de même pour les édifices érigés après 1905, dont
l’entretien revient en revanche aux organisations cultuelles concernées (6).
Mais il existe des moyens de contourner cette loi simple et claire. On
pourrait s’interroger sur la pertinence de vouloir contourner la loi
alors qu’elle permet un traitement équitable des citoyens. Le manque de
lieux de culte, notamment musulmans, est une des raisons.
La législation française autorise ainsi l’Etat à financer des
associations culturelles, loi de 1901. Des locaux, qui ont une vocation
culturelle, mais qui hébergent un lieu de culte, peuvent alors recevoir
des financements publics. Ainsi, un Centre d'art sacré, situé dans
l'enceinte de la cathédrale d’Evry, avait bénéficié en 1990 d'une
subvention d'Etat de 5 millions de francs (899.350 euros).
→ Il est possible de se demander si la somme est justifiée ou s’il ne
serait pas pertinent d’interdire dans ce cas précis les subventions à
des associations culturelles qui hébergent un lieu de culte mais soit
pour l’interdire à toutes les associations soit pour continuer ainsi en
faisant confiance au bon sens de l’Etat.
Le bail emphytéotique administratif est une autre manière de contourner
la loi. C’est un bail destiné à permettre à une collectivité
territoriale propriétaire d’un bien immobilier de le louer pendant une
longue durée (jusqu’à 99 ans) pour un modique loyer dans le cas
notamment de l’ « accomplissement d’une mission de service publique » ou
de la « réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa
compétence » (7). L’ordonnance du 21 avril 2006 permet que soit conclu
un bail emphytéotique avec une association cultuelle en vue de la
construction d’un édifice du culte ouvert au public.
Diverses municipalités font le choix de conclure des baux emphytéotiques
pour la construction d’édifice religieux à Marseille, à Montreuil, … Ces
mesures, que l’on soit pour ou contre, ne concernent pas seulement une
religion et peuvent là encore être questionnées sans stigmatiser l’une
ou l’autre des religions.
Avant 2006, il était possible de s’interroger sur la notion « d’intérêt
général » ou de « mission de service publique » que revêtait la
construction d’un édifice du culte. Depuis 2006, il est possible de se
passer de cette interrogation.
→ La question sous-jacente qui semble se poser c’est la confiance que
l’on place dans les responsables politiques qui doivent juger de
l’intérêt général ou de la nuisance à l’ordre public (dans le cas des
prières en pleine rue).
Vouloir compenser le dit déficit des lieux de culte autres que
catholiques soulève un certain nombre de questions. Faut-il compenser le
manque de lieux de culte de toutes les religions existantes en France ?
Comment procéder ? Faut-il construire au prorata des croyants ? Dans ce
cas il faudrait que chaque citoyen s’exprime sur sa pratique ou que cela
soit inscrit sur sa carte d’identité sinon c’est du « grosso modo ». Or
justement nous avons choisi une société laïque dans laquelle la religion
n’est pas inscrite sur la pièce d’identité. Assumons nos choix de
société. Cela ne veut sûrement pas dire qu’il faut compenser avec les
églises construites au Moyen-Âge. Que cherchons-nous à compenser en
définitive ?
IV La question laïque ne révèle t-elle pas bien souvent un manque de
discernement ?
Des exemples pas si isolés que ça donnent à voir des municipalités qui
laissent les animateurs jeunesse faire leur prière sur leur temps de
travail à côté des enfants dont ils ont la charge tandis qu’elles
poussent à la démission une jeune femme compétente qui porte le voile
dans la sphère privée uniquement. En France, il n’y a ni un problème de
laïcité ni un problème d’islam, il y a surtout un problème de
discernement. Quand une municipalité laisse des fautes professionnelles
se commettre mais que dans le même temps elle exclue sur des jugements
de vie privée, se cachent - mal d’ailleurs – de sérieuses interrogations.
→ Des questions de société intéressantes par ailleurs : faut-il acheter
la paix sociale ? Quelle réelle acceptation de la femme compétente en
milieu professionnel ?
La question des mamans voilées qui accompagnent les élèves en sortie
scolaire pose à la fois la question de l’application des textes
juridiques en la matière et celle du discernement.
Tout d’abord, la loi du 17 mars 2004 relative au port de signes
religieux à l’école ne concerne pas les parents d’élèves et aucun autre
texte ne le stipule. Pourquoi ne pas s’en tenir à cela ?
La qualité de collaborateur bénévole auquel sont assimilées les mamans
ne peut emporter reconnaissance du statut d'agent public, avec
l'ensemble des droits et des devoirs qui y sont rattachés (8). Il est
faut de dire que les mamans qui accompagnent les élèves en sortie
scolaire sont comme assimilées à l’équipe enseignante. Les mamans aident
seulement à l’accompagnement. Elles n’accompagnent jamais seules, il y a
toujours un éducateur qui a la charge du groupe. Sinon, leur fait-on
passer un test pédagogique ? Pourquoi serait-il plus gênant une maman
qui porte le foulard qu’une maman exprimant un total désaccord avec les
programmes d’histoire de l’école primaire ? Il ne faut pas tout
confondre et une maman voilée ne devient pas enseignante parce qu’elle
accompagne un groupe d’élèves. En revanche, si lors d’une sortie, une
maman voilée tenait des propos prosélytes cela pourrait lui être
reprochée mais tout autant (ni plus ni moins) qu’une maman qui
dénigrerait le contenu des programmes d’histoire. Ni les enfants ni les
parents ne sont idiots. Ils peuvent comprendre qu’il s’agit d’abord
d’une maman qui donne du temps pour accompagner des élèves parce que la
sortie pourrait bien ne pas se faire si l’enseignant n’est pas épaulé
dans l’encadrement. Et c’est bien cela la réalité du terrain.
V La politique doit-elle se résumer en un nuage de consensus sans que ne
rayonne le moindre projet de société ?
A partir du moment où l’on choisit de vivre en société, il faut accepter
les droits et les devoirs, les garanties et les contraintes. Il n’y a
pas de société qui satisferait pleinement toutes les consciences et
toutes les pratiques. Mais la laïcité garantit un vivre ensemble
pour tous. Avec des contraintes. Un Etat impose des lois qui forcément
obligent les citoyens à faire des compromis avec leurs convictions. S’il
en était autrement alors c’est tout le code civil qui serait remis en
question tant sur la question du mariage, du divorce, …
Appliquer la laïcité c’est vouloir traiter de la même manière tous les
citoyens sans se soucier ni même voir leur appartenance religieuse.
Ce qu’il ne faudrait pas oublier c’est que si les citoyens doivent
accepter les devoirs qui vont avec les droits, l’Etat lui aussi doit
honorer ses responsabilités. Tout en assumant le cadre sociétal qu’il
pose, tout en imposant des règles, il se doit d’offrir à ses citoyens
l’envie et les moyens de se sentir citoyen d’une République laïque
française.
→ N’y a t-il pas derrière les exemples précédemment cités comme un
malaise que les gouvernants tentent de compenser ? Au final, est-il tant
question de laïcité ou d’islam ? N’est-il pas question de l’incapacité
des politiciens à tenir un cadre sociétal (préférant acheter une paix
sociale), à prendre le risque de traiter équitablement tous les citoyens
(préférant acheter les voix de quelques groupes), à penser une politique
positive d’intégration, à combattre le racisme et toutes les
discriminations, à offrir un projet de société à tous ceux qui habitent
en France ?
Pour la seule question de l’intégration, comme il est étrange de penser
qu’elle se résoudrait par une adaptation de la laïcité ! Ne faut-il pas
plutôt sur ce sujet travailler à des mesures concrètes et politiques
d’accueil, d’accompagnement et d’intégration (accompagnement des
nouveaux résidents tant sur l’apprentissage du français que sur le plan
administratif, scolaire, professionnel, remettre au cœur du système
scolaire un projet citoyen pour chaque élève, …).
A la question de l’intégration, il ne faut pas des demi-réponses
d’aménagement du cadre sociétal, il faut des réponses entières,
politiques et positives.
Assumons notre choix de société laïque ou bien assumons d’en changer.
Mais le compromis sera forcément compromettant pour ce principe aussi
noble qu’est la laïcité.
1. Mais qu’est-ce que la laïcité ?
Sans être contre l’idée de parler de la laïcité, il faudrait déjà
l’appliquer pour en parler. Les lois en la matière n’ont pas été si mal
pensées et la laïcité garantit quand elle est simplement appliquée, un
juste traitement des citoyens. C’est son application partielle, donc
injuste, qui crée des tensions, des discriminations, des replis
communautaires, des besoins de s’affirmer en tant que musulman,
catholique, juif, … parce que la laïcité n’a pas pu jouer son rôle
d’équité et d’unité. Il y a peu de problème de laïcité, mais il y a
beaucoup de malins qui l’utilisent pour noyer d’autres enjeux
politiques. C’était déjà ainsi en 1924, pourrions-nous évoluer un peu ?
La laïcité est le cadre le mieux pensé pour vivre ensemble parce qu’il a
le grand mérite de traiter équitablement les citoyens. Aujourd’hui, sous
couvert de laïcité et d’islam, se faufilent de réels manques de courage
politique, de discernement, et de projet de société.
Mais si vous voulez toujours parler de la laïcité : alors parlons de
l’introduction de la législation laïque en Alsace et en Moselle, de
l’enseignement d’une morale laïque à l’école, du financement des
associations culturelles qui hébergent des lieux de culte, … Ayons un
débat non pour estomper les contours de la laïcité mais pour la promouvoir.
Conclusion
Si la question laïque est en lien avec la question religieuse, elle
n’est pas pour autant l’affaire des religions. La question laïque est
une question politique. Une ou encore plusieurs religions émergeraient
que cela ne changerait rien aux principes juridiques et à l’idéal que la
laïcité propose. La laïcité mérite d’être affirmée au contraire par une
unité d’application.
(1) La république, les religions, l’espérance », Nicolas Sarkozy, 2004.
(2) Discours de Nicolas Sarkozy au palais du Latran, le 20 décembre
2007. Nicolas Sarkozy précise également que « La désaffection
progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la
disparition des patronages, la pénurie de prêtres, n’ont pas rendu les
Français plus heureux. C’est une évidence. »
(3) Décret-loi du 29 octobre 1935 soumet les manifestations religieuses
à la déclaration préalables et opère une distinction entre les
manifestations seulement religieuses qui n’ont pas de caractère
coutumier, ni régulier et les manifestations cultuelles. Ces dernières
ont un caractère traditionnel, coutumier et régulier et ne sont pas
soumises à la déclaration préalable.
(4) Les cérémonies, processions et autres manifestations du culte sont
réglées conformément aux dispositions combinées de l’article L. 2212-2
du Code général des collectivités territoriales et l’article 27 de la
loi du 9 décembre 1905. S’y ajoute le décret-loi du 20 octobre 1935
précédemment cité.
(5) DURAND-PRINBORGNE C. La Laïcité, Paris, Coll. Connaissance du droit,
Editions Dalloz, 1996, p. 58.
(6) DURAND-PRINBORGNE C. La Laïcité, Paris, Coll. Connaissance du droit,
Editions Dalloz, 1996, p. 107.
(7) Le bail emphytéotique administratif est régi par l’article L. 1311-2
du Code général des collectivités territoriales auquel s’ajoute
l’ordonnance du 21 avril 2006.
(8)Délibération du 14 mai rendue publique le 6 juin de la Halde.
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Denis Lebioda
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