[Laicite-info] Bonne année, bonne laïcité! Par Jean Baubérot

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 5 Jan 16:12:56 CET 2012


Bonne année, bonne laïcité!

Publié par : http://blogs.mediapart.fr
Le : 03 Janvier 2012
Par Jean Baubérot

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2012 va être l’année du quitte ou double, celle où nous mettons fin au 
règne de Nicolas Sarkozy, ou celle où nous en reprenons pour cinq ans... 
avec toutes les conséquences que cela implique, notamment au niveau des 
libertés publiques. La laïcité va constituer un des éléments clefs de la 
campagne électorale. Jean-François Copé la cite régulièrement comme un 
des aspects phare du prochain programme de l’UMP. On peut compter sur la 
«droite populaire» pour le diffuser très à-droite-tement! Marine Le Pen 
ne devrait pas être en reste. Dans un ouvrage à paraître le jour même où 
l’UMP doit présenter le dit programme (le 26 janvier), je démonte en 
détail les mécanismes de cette Laïcité falsifiée (éd. La Découverte).

Mais sans attendre, voici trois règles nécessaires pour ne pas perdre la 
bataille de la laïcité, face à la droite dure et à l’extrême droite. 
D’abord, ne pas hypertrophier un des principes de la laïcité au 
détriment des autres. La laïcité est la séparation du pouvoir (en 
premier lieu du pouvoir politique, mais pas seulement: aussi du pouvoir 
dans l’entreprise, en fait de toute forme de pouvoir) et de la religion. 
La religion peut avoir autorité sur vous, si vous y consentez. Mais 
l’adhésion s’effectue de façon libre et volontaire. Elle ne peut donc 
pas exercer un pouvoir, avec ce que cela suppose de pression et de 
domination. Elle ne peut s’imposer à la loi commune.

Cela implique une exigence de neutralité de ce qui est de l’ordre du 
pouvoir et de la représentation commune, neutralité qui n’est pas celle 
de l’ignorant ou de l’hypocrite («cachez cette religion, que je ne 
saurais voir»), mais cette de l’arbitre qui veille au respect des 
règles, à ce que le jeu entre les diverses religions et convictions 
s’effectue loyalement. Mais la séparation et la neutralité ne 
constituent pas des fins en soi, ce sont des moyens pour atteindre 
certains objectifs essentiels d’une société démocratique: la liberté de 
conscience (qui inclut la «liberté religieuse» mais ne s’y limite pas), 
la non-discrimination en matière de religion et de conviction.

Ces deux principes se trouvent garantis de façon précise par les textes 
internationaux, comme le rappelle d’ailleurs un commentateur de ma 
dernière Note.

Deuxièmement, la laïcité doit donc arriver à harmoniser ces quatre 
principes et à réaliser un équilibre entre eux. Cela n’a rien d’évident 
et il existe plusieurs manières de le faire: donc l’hégémonie donnée, en 
un temps et en un lieu à une forme de laïcité, constitue toujours un 
enjeu politique et social. Pour avoir ignoré cela, pour avoir cru qu’il 
ne pouvait légitimement exister qu’un seul et unique contenu de la 
laïcité (les leurs), certaines forces de gauche ont facilité, à leur 
insu, la dérive de la représentation dominante de la laïcité de la 
gauche vers la droite et même l’extrême droite. Ils ont refusé tout 
débat interne à la gauche, et se trouvent fort dépourvu, quand Marine le 
Pen est venue… invoquer la laïcité.

Retrouver une conception de gauche de la laïcité, qui se distingue de 
celle de la droite dure et de l’extrême droite, suppose que, quand on 
pense à la laïcité, on pense global et non pas (seulement) islam. Ainsi, 
on peut débattre pour savoir si (et quand) la liberté de conscience 
implique une interprétation plutôt libérale ou une interprétation très 
stricte de la séparation et de la neutralité, l’essentiel est que l’on 
ait bien en tête les conséquences que cela doit avoir pour toutes les 
religions et les convictions, sans dispenser l’une ou l’autre d’entre 
elles de ces conséquences et avoir une laïcité (concrète) à plusieurs 
vitesses. Sinon, le principe de non-discrimination est mis à mal.

Exemple: si l’on veut constitutionnaliser les deux premiers Articles de 
la loi de 1905 (et, personnellement, je trouve que c’est une bonne 
idée), il faut le faire pour tous les départements français (quitte à 
prévoir un processus pour ceux qui, comme l’Alsace-Moselle, ne sont pas 
actuellement régis par la loi de 1905. Et si on accommode en prévoyant 
un processus, il faut aussi avoir la même logique sur d’autres aspects). 
Sinon, tel M. Jourdain faisant de la prose, on fait de la discrimination 
sans le savoir.

Troisièmement, il faut analyser la situation actuelle de la laïcité 
dominante, de la façon la plus rigoureuse possible, pour la remettre sur 
les rails de la gauche. Mon analyse personnelle est qu’il existe 
aujourd’hui un profond déséquilibre entre une atrophie du principe de 
séparation et une hypertrophie du principe de neutralité. Et comme ce 
principe de neutralité n’est pas pensé globalement, mais essentiellement 
orienté contre l’islam, la droite apparait forcément plus laïque que la 
gauche.

Tant que ce type de laïcité ne sera pas décrypté pour ce qu’il est, la 
gauche sera perdante face à la droite et à l’extrême droite. Elle aura 
beau courir après elles et proposer, de son côté, de durcir la 
neutralité, elle ne saura jamais faire aussi bien que les islamophobes 
patentés de la droite dure et du FN. On peut dire à la gauche ce que 
l’on a dit à la droite républicaine: si on les place dans cette 
perspective, si on attise leurs peurs, les gens préfèreront toujours 
«l’original à la copie». Il est tout à fait logique que, dans cette 
situation, le discours de la droite soit devenu offensif et hégémonique 
en matière de laïcité et que la gauche apparaisse plus molle et sur la 
défensive.

Actuellement (ce sera peut-être différent dans 25 ans, mais nous n’en 
sommes pas là), il faut repenser la laïcité en terme de séparation, plus 
qu’en terme de neutralité, pour arriver à rééquilibrer les choses. Et 
cela aura aussi l’avantage de ne plus faire dire parfois à la loi de 
1905 le contraire de ce qu’elle a dit! Il ne s’agit pas de prôner une 
pseudo «laïcité ouverte», mais de dire que la séparation induit des 
libertés laïques possibles pour tous. La laïcité impose aux religions et 
aux convictions que leurs exigences soient socialement facultatives.

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Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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