[Laicite-info] La laïcité en France, un athéisme d'Etat ?
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 31 Jan 09:19:19 CET 2012
La laïcité en France, un athéisme d'Etat ?
Propos recueillis par Matthieu Mégevand
Publié par : http://www.lemondedesreligions.fr/
Le : 30/01/2012
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A l’occasion de la sortie de son dernier livre, La laïcité falsifiée
(Editions La Découverte), rencontre avec Jean Baubérot, professeur
honoraire de la chaire histoire et sociologie de la laïcité à l’Ecole
pratique des hautes études.
Pourquoi, selon vous, la laïcité telle qu'elle est comprise aujourd'hui
ne correspond pas à la laïcité "historique" de 1905 (et donc en quoi
est-elle "falsifiée")?
La laïcité, et notamment la laïcité historique, est une réalité assez
complexe, puisqu’elle met en jeu, à la fois la neutralité de la
puissance publique avec la loi Jules Ferry, et la séparation des Eglises
et de l’Etat avec la loi de 1905. Les fondateurs de la laïcité ont
toujours expliqué qu’il s’agissait-là de moyens, d’instruments, en vue
de réaliser la liberté de conscience de chacun comme liberté publique,
et l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Pourtant, la tendance
de l’opinion a souvent été de réduire la laïcité à un problème, non pas
du point de vue social mais de celui de l’actualité.
Depuis 1989, la tendance est de réduire la laïcité à la visibilité de la
religion dans l’espace public et à une neutralité qui ne s’applique plus
seulement à l’Etat mais aussi aux individus, ou en tout cas à certains
d’entre eux. Evidemment, tout ceci est lié à l’augmentation des flux
migratoires et aux craintes que cela inspire, ainsi qu’au fait que
l’islam soit devenu la deuxième religion de la métropole. Le problème,
c’est qu’on hypertrophie désormais la neutralité de l’espace public et
qu’on interprète autrement la loi de 1905 en limitant la liberté de
conscience. On l’a vu lors d’une dernière décision du tribunal
administratif sur des femmes faisant de l’accompagnant scolaire et qui
portaient le foulard, indiquant qu’il n’y avait pas [en leur interdisant
le port du voile] d’atteinte "excessive" à la liberté de conscience.
Cela constitue un glissement très net par rapport à la loi de 1905 qui
dit que la République "assure" la liberté de conscience des citoyens.
Plus grave encore, on a quitté cette égalité devant la loi de manière
structurelle en demandant au Haut Conseil à l’Intégration (HCI) de faire
des propositions en matière de laïcité, ce qui signifie symboliquement
que la laïcité s’applique d’abord aux immigrés et descendants
d’immigrés, et pas à tous les citoyens.
En quoi cette "nouvelle laïcité" stigmatise-t-elle, selon vous, la
minorité musulmane?
Lorsque l’on dit que la loi de 1905 doit être constitutionnalisée, mais
qu’il n’est pas question de l’appliquer aux alsaciens-mosellans, on voit
bien qu’on est arrivé à un point où quand on pense laïcité on ne pense
plus à toute la population. Car il faut bien comprendre que, pour le
moment, l’Alsace-Moselle est la dérogation la plus importante à la
laïcité, puisque les alsaciens-mosellans n’ont ni la loi Jules Ferry
(l’école n’est pas laïque), ni la loi de 1905 (pasteurs, prêtres et
rabbins sont payés par l’Etat). Cela montre bien que l’on ne pense pas
global quand on pense laïcité. On peut bien sûr avoir des débats sur le
degré de laïcité qui doit être le meilleur, car la laïcité n’est jamais
absolue - ne serait-ce que parce qu’il faut articuler les différents
principes, neutralité, séparation, liberté de conscience, égalité des
citoyens.
On peut donc avoir des opinions différentes sur quel degré de laïcité
convient le mieux. Mais, ce qui ne convient pas, c’est quand la laïcité
est dure pour les uns et tendre pour les autres. La laïcité doit être
égale pour tous, or le HCI, - qui ne va évidemment pas s’intéresser par
exemple à la bioéthique et au débat sur la séparation entre loi civile
et morale religieuse, ou à l’Alsace-Moselle - ne va envisager la laïcité
que par rapport aux immigrés et aux descendants d’immigrés. De plus, la
Haute autorité de lutte contre les discriminations a été supprimée, et
celle-ci veillait à ce que la laïcité soit la même pour tous. Cela finit
logiquement par cibler une catégorie de la population, et il y a donc,
de fait, une véritable discrimination institutionnalisée, ce qui est
très grave.
Vous dites qu'il y a aujourd'hui une confusion entre laïcité et
sécularisation, pourquoi?
En 1905, le catholicisme dominant était ce que les historiens appellent
un catholicisme intransigeant. Or la loi de 1905 n’a pas du tout dit que
le catholicisme devait se "républicaniser", devenir un catholicisme
modéré, libéral etc. Il a simplement été stipulé que le catholicisme
n’était plus la religion officielle en France, et que chacun devait
vivre sa foi comme il l’entendait, dans le respect des autres et de la
tolérance civile. L’évolution de la religion dépendait donc de la
compréhension de chacun et d’un processus interne de l’Eglise
catholique, et ce n’est pas la République qui décidait de quoi que ce
soit. La meilleure preuve c’est que l’Etat a refusé d’interdire le port
de la soutane dans l’espace public, et ce sont les prêtres eux-mêmes qui
ont, pour la plupart, après Vatican II, abandonné la soutane. La
République n’a donc rien imposé.
La laïcité, et ce jusqu’à aujourd’hui, est censée permettre de vivre,
dans la paix sociale, des rapports différents à la sécularisation selon
qu’on soit proche ou distancié de la religion dans son cœur doctrinal,
rituel etc. La laïcité n’a donc pas à imposer aux gens de se séculariser
car cela devient une atteinte à leur liberté de conscience. Or,
actuellement, on confond laïcité et sécularisation, et le Haut Conseil à
l’Intégration le revendique d’ailleurs fièrement puisqu’il déclare que
"dans une société sécularisée il n’est pas possible de faire ceci ou
cela". Cela est totalement anormal, ce n’est plus de la laïcité mais
quelque chose qui comporte des éléments d’un athéisme d’Etat. On veut
donc forcer certaines populations à se séculariser, ce qui d’une part
est totalement inefficace puisque l’histoire montre que chaque fois
qu’on a voulu porter atteinte à la liberté de religion on a produit des
raidissements chez les gens, et d’autre part cela est une
mécompréhension totale de l’intention de laïcité, et va même à
l’encontre de la loi de 1905.
A lire :
Jean Baubérot, La laïcité falsifiée, Editions La Découverte, 17 €., 212 p.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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