[Laicite-info] La laïcité : ni chiffon rouge, ni voile opaque

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 27 Mar 10:57:19 CEST 2012


La laïcité : ni chiffon rouge, ni voile opaque

Publié par : Le Monde.fr
Le :  27.03.2012

Par Frédérique De la Morena, maître de conférences à l'université 
Toulouse-I Capitole


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La laïcité est la construction de la nation autour de la République, 
régime qui organise le lien social sur le refus de fondements religieux. 
La République a inscrit la laïcité dans ses institutions (article 1er de 
la constitution) : la chose publique, commune (res publica), celle qui 
rassemble les citoyens par delà leurs différences, est laïque, ce qui se 
traduit notamment par la neutralité religieuse de la sphère publique, 
donc des services publics, au nom de l'intérêt général.

Or, depuis quelques mois, plusieurs initiatives visent à inscrire 
l'obligation de neutralité religieuse en dehors de la seule sphère 
publique, tel l'avis du Haut Conseil à l'intégration du 1er septembre 
2011 sur l'expression religieuse dans l'entreprise ou le jugement de la 
Cour d'appel de Versailles d'octobre 2011 concernant la crèche 
associative Baby-Loup. L'Assemblée nationale avait elle-même adopté, le 
31 mai 2011, une résolution (n° 3397) estimant "souhaitable que, dans 
les entreprises, puisse être imposée une certaine neutralité en matière 
religieuse, et notamment, lorsque cela est nécessaire, un encadrement 
des pratiques et tenues susceptibles de nuire à un vivre ensemble 
harmonieux."

La laïcité constitutionnelle est ainsi appelée à se déployer au-delà des 
services publics, à un espace social, collectif, ouvert au public, "lieu 
de partage sous le regard d'autrui" (avis HCI précité) qu'il semble 
aujourd'hui nécessaire de protéger contre les revendications pressantes 
d'expression religieuse.

L'obligation de neutralité religieuse, en réalité seul élément 
constitutif de la laïcité invoqué à l'appui de ces initiatives, se 
révèle être le moyen de maintenir la paix sociale et le vivre ensemble, 
de garantir la liberté de conscience et l'égalité de tous dans certains 
espaces privés.

La proposition des sénateurs du 17 janvier s'inscrit dans ce débat : 
elle étend tout d'abord l'obligation de neutralité religieuse aux seules 
structures privées accueillant des mineurs de moins de six ans ou des 
mineurs protégés qui bénéficient d'une aide publique ainsi qu'aux 
assistants maternels lors de leur activité d'accueil, tout en laissant 
aux parties le choix d'en disposer autrement lors de la conclusion du 
contrat de travail. Elle donne ensuite aux mêmes structures ne recevant 
pas d'aide publique la possibilité d'apporter certaines restrictions à 
la liberté religieuse de leurs salariés. Elle impose enfin aux 
"personnes morales de droit privé se prévalant d'un caractère propre" 
(les crèches privées à caractère religieux notamment) d'accueillir tous 
les mineurs, sans aucune distinction, lorsqu'elles sont subventionnées 
publiquement.

Ces propositions ne vont à l'encontre ni du droit du travail (articles L 
1121-1 et L 1321-3 du code du travail et jurisprudence relative à 
l'expression religieuse dans les entreprises) dans la mesure où elles ne 
suppriment pas la liberté religieuse mais en limitent l'expression en 
fonction de la nature particulière des tâches et des fonctions exercées 
par les structures de la petite enfance et de l'enfance protégée, ni des 
"fondements légaux et constitutionnels de la République" ("La gauche 
doit dé-lepéniser la laïcité !", Le Monde, 11 février) dans la mesure où 
l'objectif poursuivi est la protection de la liberté de conscience des 
mineurs, liberté inscrite à l'article 10 de la déclaration des droits de 
l'homme et du citoyen de 1789, à nouveau proclamée à l'article 1er de la 
loi de 1905, liberté que l'Etat s'oblige non seulement à respecter mais 
également à en prévenir les violations.

Présenter la proposition des sénateurs comme une démarche symbolique, 
identitaire, une instrumentalisation lepénisante de la laïcité propice 
au communautarisme (article précité du Monde) relèverait du pathos si 
cela ne traduisait pas une analyse incomplète de la proposition et une 
interprétation tendancieuse du principe de laïcité.

Composante essentielle de la modernité politique, la laïcité suppose la 
constitution d'un Etat séparé de la société civile. Juridiquement, la 
sphère publique concerne l'ensemble de la nation et a pour objet ce qui 
est universellement partagé ; la sphère privée quant à elle est celle 
des individus et des communautés, libres dans le respect de la loi. 
L'indépendance de ces deux sphères est garantie par l'Etat qui se 
refuse, d'un côté, à imposer une doctrine, une croyance particulière et 
qui incarne, d'un autre côté, l'unité de la communauté politique et en 
promeut les valeurs communes. Dans le cadre de ce partage, l'Etat laïque 
doit donc délimiter le champ d'intervention de la législation, champ qui 
peut varier selon les domaines d'application. Si la protection des 
libertés de conscience, d'expression, l'égalité de principe des options 
spirituelles, requièrent l'abstention de l'Etat, ce dernier peut être 
amené à s'affirmer dans la défense de projets universalistes face aux 
prétentions communautaristes de groupes de pression. La laïcité ne peut 
risquer de laisser le champ libre aux pires des déformations, se perdre 
dans un relativisme généralisé et invertébré qui gommerait le débat et 
l'esprit critique.

La laïcité ne peut être ni un chiffon rouge agité par ceux qui, la 
niant, l'utilisent pour crisper les différences et légitimer une 
pseudo-identité nationale, ni un voile opaque derrière lequel se cachent 
les tenants d'une idéologie compassionnelle vectrice d'accommodements 
(dé)raisonnables pour valoriser les expressions religieuses au détriment 
parfois de la liberté de conscience.

La proposition sénatoriale a le mérite de poser, au Parlement, la 
question de la responsabilité des institutions en charge de mineurs dans 
la construction de la liberté de conscience du public qu'elles 
accueillent, liberté sans laquelle ils ne pourront exercer leur liberté 
d'expression. Elle a le mérite, dans le même temps, de poser des règles 
relatives à un secteur relevant des collectivités territoriales et qui 
connaît souvent, au nom de la clause générale de compétence, au nom de 
l'intérêt public local, un traitement différencié faute d'encadrement 
juridique législatif, autant de questions propres à un véritable débat 
parlementaire, dont on a peut-être oublié les vertus démocratiques et 
républicaines.

Frédérique De la Morena, maître de conférences à l'université Toulouse-I 
Capitole

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Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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