[Laicite-info] L'école ne doit pas être une machine à trier nos enfants

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 30 Mar 10:39:12 CEST 2012


L'école ne doit pas être une machine à trier nos enfants

Publié par : Le Monde.fr
Le : 30.03.2012

Par Françoise Cartron, Eric Favey, Yves Fournel, Jean-Jacques Hazan

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Il y a 130 ans, par la loi du 28 mars 1882, la République rendait 
"l'instruction primaire obligatoire pour les enfants des deux sexes, 
français et étrangers âgés de 6 à 14 ans révolus". Depuis, l'instruction 
obligatoire a été étendue jusqu'à 16 ans, reconnue dans les textes 
internationaux par l'article 28 de la Déclaration universelle des droits 
de l'homme ou la convention internationale des droits de l'enfant. Elle 
figure dans le préambule de notre constitution : "La nation garantit 
l'égal accès de l'enfant à l'instruction, à la formation professionnelle 
et à la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et 
laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat."

La création d'une Ecole publique a été dans notre pays, plus que nulle 
part ailleurs, liée au projet politique de la République incarné dans sa 
devise. L'Ecole a pour mission de forger les outils de la liberté de 
pensée, de garantir l'égalité des élèves et de fonder la fraternité 
humaine : elle contribue ainsi à assurer l'entrée des enfants et des 
jeunes dans la société, dans un monde commun, par l'autonomie qu'ils 
acquièrent grâce à l'apprentissage des savoirs pour penser, être et 
faire. L'Ecole de "la République indivisible, laïque, démocratique et 
sociale" devrait être inclusive et émancipatrice à la fois. C'est au nom 
de cette promesse qu'une très grande majorité de familles lui confie 
leurs enfants, sans renoncer à leurs fonctions éducatives. C'est pour 
tenir cette promesse que l'instruction est obligatoire et que l'Ecole 
publique est aussi gratuite et laïque.

Il s'agit donc bien d'une obligation réciproque des parents et de 
l'Etat. Mais force est de constater que s'il n'est quasiment aucun 
parent qui veuille se soustraire à cette obligation, l'Etat ne la 
remplit pas. Ce n'est pas nouveau et le projet républicain ne fut jamais 
vraiment abouti, préférant donner la priorité à la fabrique des 
meilleurs plutôt que de garantir l'égalité d'accès réelle de toutes et 
tous aux savoirs et aux fondamentaux de la citoyenneté démocratique. 
Ainsi, au nom du mérite et de l'élitisme républicain a-t-on laissé se 
mettre en place une redoutable centrifugeuse, une machine à trier nos 
enfants qui aujourd'hui en laisse plus de 150 000, chaque année, sans 
qualification ni diplôme à l'issue de leur scolarité.

Mais cette situation s'est aggravée depuis le début de ce nouveau siècle 
et notamment durant le quinquennat qui s'achève. Comment en serait-il 
autrement avec l'assouplissement de la carte scolaire, qu'il fallait 
transformer certes, mais dont la dérèglementation a appauvri et relègué 
plus encore les quartiers populaires ? Comment en serait-il autrement 
avec la quasi-disparition de la scolarisation à 2 ans dont il est avéré 
qu'elle est pourtant indispensable aux acquisitions du langage si 
essentiel par la suite ? Et que dire de la fin programmée des Rased 
alors qu'ils répondent à un évident besoin pour les élèves en difficulté 
ou des remplacements qui ne sont plus assurés ? Ou du renoncement au 
collège pour tous alors que toutes les études internationales démontrent 
que les systèmes scolaires qui réussissent le mieux sont ceux qui 
reportent au lycée l'orientation et les spécialisations ? Ou encore de 
la persistance des redoublements, nettement plus nombreux en France que 
dans les autres pays européens, alors que tout prouve qu'ils ne servent 
à rien ?

Et bien évidemment comment cette obligation d'assurer l'égal accès à 
l'instruction pourrait-elle être réelle avec la suppression de près de 
80 000 dont 77 000 enseignants en cinq ans alors que le nombre d'élèves 
est pour l'instant identique et va à nouveau augmenter, et comment le 
serait-elle avec des enseignants qui ne sont plus formés ? Il faudra 
bien aussi à nouveau redire que certains territoires de la République ne 
sont toujours pas dotés d'écoles publiques, seules dans l'obligation 
d'assurer la scolarisation, sans distinction, de tous les enfants. 
Souligner que les collectivités territoriales ont investi dans 
l'éducation sans reconnaissance et moyens à la hauteur de leur travail 
et que les associations éducatives ont été affaiblies et se trouvent 
trop souvent dans une situation de sous traitance de l'impuissance ou de 
la carence publiques.

Alors, pour que la République tienne ses promesses et remplisse son 
obligation en matière d'instruction, il lui faut une autre politique 
pour l'Ecole et une véritable politique éducative pour l'enfance et la 
jeunesse, car nous ne sommes plus à la fin du XIXe siècle et c'est à de 
nouvelles obligations d'éducation et de formation que notre société doit 
faire face. C'est d'ailleurs ce à quoi se sont engagées dans "l'Appel de 
Bobigny", plus de 50 organisations - syndicats, parents, associations 
d'éducation populaire et mouvements pédagogiques - et 100 villes.

Rien ne nous oblige à la résignation en matière de démocratie, de 
justice sociale et d'éducation. Les idées, projets et pratiques ne 
manquent pas. Alors chiche ! On la fait cette Ecole qui s'oblige à être 
pour tous les enfants de France un espace protecteur et émancipateur, 
missionné pour assurer vraiment l'acquisition des savoirs pour tous, un 
lieu de travail culturel et de vie collective ouvert sur les territoires 
et le monde. Une Ecole qui fait naître et entretient le plaisir 
d'apprendre, la confiance en soi, en l'autre et dans les cadres collectifs.

Elle doit le faire dans le contexte de production incessante de 
connaissances et de profusion des sources de diffusion avec les 
technologies numériques qui invitent à repenser ses contenus et ses 
pratiques pédagogiques. Mais surtout elle doit le faire afin de préparer 
les générations futures à prendre en charge les enjeux communs en partie 
inédits de notre humanité : culturels et scientifiques, écologiques, 
éthiques, économiques et sociaux. Il n'y a pas de réponses toutes faites 
à ces défis.

C'est la grandeur et l'enthousiasme d'une politique publique d'éducation 
globale et de formation tout au long de la vie qui permettra de les 
construire, avec une Ecole refondée coopérant avec les autres acteurs 
éducatifs et culturels. Cette Ecole doit déjà se constituer pour la 
scolarité obligatoire portée au moins à minima de 3 à 16 ans par une 
articulation renforcée et effective de l'école primaire - maternelle et 
élémentaire - et du collège qui assure une réelle continuité dans les 
contenus, les apprentissages et l'organisation, respectant ce que l'on 
sait maintenant des meilleurs rythmes pour apprendre. Cette nouvelle 
Ecole de la scolarité obligatoire doit être précédée d'un véritable 
service public de la petite enfance sur l'ensemble du territoire, ouvrir 
aux différentes voies du lycée reconnues en égale dignité et s'inscrire 
dans des projets éducatifs de territoires reconnus par la loi.

Cela appelle des choix politiques, des investissements publics et 
l'association la plus étroite possible de tous les citoyens. Parce que 
l'éducation est décidément l'affaire de tous et parce que, dans ce 
cadre-là, l'Ecole doit s'obliger à outiller tous les enfants pour qu'ils 
puissent apprendre à faire les choix de toute une vie, des choix 
personnels, professionnels et citoyens. C'est en permettant à tous les 
enfants de réussir qu'on peut les convaincre que c'est possible. Que 
l'avenir est possible.

Françoise Cartron, sénatrice de la Gironde, vice présidente de la 
commission de l'éducation, de la culture et de la communication du Sénat ;

Eric Favey, secrétaire général adjoint de la Ligue de l'enseignement ;

Yves Fournel, adjoint à l'enfance et à l'éducation de la Ville de Lyon, 
président du Réseau Français des Villes Educatrices ;

Jean-Jacques Hazan, président de la FCPE.


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Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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