[Laicite-info] Ne laissons pas la gauche se faire voler la laïcité
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 4 Avr 15:50:27 CEST 2013
Ne laissons pas la gauche se faire voler la laïcité
Publié par : http://www.huffingtonpost.fr
Le : 04/04/2013 06:00
Par : Naïma Charaï - Présidente de l’Acsé (Agence pour la cohésion
sociale et l'égalité des chances)
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Depuis plus de 15 jours, le thème de la laïcité est au cœur des débats
publics et des discussions de comptoir. Le verdict final, en cassation,
contre le licenciement d'une salariée refusant de se départir de son
jilbab dans la crèche Baby Loup, dans les Yvelines a miraculeusement
remis au devant de la scène cette question fondamentale de la neutralité
de l'espace public. Cette dernière semblait avoir été oubliée depuis
quelques temps, la loi sur le voile à l'école était votée et appliquée,
la gauche avait gagné l'élection présidentielle 2012, et ceux qui
parlaient des valeurs de la République laïque était malheureusement
majoritairement dans les rangs de la droite, pire de l'extrême droite.
Utilisant ainsi ce principe éminemment important comme un faire-valoir
politique, un épouvantail agitant les peurs d'un électorat potentiel.
Aujourd'hui, beaucoup de questions se posent : l'accueil des jeunes
enfant est-il un service public qui nécessite la neutralité des
personnels ? Un règlement intérieur d'entreprise peut-il de manière
global interdire à ses salariés tout signe religieux distinctif ?
Quelles sont les activités dont le port du voile ou de la kippa
empêcherait la bonne marche ? Le débat actuel n'est-il pas un moyen de
stigmatiser encore un peu plus les musulmans ?
Le gouvernement, pour répondre à ces questions, en appelle aujourd'hui
au législateur. Et c'est une bonne chose. Mais il faut avant tout
réaffirmer solennellement les valeurs de laïcité et ses principes
parents : l'espace public comme lieu de vie pour tous, le refus d'une
promotion ou d'une sélection d'une religion plutôt qu'une autre par
l'Etat, l'interdiction de la subvention des cultes, souvent déguisée, la
tradition séculaire laïque.
C'est ce qu'avait clairement perçu François Hollande, comme candidat,
dès les premières minutes de son meeting du Bourget le 22 janvier 2012 -
souvenons-nous : "Présider la République c'est préserver l'État face aux
communautarismes, c'est être viscéralement attaché à la laïcité car
c'est une valeur qui libère et qui protège, et c'est pourquoi
j'inscrirai la loi de 1905, celle qui sépare les églises de l'État, dans
la Constitution !". C'est d'ailleurs ce que vient aussi de reconnaître
le Conseil constitutionnel, en réponse à la Question Prioritaire de
Constitutionnalité dont il avait été saisi sur le concordat alsacien et
mosellan : la plus haute autorité juridique du pays a également rappelé
que la loi de 1905 a une valeur constitutionnelle sur l'ensemble du
territoire, hors de l'exception historique du concordat. Les Sages du
Palais-Royal ont même pour la première fois défini le principe de
laïcité : "la neutralité de l'État" dans une République qui "ne
reconnaît aucun culte". Mais si la loi française de séparation des
églises et de l'État a donc bien cette valeur universelle sur tout le
territoire, elle n'est aujourd'hui pas toujours comprise, ni acceptée,
ou bien même défendue par les citoyens, les responsables économiques et
sociaux, ou les élus. Instrument privilégie du vivre-ensemble et de la
citoyenneté, elle est aussi devenue, en cinq années de mandat
sarkozyste, l'inverse de ce qu'elle se doit d'être : un instrument
identitaire renvoyé aux autres plutôt qu'aux uns, qui a entaché son
caractère universel et émancipateur, pour en faire un objet de
crispations au sein de la société française, susciter les
incompréhensions, instrumentaliser les malaises.
La gauche qui gouverne actuellement, et à laquelle j'appartiens, ne dois
pas se laisser ravir la laïcité par une droite, qui semble la découvrir
pour mieux en finir avec elle. Qui l'exploite pour agiter le spectre du
rejet de la différence, de l'islamophobie cachée, du mélange des genres
entre les idées sécuritaires et le nécessaire vivre-ensemble en
République. Oui, la laïcité est un principe universel, partagé,
rassembleur mais aussi profondément de gauche. Même si les responsables
politiques de ma famille l'ont bien trop souvent oublié sous peur d'être
qualifié d'extrémisme ou d'intolérance.
La gauche doit se réapproprier le débat et prendre les mesures
nécessaire au rétablissement de la laïcité partout et sur tous les
territoire. On ne peut, à l'instar d'un Laurent Wauquiez, se proclamer
"laïc" et vanter de manière compulsive, mais surtout discriminante,
"l'héritage chrétien de la France" - quand celui-ci est plus complexe,
plus ancien, plus ouvert ; on ne peut pas non plus se tresser des
lauriers de laïcité quand on a, comme chef de l'État, proclamé que "dans
la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence
entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le
curé ou le pasteur". La laïcité ne choisit pas entre les cultes, ou
l'absence de culte. Elle promeut un espace public qui soit neutre, pour
qu'il soit bien celui de tous.
Dans la France de 2013, les défis d'une laïcité pleine et assumée sont
nombreux, et il faut espérer que les pouvoirs publics trouveront les
voies innovantes, judicieuses et équilibrées: comme le réclame Natalia
Baleato, cette mère courage directrice de la crèche Baby Loup de
Chanteloup les Vignes, il faut étendre aux établissements remplissant
des missions de service public les exigences de la laïcité, c'est-à-dire
aussi celles de la neutralité religieuse, politique et philosophique de
ses agents. Nous devons aussi savoir prioriser l'école publique, du
sommet de l'État comme vient de l'acter Vincent Peillon dans sa grande
loi de Refondation (qui met en avant le "partage des valeurs de la
République" et "l'esprit critique", mais aussi l'égalité filles-garçons
dès le primaire), jusqu'aux collectivités locales qui depuis la loi
Carle de 2009 peuvent déroger à la priorité pour l'école publique, dans
un contexte où la ressource publique devient rare, mais aussi où l'école
publique peine parfois à tenir ses objectifs de mixité sociale. Nous
devons aussi défendre notre liberté, celle de nous exprimer quitte à
critiquer les dogmes religieux, en particulier quand ils prétendent à
une valeur normative dans l'espace public (le récent débat sur le
mariage et la filiation universels l'a bien montré), ou à bénéficier sur
les réseaux sociaux d'un espace d'expression conforme à la déclaration
universelle des droits de l'homme ; liberté aussi de disposer de son
corps hors bénéfice marchand (face notamment à l'offensive nouvelle
contre le droit à avorter, et parfois à la contraception, mais aussi
pour le droit des personnes homosexuelles et transgenre, comme pour le
droit à mourir dans la dignité, à poursuivre la recherche sur le génome
ou à interdire les mutilations génitales exercées au nom de traditions
ou croyances). Autant de combats éminemment laïcs.
Comme le disait Michel Onfray, certes contesté ces derniers temps mais
dont la pensée puissance et progressiste nous éclaire : "A l'heure où se
profile un ultime combat - déjà perdu, pour défendre les valeurs des
Lumières contre les propositions magiques, il faut promouvoir une
laïcité post-chrétienne, à savoir athée, militante et radicalement
opposée à tout choix de société entre le judéo-christianisme occidental
et l'islam qui le combat."
C'est cela aussi la laïcité : les valeurs d'émancipation,
d'universalisme, de rationalité et de libre-arbitre de l'individu. Les
valeurs d'une gauche fidèle à elle-même, qui n'a pas peur de regarder
vers le passé et ce qui a construit son identité, tout en réinventant et
en adaptant les valeurs et principes aux sociétés modernes, à leur
diversité et à leur complexité.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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