[Laicite-info] "La morale laïque fait le pari de la liberté de jugement de chacun"

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 22 Avr 11:46:58 CEST 2013


"La morale laïque fait le pari de la liberté de jugement de chacun"

Publié par : LE MONDE
Le : 22.04.2013
Propos recueillis par Maryline Baumard et Mattea Battaglia

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La morale laïque, dont Vincent Peillon précise aujourd'hui les modalités 
d'enseignement, est née dans la polémique. Le ministre de l'éducation 
avait annoncé, à la veille de la rentrée scolaire de septembre 2012 
qu'il entendait développer cet enseignement du primaire au lycée. Luc 
Chatel, son prédécesseur rue de Grenelle, avait trouvé une résonance 
pétainiste dans cette volonté de "redressement intellectuel et moral" du 
pays.

Pourtant, un sondage IFOP pour Dimanche Ouest-France révélait la semaine 
suivante que 91 % des Français étaient favorables à l'initiative, dont 
48 % "très favorables". Une mission composée de l'historien Alain 
Bergounioux, du conseiller d'Etat Rémy Schwartz, et de l'universitaire 
Laurence Loeffel, a été chargée de définir le contenu de cet 
enseignement et de réfléchir à son évaluation. Leur rapport, que le 
ministre devait présenter lundi 22 avril, s'intitule "Pour un 
enseignement laïque de la morale".

Eclairé par les six mois de lectures et d'auditions du rapport, comment 
définissez-vous le plus simplement la "morale laïque" ?

La morale laïque est un ensemble de connaissances et de réflexions sur 
les valeurs, les principes et les règles qui permettent, dans la 
République, de vivre ensemble selon notre idéal commun de liberté, 
d'égalité et de fraternité. Cela doit aussi être une mise en pratique de 
ces valeurs et de ces règles.

Le rapport préconise un "enseignement laïque de la morale" et non plus 
une "morale laïque". Est-ce une marche arrière après les critiques ?

C'est la même chose ! Mais je comprends qu'il faut rassurer sur deux 
points. D'abord, certains voudraient laisser penser que la morale laïque 
serait antireligieuse. C'est exactement l'inverse : elle est une morale 
commune à tous, et c'est justement son respect qui autorise la liberté 
et la coexistence des croyances individuelles et privées de chacun. 
Ensuite, la morale laïque n'est pas non plus une morale d'Etat, une 
"orthodoxie à rebours". Elle est le contraire du dogmatisme et fait le 
pari de la liberté de conscience et de jugement de chacun : elle vise 
l'autonomie.

Des sondages ont aussi montré que le pays avait une envie forte que 
l'école se saisisse du sujet. Une mission difficile de plus pour les 
enseignants ?

Les parents d'élèves autant que les professeurs veulent cette morale 
laïque. Dans tous les établissements scolaires que je visite, les 
enseignants expriment clairement leurs besoins : qu'on leur permette de 
transmettre des valeurs, c'est-à-dire qu'on leur en donne d'une part les 
moyens, et d'autre part qu'on réaffirme fortement leur pleine légitimité 
à le faire. Ils sont au front de la crise économique et sociale, mais 
aussi civique et morale que nous vivons, parfois dans ce que certains 
ont pu appeler les territoires perdus de la République. Que la société 
tout entière, et les pouvoirs publics, prennent leurs responsabilités et 
leur dise clairement : "Nous sommes derrière vous quand vous 
accomplissez, en notre nom, la tâche difficile mais essentielle de 
transmettre les valeurs de la République !"

Comment imaginez-vous cet enseignement nouveau ?

Le Conseil supérieur des programmes, qui est institué par la loi de 
refondation de l'école adoptée en première lecture et que je vais 
installer au début de l'automne, aura à construire une progression du CP 
aux classes de terminale. Il faudra des manuels et un horaire dévolu, 
qui ne soit plus confondu avec celui d'histoire-géographie. En partant 
des préconisations du rapport on peut faire une estimation : de l'ordre 
de trente-six heures annuelles à l'école primaire et au collège – ce qui 
correspond à une heure par semaine –, dix-huit heures au lycée dans la 
voie générale, mais aussi technologique et professionnelle, où l'on peut 
privilégier la logique par projets. C'est pour moi le minimum : un 
enseignement avec un programme, une progression du CP à la terminale, un 
horaire clairement identifié, une évaluation, des professeurs formés.

On aura des cours d'éducation morale ?

Articulés à l'éducation civique, oui. Le terme retenu dans la loi et 
approuvé par l'Assemblée nationale est "enseignement moral et civique". 
Et il faut aussi, dans le secondaire, imaginer des modules 
interdisciplinaires autour d'une question morale, sur le modèle des 
travaux personnels encadrés (TPE) du lycée général. L'enseignement de la 
morale doit être un projet collectif. C'est pourquoi, comme les 
rapporteurs, je considère que tous les professeurs doivent pouvoir 
transmettre cet enseignement, seuls ou en interdisciplinarité. Chacune 
des disciplines a son rôle à jouer, et la vie scolaire aussi. C'est 
aussi pour cela que je fais rédiger une charte de la laïcité, qui sera 
affichée dans tous les établissements à partir de la rentrée, et que la 
loi de refondation préconise d'inscrire la devise républicaine sur le 
fronton de chaque établissement scolaire.

Le rapport préconise une prise en compte les initiatives citoyennes des 
élèves. Y êtes-vous favorable ?

Etre un sujet moral ce n'est pas seulement réfléchir ou délibérer, c'est 
agir. La morale laïque inclut une dimension vie de classe et vie 
scolaire qui doit favoriser chez chacun la culture de la responsabilité, 
de la coopération, de la solidarité, du dévouement, de l'intérêt 
général. Comme le dit fort bien le rapport, il y a la morale à l'école 
et la morale de l'école. Ne négligeons pas cette dernière et essayons 
d'harmoniser les deux, ce sera plus convainquant pour chacun. Si 
l'école, dans son fonctionnement institutionnel et ses pédagogies tourne 
le dos aux valeurs qu'elle professe, ce sera un échec. La morale laïque 
doit donc pouvoir aussi aider l'école à se transformer: plus 
d'autonomie, plus d'initiative, plus de justice, plus de bienveillance. 
C'est aussi cela la Refondation de l'école de la République !

Ce ne sera pas simple pour les enseignants...

Je retiens l'idée exigeante émise dans le rapport de deux modules de 
formation proposés à tous les futurs enseignants ainsi qu'aux personnels 
d'éducation dans les deux années que durera leur formation dans les 
futures écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE). L'un 
portera sur l'enseignement moral proprement dit, l'autre sur la laïcité 
et les valeurs de la République. L'approche doit être à la fois 
théorique, pédagogique et didactique. Le premier module doit débuter dès 
septembre, lorsque les ESPE ouvriront leurs portes. Le second dépend 
largement des programmes et devra donc commencer en 2014.

Vous tenez à ce que les élèves soient évalués dans cette discipline ?

Le rapport préconise une épreuve pour le DNB, le diplôme national du 
brevet, et une évaluation en cours d'année en fin de lycée. Mais 
l'évaluation n'est pas nécessairement la notation sur 20. Nous aurons à 
préciser cela dans le travail qui va maintenant commencer. Mais ce qui 
est certain c'est que sans évaluation, comme sans horaire dédié, il n'y 
aura pas de réalité de cet enseignement !

Cet enseignement débutera-t-il à la rentrée 2014 ?

Les contenus, la progression, l'évaluation et l'articulation au socle 
commun de connaissances, de compétences et de culture devront être 
discutés au sein du Conseil supérieur des programmes. Il faut deux ans 
pour mettre en oeuvre un nouvel enseignement, surtout si l'on veut se 
donner le temps d'une consultation sérieuse et large des enseignants. Je 
pense essentiel de faire en sorte que les professeurs et les personnels 
puissent s'approprier le projet. Je veux aussi que la formation des 
enseignants ait commencé avant le début de la mise en oeuvre ! Le cap 
est donc plutôt pour la rentrée 2015.

Des mesures de moralisation de la vie publique vont être présentées 
mercredi en conseil des ministres. Sur le long terme, la morale à 
l'école en fait partie ?

Nous vivons une crise économique et une crise sociale mais aussi une 
crise intellectuelle et morale. Nous sommes dans une société de la 
liberté qui doit réfléchir à ses modèles, où l'équilibre entre les 
droits et les devoirs est rompu, le lien entre l'individu et le commun 
défait. Tout le monde partage cette analyse. Mais alors comment le 
réinstaure-t-on ? Comment remet-on l'économie, le politique, au service 
d'un bien commun, lui-même à redéfinir ? Rappelons-nous qu'il a fallu 
que la République échoue plusieurs fois pour qu'on comprenne qu'elle ne 
s'établirait pas par une simple révolution dans les intérêts, mais 
qu'elle supposait une éducation des consciences. La démocratie 
républicaine a besoin de l'instruction et de l'éducation. Et celles-ci 
doivent transmettre les valeurs communes qui seules permettent le 
respect et la coexistence des libertés individuelles et de la dignité de 
chaque personne, mais aussi des vertus personnelles nécessaires au bien 
commun.

Ne faudrait-il pas renvoyer quelques hommes politiques en cours de 
morale laïque ?

C'est d'un sursaut collectif dont nous avons besoin. C'est une illusion 
de croire que le redressement économique du pays pourra se faire dans la 
durée s'il n'est pas aussi un relèvement moral et intellectuel. Une 
nation et des citoyens se mobilisent toujours autour d'une espérance, 
c'est-à-dire d'un idéal et de valeurs.

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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