[Laicite-info] François Dubet : Deux remarques sur la morale laïque à l’école

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 23 Avr 08:44:27 CEST 2013


François Dubet : Deux remarques sur la morale laïque à l’école

Publié par : http://www.cafepedagogique.net
Le : 23/04/13

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Pour le sociologue François Dubet, le retour de la morale à l'Ecole est 
une bonne chose. A condition que ce soit pour de vrai une morale mise en 
action. Il pose aussi la question du rapport au religieux, un domaine où 
la société française a considérablement évolué.



L’idée de promouvoir une morale laïque à l’école n’est pas contestable 
et l’on peut même se réjouir de voir l’école retrouver une vocation 
éducative afin de ne pas se réduire à une fonction d’instruction, de 
formation professionnelle plus ou moins directe et de sélection plus ou 
moins équitable. Ceci dit cette éducation à la laïcité pose deux 
problèmes qui méritent quelques remarques : le contenu de cette morale 
et les modalités de sa transmission.



Il me semble que l’on ne peut pas revenir vers une conception de la 
laïcité construite sur le principe de la mise à l’écart des cultures 
spécifiques et des identités religieuses tenues pour hostiles ou 
étrangères à la laïcité comme c’était le cas en 1905. Ceci tient au fait 
que la société française n’est plus implicitement catholique et 
chrétienne ce qui permettait de construire la laïcité contre l’Eglise 
mais sur une fond de morale chrétienne et d’unité culturelle nationale 
indiscutable. La morale chrétienne se superposait alors au christianisme 
grâce à une version kantienne de cette morale conduisant à l’affirmation 
d’une culture nationale française perçue comme universelle. Aujourd’hui, 
la morale laïque doit tenir compte des différences culturelles et il 
n’est plus possible d’opposer le public universel et le privé singulier 
avec la même radicalité que naguère. Alors qu’il fallait réduire les 
différences de foi et de culture au privé, nous devons apprendre à vivre 
paisiblement avec ces différences. En ce sens, il ne nous suffit plus 
d’être républicain, il nous faut aussi devenir démocrate. La morale 
laïque ne peut plus surplomber les morales et les identités 
particulières, elle doit aussi nous apprendre à les reconnaître et à 
vivre ensemble.



De plus, l’exercice de la citoyenneté a changé. Il ne repose pas 
seulement sur l’adhésion à des valeurs, mais il suppose aussi des 
compétences politiques et citoyennes définies comme des capacités 
d’information, des capacités critiques, bref des compétences et pas 
seulement des actes de foi.



Mais le problème essentiel est moins dans le contenu de la morale que 
dans son mode de transmission. Pas plus à l’église qu’à l’école 
l’apprentissage de la morale repose sur une soumission à l’autorité « 
transcendante ». Autrement dit, l’apprentissage de la morale procède 
moins d’une leçon que d’une expérience. Et sur ce plan, on peut avoir du 
mal à comprendre la vision trop traditionnelle de Vincent Peillon dont 
le projet repose sur des leçons de morale alors que le chapitre vie 
scolaire reste désespérément vide ou réduit aux initiatives volontaires. 
Comment apprendre la morale laïque dans un espace dépourvu de droits 
pour les élèves et dans lequel les élèves n’apprennent à vivre ensemble 
et à « disputer » que dans la sphère d’une vie juvénile étrangère à 
l’emprise des enseignants ou confiée au seul travail disciplinaire des 
conseillers d’éducation. On ne peut apprendre véritablement la morale 
laïque que dans une école construire comme un espace civique, ce qui ne 
suppose nullement que les maîtres et les élèves y soient égaux, mais ce 
qui exige qu’ils aient des obligations et des droits réciproques. Ne 
pourrions-nous imaginer des apprentissages actifs de la laïcité ? Ce qui 
n’a rien de révolutionnaire quand on pense à la longue expérience des 
mouvements de jeunesse et des mouvements d’éducation populaire qui ont 
donné aux élèves et aux jeunes des responsabilités que l’école leur 
refusait le plus souvent.



Bien sûr ces formes d’apprentissage exigent que les établissements 
eux-mêmes les prennent en charge grâce à l’engagement de l’ensemble des 
adultes dans ces pratiques et que le métier d’enseignant ne se réduise 
plus à la transmission de connaissance. La faute majeure serait que la 
morale laïque devienne une spécialité appelant, pourquoi pas, la 
création d’un CAPES.



Si nos habitudes et nos mœurs pédagogiques ne nous permettent pas de 
franchir ces pas ; si nous pensons que l’apprentissage de la laïcité 
doit être un retour au bon temps de Jules Ferry, si nous croyons que 
l’autorité des grands textes suffit, si nous pensons que les maîtres ne 
peuvent que transmettre des connaissances, on peut craindre que les 
leçons de morale n’aient guère de sens et que, pire encore, les élèves 
n’y mesurent, encore une fois, la distance entre nos principes et nos 
pratiques.



François Dubet

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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