[Laicite-info] Laïcité: lettre ouverte aux élus
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 2 Déc 08:33:22 CET 2014
Laïcité: lettre ouverte aux élus
Publié par :
http://blogs.mediapart.fr/blog/henri-pena-ruiz/011214/laicite-lettre-ouverte-aux-elus
Le : 01 décembre 2014
Par Henri Pena-Ruiz
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La laïcité va mal. Ancien membre de la Commission Stasi sur
l’application du principe de laïcité dans la République, je ne peux
garder le silence. Naguère, la droite au pouvoir la malmenait par la
bouche de Monsieur Sarkozy. Aujourd’hui certains élus de gauche ne la
traitent pas mieux. Tout se passe comme si les vrais ennemis de la
laïcité et ses faux amis semblaient d’accord pour l’encenser en principe
et la violer en pratique. Halte à la duplicité. Inventaire.
D’abord un vocabulaire polémique brouille les choses à loisir. Il est
trop facile, par exemple, d’inventer une opposition artificielle entre
la laïcité dite “ouverte” et la laïcité dite “de combat”. La première
expression est usuelle chez les adversaires de la laïcité qui insinuent
ainsi que la laïcité tout court serait fermée. Une calomnie travestie en
signe d’ouverture. La seconde est fréquente chez ceux qui par
électoralisme refusent de défendre la laïcité et en édulcorent le sens.
Une trahison déguisée en réalisme. Un tel vocabulaire est d'ailleurs
absurde. Parle-t-on de la « liberté ouverte » ou des « droits humains de
combat » ? Bref, on adjective la laïcité soit parce qu’on en rejette les
exigences soit parce qu’on manque de courage politique pour les faire
valoir.
Les vrais ennemis de la laïcité rêvent de rétablir les privilèges
publics des religions: c'est ce qu'ils appellent “laïcité ouverte”. Ils
parlent de “liberté religieuse” plus que de liberté de conscience.
Faudra-t-il parler aussi de “liberté athée”? Ses faux amis répugnent à
la défendre par peur de perdre des voix et inventent l'expression
polémique “laïcité de combat” pour qualifier une telle défense. C’est ce
qui ouvre tout grand un chemin à une contrefaçon de laïcité par la
droite extrême. Celle-ci feint de défendre la laïcité alors qu’elle la
caricature en la tournant contre un groupe particulier de citoyennes et
de citoyens. Ce qui est alors en jeu, c’est une conception
discriminatoire travestie en laïcité. Tout le contraire de celle-ci.
Un premier exemple d’attaque contre la laïcité par la droite puis de
refus de la défendre par la gauche au pouvoir. Comme on sait, la loi
Carle votée sous la présidence de Monsieur Sarkozy met à la charge des
communes la scolarisation d’enfants dans des écoles privées de communes
voisines. Quand les laïques contestent cette loi et en demandent
l’abrogation, les vrais ennemis et les faux amis de la laïcité, tout
uniment, les accusent de vouloir rallumer la guerre scolaire ! Une
accusation ridicule qui dissimule mal la volonté de faire entériner une
violation de la laïcité. Aujourd’hui, que fait le gouvernement dit
socialiste contre cet héritage de l’ère antérieure qui renforce les
privilèges des écoles privées religieuses, affranchies de surcroît de
l’obligation d’appliquer la réforme des rythmes scolaires ? Rien. C’est
triste. Pire. Monsieur Peillon, précédent ministre de l’Education
Nationale, a rédigé une charte de la laïcité. Mais il a étendu le
financement public des activités périscolaires aux écoles privées, alors
que la Loi Debré ne le prévoyait que pour les disciplines
d'enseignement. Comprenne qui pourra.
A Paris, tout en s’affirmant fidèle à la laïcité, la mairie continue à
subventionner des crèches confessionnelles et des fêtes religieuses
comme celle qui a été organisée l’été dernier pour le ramadan. Ainsi des
contribuables athées ou agnostiques sont obligés de subventionner à
hauteur de 70 000 euros une fête religieuse. A quand une grande fête de
l’humanisme athée financée sur fonds publics, à Paris et ailleurs ?
Invoquer la culture, en l'occurrence, est peu rigoureux et néfaste.
Confondre la culture arabe et le culte musulman c'est offrir un cadeau
inespéré aux extrêmistes religieux qui persécutent les arabes athées,
accusés de “trahir leur culture”. Dans le même esprit, Franco
proclamait: “En Espagne, on est catholique ou on n'est rien”. Et le
cardinal Rauco Varela dit que l'avortement n'est pas dans la “culture
espagnole”. D'où la tentative de Monsieur Rajoy, aujourd'hui avortée, de
supprimer un droit essentiel des femmes. La culture a bon dos! C'est la
commission Machelon, mis en place par Nicolas Sarkozy, qui a recommandé
le brouillage de la distinction entre culte et culture afin de
contourner la loi du 9 Décembre 1905 qui interdit de financer les
cultes. Nombre d'élus de gauche comme de droite appliquent la recette
tout en se disant laïques, bien sûr.
Dans le Limousin, on a financé sur fonds publics des processions
religieuses catholiques, en présentant ces dernières comme des «
manifestations culturelles ». Heureusement, dans ce dernier cas, les
tribunaux ont condamné ce subterfuge. Contre l’évidence trop d'élus
brouillent les choses. L’électoralisme ainsi mis en œuvre veut faire
prendre des vessies pour des lanternes. Je rêve d’une sixième république
où les professions de foi des élus seraient le cas échéant opposables à
leur pratique effective. La laïcité reprendrait quelques couleurs, et la
justice sociale aussi. La vie politique cesserait d'inspirer le dégoût
aux citoyens qui pensent que les principes sont faits pour être appliqués.
On va m'objecter le pragmatisme, invocation sempiternelle des élus qui
trahissent. Mais concrètement le devoir des élus n’est pas d’encourager
par des fonds publics les manifestations communautaristes. Il est de
rappeler à tous leurs administrés que leur humanité ne se réduit pas à
leur appartenance à une religion, qu'ils sont hommes et citoyens avant
d'être musulmans ou catholiques. Des citoyens porteurs de volonté
générale, c’est-à-dire d’une faculté de vouloir ce qui vaut pour tous et
non ce qui ne vaut que pour eux seuls. Mesdames et messieurs les élus,
mettez votre pratique en accord avec les principes que vous prétendez
défendre ! Pour lutter efficacement contre les communautarismes
religieux et leurs dangereuses dérives, cessez d'encourager les
revendications particularistes. Les élus politiques, porteurs des
principes et des lois de la République, sont comme le disait Victor Hugo
les « instituteurs du peuple ».
Une politique républicaine doit viser le seul intérêt général, commun à
tous. Dans cet esprit, il faut consacrer l’argent public aux seuls
services d’intérêt général. Et montrer ainsi que la République ne se
contente pas de proclamer l’universalisme, mais lui donne concrètement
chair et vie. L’instruction et la culture, l’accès aux soins, le
logement social, sont d’intérêt commun aux divers croyants et aux
athées. Ils sont de portée universelle. Pas la religion, ni d’ailleurs
l’athéisme, options spirituelles particulières, à traiter comme telles
si le mot république a encore un sens. Le deuxième article de la Loi du
9 Décembre 1905 est clair: “La République ne reconnaît, ne salarie, ni
ne subventionne aucun culte”.
En Alsace Moselle, des maires se déclarent laïques tout en défendant le
concordat. Pourtant celui-ci met à la charge des contribuables de toute
la République les salaires des prêtres, des rabbins et des pasteurs des
départements concordataires. Bref il contraint des athées et des
agnostiques à financer la religion. Un comble en temps de crise et de
vaches maigres pour les services publics ! Quelle est la motivation des
élus concordataires, sinon un calcul électoral qui les conduit à
chouchouter les croyants, donc à les traiter mieux que les athées. Au
passage ils accréditent l’idée fausse selon laquelle la laïcité rejette
la religion alors qu’elle ne rejette que ses privilèges publics. Et ils
veulent faire croire que les trois composantes du droit local (concordat
napoléonien, Loi Falloux, droit social allemand) sont inséparables, ce
qui est faux. On peut abroger le concordat et les dispositions
discriminatoires de la Loi Falloux (la religion inscrite dans
l’enseignement public) sans toucher au droit social local.
Dans un discours émouvant sur les morts de la première guerre mondiale,
le président de la République vient de souligner la dimension symbolique
d’un mémorial qui ne recense plus les morts par nationalités mais les
réunit au contraire dans un même hommage. On aurait aimé qu’il
réhabilite au passage les fusillés pour l’exemple, ces hommes qui ne
manquaient pas de courage mais clamaient leur révolte devant des
massacres aujourd’hui déplorés par toute l’Europe. On aurait voulu aussi
que l’hommage ne cite pas seulement les « soldats de toutes religions »
mais également les soldats de conviction humaniste athée, donc « les
soldats de toutes convictions ». Un “détail”? Non. Une omission
discriminatoire. « La République a besoin de croyants »…C’est ce
qu’osait dire dans l’exercice de ses fonctions Nicolas Sarkozy,
établissant ainsi une hiérarchie entre croyants et athées. Notre
président actuel lui emboite-t-il le pas en ne mentionnant que les
soldats croyants ? Est-il si difficile pour le Président d’une
république laïque de ne pas privilégier un type d’option spirituelle
dans un moment aussi solennel ? Henri Barbusse, auteur d’un grand livre
sur la guerre de 1914, Le Feu, aurait sans doute condamné cette
discrimination implicite. De même pour Apollinaire, grièvement blessé
sur le front et peu porté sur la religion.
Quant au récent voyage officiel à Rome du Premier Ministre de la
République, aux frais de l’Etat, il enfreint aussi la laïcité. Lorsque
François Fillon s'était rendu à Rome en 2011 pour y assister à la
béatification de Jean Paul II, le Parti socialiste avait à juste titre
protesté, au nom de la laïcité. Quand trois ans trois ans plus tard
Manuel Valls s'y rend pour sa canonisation, le PS approuve. Comprenne
qui pourra! On marche au pas sur les principes. On ne peut justifier la
chose au nom des relations entre Etats. Manuel Valls n’a rien négocié à
Rome. Il ne s’y trouvait pas pour évoquer des problèmes diplomatiques.
Des cérémonies de canonisation n’ont de sens que religieux.
Entendons-nous. Si Manuel Valls le voulait, il avait tout à fait le
droit d’assister à un tel événement, mais à titre privé et sur ses
deniers propres. Son admiration pour Clemenceau aurait pu d’ailleurs lui
montrer la voie. En 1918, l’archevêque de Paris annonce un Te Deum à
Notre-Dame de Paris en mémoire des morts de la guerre. Clémenceau, alors
Président du Conseil, fait adopter par les ministres le refus d’y
assister à titre officiel. Clemenceau s’en explique: séparation laïque
oblige. Une décision exemplaire, car respectueuse de tous les citoyens
et non des seuls croyants.
Tout se passe désormais comme si les athées ou les agnostiques, qui
quant à eux ne demandent nullement à la République de satisfaire des
revendications communautaristes, étaient tenus pour quantité
négligeable. Leur discrétion par respect de la laïcité et de
l’universalité de la chose publique les dessert alors qu’elle est à leur
honneur. Un autre exemple. Dans une déclaration à l'Observatoire de la
laïcité, Madame Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Education nationale,
vient de permettre aux accompagnantes scolaires, au passage limités aux
seules « mamans », de porter un signe religieux dans l’exercice de leur
fonction. La laïcité implique l'égalité des droits des divers croyants
et des athées. En toute logique, un(e) accompagnant(e) athée aura donc
également le droit de porter un tee-shirt stipulant « Dieu n’existe pas
». Si on ne lui accorde pas ce droit, en soutenant que ce serait du
prosélytisme, on fait deux poids deux mesures. Etrange interprétation de
la laïcité, réduite à un égal traitement des seules religions et non de
toutes les convictions. Pourquoi les athées n'auraient-ils pas le droit
de mettre en avant leur choix spirituel, comme des croyants le font? Au
nom de quoi une telle discrimination ? Par ailleurs Madame
Vallaud-Belkacem réitère l'erreur qu'avait dû corriger la commission
Stasi en proposant la Loi de 2004. En refusant de définir une même règle
pour tous les établissements scolaires, conformément à l'indivisibilité
de la République, elle dessaisit la laïcité de son statut de principe
constitutionnel dans la hiérarchie des normes, et l'abandonne à la
diversité des rapports de force locaux. Ce n'est pas la meilleure façon
de la défendre.
Approfondissons cet exemple. Une conduite à prétention civique ou
éthique doit pouvoir s’universaliser pour être recevable. Concrètement,
une mère de famille musulmane ou catholique accepterait-elle que son
enfant soit accompagné en voyage scolaire par un athée portant un
tee-shirt mentionnant son choix spirituel athée ? Non sans doute. Un
enfant de famille athée ne peut davantage être accompagné par une mère
voilée ou un père coiffé d’une kipa. Car enfin un voyage scolaire n’est
pas une sortie touristique. Le régime des libertés qui prévaut dans la
société civile ne saurait donc être étendu à l’école, ni aux activités
scolaires, qui concernent des élèves mineurs soumis à l’instruction
obligatoire. Un voyage scolaire, c’est encore l’école, et d’ailleurs en
cas d’accident c’est l’Education Nationale qui assure. L’obligation de
réserve des enseignants, des conseillers d’éducation, doit donc valoir
également pour les personnes qui sont volontaires pour accompagner des
voyages scolaires. Parler de « mamans » (pourquoi pas de « papas » ?)
c’est mettre en avant le rapport familial parent-enfant. Mais celui-ci
ne vaut comme tel que pour l’enfant de l’accompagnant. Pour tous les
autres, enfants-élèves, il ne saurait valoir, et la “maman” ou le “papa”
n'est perçu(e) que comme accompagnant scolaire. C’est donc le rapport
accompagnants scolaires-élèves qui est en jeu, et non le rapport
enfant-maman. Recentrons nous sur la fonction remplie et le régime de
droit qu’elle requiert au lieu de brouiller les pistes par une
présentation compassionnelle. Cette neutralité n'a rien d'arbitraire:
elle promeut le minimum de distance à soi qui conduit à respecter le
droit pour d'autres personnes d'avoir des convictions différentes.
La laïcité se définit par une exigence et pas seulement par un droit.
C'est pourquoi elle est un levier d'émancipation. Tout adulte encadrant
une activité scolaire doit comprendre que l'élève n'est plus seulement
l'enfant. Une deuxième vie s'ouvre à lui, qui ne nie pas la première
mais la dépasse. Un élève, c'est un être qui s'élève. Mettre en avant ce
qui unit plutôt que ce qui divise est alors esssentiel. Toute personne
volontaire pour accompagner une activité scolaire peut le comprendre
sans avoir à se sentir blessée ou niée. La concorde est plus sûrement
assurée par une telle retenue que par une manifestation spontanée de la
religion ou de l'athéisme, surtout en présence de jeunes gens
influençables. Et qu’on ne dise pas qu’en cas d'exigence de neutralité
vestimentaire une seule religion serait stigmatisée, puisque la
déontologie laïque proscrirait aussi bien la croix charismatique, la
kipa, le voile, et le fameux tee-shirt de l’athée.
Finissons par l’Europe. Le pape est venu haranguer le parlement de
Strasbourg. Pourquoi un tel privilège conçu par Martin Schulz ? A quand
une invitation du même type à un représentant de la Franc-Maçonnerie ou
de la Libre-Pensée ? En fait, il y a erreur de destination. Un parlement
démocratique n'est pas un lieu de prêche, ni de propagande athée. Quant
aux racines chrétiennes de l’Europe, elles relèvent d'une conception
très partisane de l'histoire. Que fait-on des racines que sont
l’humanisme antique, la médiation arabe qui en a sauvé l'héritage, le
rationalisme des Lumières, la pensée sociale du dix-neuvième siècle, les
droits humains conquis souvent contre l’Eglise ou malgré elle? Et qui
les représente? Le souci de l’humain, au demeurant, est venu bien
tardivement à l’Eglise institutionnelle, qui n’a pas répugné à user des
deux glaives chers à Bernard de Clairvaux, canonisé par l'Eglise, ni à
lancer l’Inquisition contre les hérétiques prétendus, les juifs ou les
musulmans mal convertis, les athées ou les francs-maçons. Cette
Europe-là, conjugant les bûchers, l'index des livres interdits,
l'antijudaïsme chrétien dégénéré en antisémitisme sans que l'Eglise
proteste, ne peut guère donner la leçon.
Après l’Europe néolibérale qui désespère les peuples, l’Europe vaticane
se pose en supplément d’âme du néolibéralisme fatalisé. Au prix de la
remise en cause de l’égalité de droits entre croyants et athées. Et du
remplacement de la solidarité par la charité. Par ailleurs, celles et
ceux qui subissent de plein fouet la privatisation des services publics
ainsi que la destruction de la fiscalité redistributive et du droit du
travail, exigées par une telle Europe, ne trouveront guère de
consolation dans ce cléricalisme d’un nouveau genre. Une fois encore, ce
sont les plus démunis, les laissés pour compte, que l’on mystifie par de
bonnes paroles qui laissent en l’état l’horreur économique. Pour eux, le
supplément d’âme d’un monde sans âme est dérisoire. Beaucoup de
croyants, comme naguère la philosophe Simone Weil, ont refusé que la
religion serve de simple compensation et en ont appelé à une véritable
politique sociale, irréductible à la charité.
Qui ne voit d'ailleurs que le nouveau couplage de l’ultralibéralisme et
de la religion ressemble à s’y méprendre à l’idéologie propre au
capitalisme sauvage du dix-neuvième siècle ? Exploitation sans frein
toute la semaine, et aumône le dimanche. Ainsi l'Europe est en train de
promouvoir de nouveaux privilèges pour deux religions. Celle du du
Dieu-Marché et celle du catholicisme. Les européens qui ne sont fidèles
ni de l'une ni de l'autre apprécieront.
Henri Pena Ruiz,
ancien membre de la commission Stasi sur l'application du principe de
laïcité
Dernier ouvrage paru : Dictionnaire amoureux de la laïcité (Editions Plon)
Prix de l’initiative laïque 2014 et Prix national de la laïcité 2014
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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