[Laicite-info] Discours de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, lors de son audition par l'Observatoire de la Laïcité
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 27 Oct 11:19:05 CET 2014
Discours de Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Éducation nationale,
de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, lors de son audition par
l'Observatoire de la Laïcité le 21 octobre 2014
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Le : 21/10/2014
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Najat Vallaud-Belkacem s'est exprimée à l'Observatoire de la laïcité,
mardi 21 octobre 2014. La ministre de l'Éducation nationale, de
l'Enseignement supérieur et de la Recherche a rappelé "la mission que la
République a dès l’origine confiée au service public de l’éducation :
transmettre nos valeurs essentielles, former des citoyens, apprendre le
respect des autres, mettre une culture en partage".
Seul le prononcé fait foi,
Je suis heureuse de ce temps d’échange sur un sujet essentiel pour notre
société et pour l’école. Je connais l’expertise de l’Observatoire et je
tiens à vous dire combien vos avis éclairent les politiques publiques
que nous conduisons.
Ma conviction sur la laïcité est qu’elle est un principe essentiel et
intangible garant du vivre ensemble, qui ne peut être à géométrie
variable, soumis aux fluctuations des contextes sociaux ou politiques,
négocié avec tel ou tel groupe de pression, ou enfin présenté de manière
différente en fonction d’intérêts partisans ou d’objectifs qui lui sont
exogènes. Cette intangibilité signifie que nous devons éviter deux
écueils : la laïcité dégradée, ou laïcité ouverte, qui abdiquerait son
ambition et son sens par des petits reculs ou des compromis successifs ;
la laïcité dite de combat, qui stigmatise le fait religieux et constitue
parfois le masque de l’islamophobie.
La liberté religieuse est une expression de la liberté de conscience. La
Laïcité n’est pas l’instrument d’une opposition ou d’un refoulement du
fait religieux, mais la condition de la coexistence harmonieuse de
toutes les expressions confessionnelles, comme de leur absence. Je pense
que le principe de Laïcité doit sans cesse être explicité ainsi, pour
être compris. C’est le beau sens de la pédagogie de la laïcité
qu’Abdenour Bidar a développé, j’y reviendrai.
Dans cette période difficile, nous avons plus que jamais besoin de
laïcité. Aussi, je serai extrêmement impliquée et exigeante pour que ce
principe soit respectée pour ce qu’il est. Il faut recréer du consensus
national sur la laïcité, faire qu’elle cesse d’être un combat pour être
d’abord un moyen : moyen d’apaiser la société, de faire vivre une
culture de la tolérance. Je veux tendre vers une Laïcité qui échappe aux
conflits théoriques et aux passions politiques, qui trouve sa place dans
nos vies quotidiennes en étant comprise, vécue, assumée.
L’école est évidemment le meilleur vecteur de cette ambition. Face au
délitement du vivre ensemble, aux tensions identitaires, aux
provocations qui mettent en cause la laïcité, il est nécessaire de
réaffirmer le rôle de l’école dans la transmission des valeurs
républicaines, de lui redonner pleinement sa fonction de creuset de la
citoyenneté et de restaurer la confiance envers l’école de la part d’une
société inquiète. La loi de refondation de l’école réaffirme sa mission
de favoriser l’appropriation du principe de laïcité. La laïcité garantit
un cadre propice à la transmission des savoirs et des compétences, à
leur apprentissage et à leur appropriation. L’enjeu est de promouvoir
une école qui transmette une appartenance républicaine autour d’une
culture commune et partagée, qui respecte les différences tout en se
protégeant des irruptions identitaires et en prévenant les logiques de
radicalisation. Cela passe aussi par une école capable d’éveiller les
consciences, de développer la liberté intellectuelle et l’esprit
critique. Il ne faut pas seulement développer la laïcité à ou dans
l’école, mais faire en sorte que l’école délivre une pédagogie de la
laïcité, qu’elle ancre ce principe dans les esprits comme dans les
pratiques. Plusieurs chantiers sont essentiels à mes yeux :
Préparer et mettre en œuvre le projet d’enseignement moral et civique :
prévu pour la rentrée 2015, cet enseignement a fait l’objet d’un rapport
du conseil supérieur des programmes du 3 juillet 2014 pour les écoles
primaires et le collège. Concernant les lycées, un rapport
complémentaire est attendu pour cet automne, ce qui me permettra
d’arrêter les programmes après consultations au premier trimestre 2015.
Amplifier l’ambition pédagogique par la formation, tant initiale que
continue, accompagner la communauté éducative, les services
administratifs, sociaux et les autorités académiques. Des efforts
importants ont été engagés, qu’il convient de soutenir davantage :
- Le plan national de formation prévoit une formation dédiée et dans le
cadre des plans académiques de formation continue, plus de 5000
enseignants, inspecteurs et chefs d’établissement ont été formés en
2013-20014.
- En matière de formation initiale des enseignants, la Laïcité figure
dans le tronc commun des enseignements. Nous aurons à homogénéiser les
pratiques des ESPE et à développer des ressources pédagogiques dédiées
que la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) élabore
avec des Écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE)
pilotes autour d’Abdenour Bidar.
- Compte tenu des difficultés signalées par les enseignants au
quotidien, nous allons développer sur la plateforme m at gistere un
parcours d’e-formation sur l’enseignement laïc des faits religieux,
complémentaire du parcours existant, très général sur la laïcité
(histoire, textes fondateurs, présentation explicitée de la Charte, QCM).
Améliorer l’animation territoriale et les réponses de proximité pour
mettre en œuvre une pédagogie de la laïcité : nous disposons dorénavant
d’un réseau constitué de correspondants Laïcité dans les académies. Il
s’agit pour l’avenir de soutenir leurs initiatives, de leur permettre de
faire remonter les réalités de terrain, d’harmoniser les pratiques et
les réponses de l’institution aux situations complexes auxquelles nous
sommes confrontés. Tout ne se joue pas sur l’expression de principes ou
de normes, tout ne se règlera pas par des lois, des décrets ou des
circulaires. Je souhaite que nous épaulions davantage les décideurs de
terrain, afin de faire émerger une culture pratique de la Laïcité, de
donner une réalité à l’idée de pédagogie de la Laïcité, qui suppose de
former et d’outiller les agents publics. La pédagogie de la Laïcité, ce
sont des pratiques porteuses de sens à la fois pour l’institution et
pour ses usagers, élèves, familles, partenaires associatifs et
collectivités locales.
Redonner un élan à la Charte de la laïcité : nous savons que cette
Charte a fait l’objet d’une bonne diffusion dans les établissements
scolaires, mais d’une appropriation très hétérogène. Nous avons invité
la communauté éducative à faire vivre cette Charte au sein des
établissements scolaires, notamment en utilisant les réunions de
rentrée, qui permettent de mobiliser à la fois les élèves et leurs
parents. Mais je suis consciente qu’il sera probablement nécessaire
d’aller plus loin et je réfléchis à ce stade sur l’avis que vous avez
émis au titre de l’Observatoire, préconisant d’organiser des actions
symboliques autour de la date du 9 décembre, en souvenir de la loi du 9
décembre 1905.
Au-delà de ces chantiers ambitieux, je tiens à vous dire ma conviction
sur le contexte actuel, à l’heure où les tensions communautaires et
religieuses prospèrent, où les logiques identitaires sont à l’œuvre. Je
ne suis ni naïve, ni angélique, je mesure la difficulté de la situation
et de la tâche, mais je refuse que l’école comme la laïcité soient
vécues ou se vivent comme des citadelles assiégées.
À cet égard, la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO) a
rendu en avril 2014 les conclusions d’une enquête menée auprès de trente
académies sur le respect du principe de laïcité à l’école, qui atteste
d’une situation globalement apaisée :
la Charte de la Laïcité a fait l’objet d’une bonne diffusion et d’un
affichage massif et visible, quoiqu’il n’ait pas toujours revêtu le
caractère solennel souhaité. La Charte de la laïcité à l’Ecole apparaît
bien comme un outil considéré comme très utile par la communauté
pédagogique pour poser un cadre commun, un outil nécessaire mais non
suffisant pour faire respecter la laïcité de l’école.
Le non respect de la loi de 2004 n’a fait l’objet que d'un très petit
nombre d’incidents, réglés le plus souvent par le dialogue. Globalement,
la loi est bien acceptée et bien comprise par les élèves et leurs
familles. Elle contribue à faire régner, dans les écoles et
établissements, un climat apaisé autour de la laïcité.
Globalement rares, présentées comme marginales ou très localisées, les
contestations de certains enseignements concernent le fait religieux
(refus de visiter des édifices religieux, de suivre un cours sur l’Islam
ou un cours de français utilisant comme support la Bible.), la musique
(refus de chanter ou de souffler dans un instrument à vent), l’éducation
physique et sportive (natation particulièrement), l’éducation à la
sexualité, l’histoire de l’évolution (en cours de SVT), le génocide
arménien et la Shoah.
Sur la restauration scolaire, les académies indiquent qu’une offre de
menus répondant à la diversité culturelle des élèves prévaut et que les
problèmes sont ainsi très circonscrits.
En conclusion, si le climat est serein, c’est également avant tout parce
que les personnels exercent une vigilance permanente et recherchent une
résolution des conflits par le dialogue, avec la volonté de créer une
culture commune partagée.
Pour autant, au-delà de ce constat global qui n’ignore pas des
difficultés locales graves et des situations de radicalité inquiétantes,
il nous faudra travailler ensemble sur des questions qui continuent
d’interroger l’institution régulièrement.
Je pense notamment à la situation des parents accompagnateurs de sorties
scolaires. Tout en rappelant mon attachement à la neutralité du service
public, je vous indique que ma position est conforme à celle qu’a
rappelée le Conseil d’État : "les parents accompagnant des sorties
scolaires ne sont pas soumis à la neutralité religieuse". Ils ne peuvent
être considérés comme des agents auxiliaires du service public et soumis
aux règles du service public. Pour autant, il peut y avoir des
situations particulières, liées par exemple à du prosélytisme religieux,
qui peuvent conduire les responsables locaux à recommander de s’abstenir
de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses. C’est un
équilibre qui doit être trouvé par les responsables de terrain et les
cas conflictuels restent heureusement limités. Pour autant, je veux
réaffirmer un principe et une orientation. Le principe c’est que dès
lors que les mamans (les parents) ne sont pas soumises à la neutralité
religieuse, comme l’indique le Conseil d’État, l’acceptation de leur
présence aux sorties scolaires doit être la règle et le refus l’exception.
L’orientation, c’est celle de l’implication des familles dans la
scolarité de leur enfant et la vie de l’école. Au moment où je veux
absolument renouer le lien de confiance, qui s’est distendu, entre les
parents et l’école, au moment où nous voulons multiplier les initiatives
de terrain en ce sens, tout doit être mis en œuvre pour éviter les
tensions. Cela suppose d’éviter les provocations et de faire preuve de
discernement. Je fais confiance aux acteurs de terrain et je serai
attentive à ce que cette logique d’apaisement et d’implication
collective pour la réussite des enfants soit partout mise en œuvre.
En conclusion, je veux simplement vous dire ma détermination à agir pour
développer la pédagogie de la laïcité à l’école. Ce n’est pas un
chantier subalterne ou connexe aux autres, c’est pour moi un enjeu
central, parce qu’il emporte avec lui la place et le rôle de l’école
dans la société. Nous ne pouvons pas nous résigner à voir se déliter
chaque jour un peu plus la capacité de nos concitoyens à vivre ensemble.
Nous ne pouvons pas accepter de laisser une partie de notre jeunesse
s’éloigner de valeurs fondamentales, comme la Laïcité.
Pour cela, il nous faut renoncer à l’incantation et agir. Agir là où
c’est le plus efficace, là où se forge notre conscience collective : à
l’école. C’est la mission que la République a dès l’origine confiée au
service public de l’éducation : transmettre nos valeurs essentielles,
former des citoyens, apprendre le respect des autres, mettre une culture
en partage. L’école doit être apaisée et protégée. Protégée des
prosélytismes, protégée des irruptions identitaires, protégée des
polémiques stériles. C’est pourquoi les chantiers que je vous ai décrits
comme la résolution des difficultés qui subsistent ou émergent
mobiliseront pleinement les compétences de l’institution dont j’ai la
responsabilité
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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