[Laicite-info] Henri Pena-Ruiz : "La laïcité ne va pas très bien en France"

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 31 Oct 12:13:40 CET 2014


Henri Pena-Ruiz : "La laïcité ne va pas très bien en France"

Publié par : http://www.vousnousils.fr
Le : 31.10.2014

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Henri Pena-Ruiz, phi­lo­sophe, écri­vain et maître de confé­rences à 
Sciences-Po Paris, vient de rece­voir plu­sieurs prix pour son 
Dictionnaire amou­reux de la laï­cité. Selon lui, la laï­cité fran­çaise 
est en crise. Entretien.


Vous venez de rece­voir le Prix natio­nal de la laï­cité 2014, décerné 
par le Comité Laïcité République, ainsi que le Prix de l'initiative 
laïque remis par la CASDEN, la MAIF et la MGEN. Que repré­sentent ces 
deux dis­tinc­tions à vos yeux ?

Je ne boude pas mon plai­sir. C'est une recon­nais­sance morale et 
intel­lec­tuelle du tra­vail effec­tué pour défendre l'idéal laïque. Il 
n'est pas tou­jours facile de faire com­prendre ce qu'est la laï­cité. 
Quand on le fait, on sou­lève encore de l'hostilité de la part des 
per­sonnes que l'idée laïque dérange en ce qu'elle porte atteinte non à 
la reli­gion, mais à ses pri­vi­lèges traditionnels.

Quelle défi­ni­tion don­ner de la laïcité ?

Dans la laï­cité, il y a d'abord l'idée d'unité, celle du laos, qui en 
grec veut dire peuple indi­vi­sible. Il ne s'agit ni de nier les 
dif­fé­rences, ni de s'enfermer en elles. Sinon on tombe dans le 
com­mu­nau­ta­risme. Avant d'être dif­fé­rents, les êtres humains sont 
res­sem­blants : ils sont tous por­teurs d'humanité et de citoyen­neté. 
La laï­cité unit tout le peuple par la conju­gai­son de trois prin­cipes 
fon­da­men­taux : la liberté de conscience ; la stricte égalité de 
droits ; et l'orientation de la puis­sance publique vers l'intérêt 
géné­ral, com­mun à tous, donc uni­ver­sel. C'est une appli­ca­tion du 
trip­tyque répu­bli­cain « liberté, égalité, fraternité ».

La laï­cité se porte-t-elle bien en France et, plus pré­ci­sé­ment, à 
l'école ?

Non, elle ne va pas bien du tout, parce que l'école publique est 
affai­blie par des poli­tiques qui l'ont remise en ques­tion en tant 
qu'école répu­bli­caine et laïque. Certaines réformes dites 
péda­go­giques ont rela­ti­visé l'acte d'instruire. On a trop sou­vent 
décou­ragé les ensei­gnants en les trai­tant d'élitistes et en oppo­sant 
la démo­cra­ti­sa­tion à l'exigence cultu­relle. Ce qu'il faut 
démo­cra­ti­ser, ce n'est pas le savoir, mais l'accès au savoir. Et 
puis, seconde cause du pro­blème : les défaites de la laï­cité. La loi 
Debré de décembre 1959, qui orga­nise le finan­ce­ment public d'écoles 
pri­vées reli­gieuses, est une loi anti laïque. Elle détourne l'argent 
public vers des inté­rêts pri­vés. Elle a été aggra­vée par la loi Carle 
de 2009. Autre recul de la laï­cité : la neu­tra­lité néces­saire de 
l'école. Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'Education natio­nale, 
vient de décla­rer que les accom­pa­gna­trices de sor­ties sco­laires 
n'étaient pas tenues d'observer une neu­tra­lité ves­ti­men­taire. C'est 
une erreur.

Pour quelles raisons ?

Si l'on consi­dère que les sor­ties sco­laires font par­tie de 
l'enseignement, les accom­pa­gna­teurs doivent être sou­mis aux mêmes 
règles déon­to­lo­giques que les per­son­nels de l'Education natio­nale. 
Imagine-t-on un accom­pa­gna­teur sco­laire qui vien­drait revêtu d'un 
tee-shirt sur lequel serait écrit "Dieu n'existe pas" ? Non. Alors il en 
va de même pour toute tenue reli­gieuse. Et puis, il y a des choses 
incom­pré­hen­sibles. Quand Vincent Peillon ministre de l'Education a 
fait la réforme des rythmes sco­laires, il a étendu aux acti­vi­tés 
péri­sco­laires les finan­ce­ments de la loi Debré. Une étrange façon 
d'honorer la Charte de la laï­cité ! De façon inin­tel­li­gible, il a 
dis­pensé les écoles pri­vées reli­gieuses sous contrat de l'application 
des nou­veaux rythmes sco­laires. Quant aux élus qui contournent la loi 
de sépa­ra­tion laïque de 1905, en finan­çant indi­rec­te­ment les 
reli­gions, ils violent la laï­cité qu'ils pré­tendent pour­tant défendre.

Ce qui va mal égale­ment pour la laï­cité, c'est le non res­pect du 
prin­cipe de neu­tra­lité par les plus hautes auto­ri­tés de la 
République. Deux exemples : Nicolas Sarkozy dans son dis­cours du 
Latran, en 2007, avait osé dire que la République avait besoin de 
croyants, ce qui était très dis­cri­mi­na­toire à l'égard des athées et 
des agnos­tiques. Que dirait-on d'un ensei­gnant qui entre­rait dans sa 
classe en décla­rant que l'école a besoin de croyants, ou d'athées ? 
Récemment, en avril der­nier, Manuel Valls, pre­mier Ministre, s'est 
rendu au Vatican, en voyage offi­ciel et donc aux frais de la 
République, pour assis­ter à deux béa­ti­fi­ca­tions papales. C'était 
pour­tant un événe­ment pure­ment reli­gieux, qui n'a rien avoir avec 
des rela­tions diplo­ma­tiques entre Etats !

En quel sens la laï­cité ne peut-elle pas être dite antireligieuse ?

La confu­sion entre laï­cité et démarche anti­re­li­gieuse est un 
contre-sens encore trop fré­quent. La laï­cité n'a jamais été hos­tile à 
la reli­gion ! D'ailleurs, elle a été par­fois por­tée par des croyants, 
comme Victor Hugo, par exemple. On lui doit la célèbre for­mule « Je 
veux l'Etat chez lui et l'Eglise chez elle ». Lors des débats aux­quels 
je par­ti­cipe, je suis sou­vent stu­pé­fait que des per­sonnes 
m'attribuent une hos­ti­lité farouche à la reli­gion. Ma posi­tion est 
pour­tant simple : la reli­gion est libre, mais elle n'engage que ceux 
qui croient. De même, l'humanisme athée est libre mais il n'engage que 
les athées. La République se doit d'être neutre et de trai­ter à égalité 
les divers croyants, les athées et les agnos­tiques. Cela inter­dit les 
pri­vi­lèges publics de la reli­gion, les finan­ce­ments publics 
d'écoles pri­vées reli­gieuses, les pri­vi­lèges concor­da­taires qui 
existent encore en Alsace-Moselle. Beaucoup de reli­gieux cultivent leur 
foi de façon dés­in­té­res­sée. Ils consi­dèrent même que la laï­cité 
est une bonne chose puisqu'elle conduit la reli­gion à se recen­trer sur 
sa démarche spi­ri­tuelle et à aban­don­ner toute volonté de 
domi­na­tion sur la sphère temporelle.

Que pensez-vous des réfé­rents laï­cité qui ont été nom­més dans chaque 
aca­dé­mie pour for­mer les équipes éducatives ?

L'idée est bonne, mais tout dépend du choix de ces réfé­rents. Si l'on 
choi­sit des par­ti­sans de la laï­cité dite « ouverte », c'est-à-dire 
qui pré­ten­draient que la laï­cité est fer­mée et qu'il faut l'ouvrir, 
ce n'est pas une bonne chose. Je suis favo­rable à ce que l'on dis­pense 
une for­ma­tion à la laï­cité à tous les ensei­gnants. Il faut que dans 
les ESPE, il y ait des modules laï­cité pour expli­quer que dans l'école 
de la République, on doit res­pec­ter des règles. Et notam­ment celle 
d'éviter tout pro­sé­ly­tisme reli­gieux ou athée. La République confie 
ses enfants à des ensei­gnants qui se doivent de les for­mer pour qu'ils 
deviennent des citoyens éclai­rés, capables de voter en connais­sance de 
cause.

Charles Centofanti

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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