[Laicite-info] Jean-Michel Ducomte, président de la Ligue de l'enseignement > Hold-up sur la laïcité
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 19 Fév 14:17:37 CET 2015
Hold-up sur la laïcité
Publié par :
http://blogs.mediapart.fr/edition/laicite/article/170215/hold-sur-la-laicite
Le : 17 février 2015
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Un article de Jean-Michel Ducomte, président de la Ligue de l'enseignement.
La référence que font à la laïcité ses adversaires de toujours, au
premier rang desquels le Front national, la récupération qu’ils opèrent
des mots au travers desquels s’est construite la tradition républicaine,
l’adhésion que leur discours suscite, construit à partir de mots dont
ils travestissent le sens et la fonction première, au service d’une
vision politique xénophobe, impose d’urgence d’engager une réflexion sur
une dérive qui ne vise qu’à offrir un masque républicain transitoire à
ceux dont le projet est de détruire les fondements même du pacte
républicain. Leur entreprise de récupération, particulièrement celle du
Front national, repose sur un double glissement de sens.
Alors que la laïcité est, d’abord, un mode juridique d’organisation de
la sociabilité soustraite aux injonctions confessionnelles, reposant sur
l’affirmation pour chacun d’une totale liberté de conscience et de
religion dans les limites de l’ordre public démocratiquement défini –
l’article 1er de la loi du 9 décembre 1901 n’affirme-t-il pas que la
République garantit le libre exercice des cultes ? – et sur une
neutralisation religieuse de l’Etat et ses services publics, ils en ont
fait une idéologie fondée sur l’affirmation d’une identité nationale
fantasmée. Alors que la laïcité est animée par une logique
d’émancipation reposant sur le développement de la liberté de chacun et
sur la confiance faite en l’éducation, ils en font un outil de
conformation sociale et politique fonctionnant à partir d’interdictions.
L’interdiction légale remplace l’éducation, l’injonction d’adopter un
mode de comportement présumé conforme à ce qu’impose la tradition se
substitue à la liberté.
Très logiquement, le débat s’est focalisé sur nos concitoyens de
confession ou de culture musulmane et, plus largement sur la pratique du
culte musulman. Ils incarnaient, pour Les défenseurs d’une vision
identitaire de la nation, le principe même d’une altérité qu’ils
refusaient. L’on a assisté à une essentialisation de l’islam, très
largement aidé par le discours d’un certain nombre de néo-réactionnaires
tels Finkielkraut, qui tendait à démontrer que la qualité de musulman
induisait nécessairement l’adoption de certaines attitudes, de certains
comportements, considérés, à priori comme républicano-incompatibles. Une
équation s’est progressivement construite, tendant à établir, dans
l’imaginaire collectif un lien nécessaire, construit autour de la
référence à l’islam, entre plusieurs mots jusqu’alors utilisés
séparément : musulman, arabe, immigré, terroriste, chacun d’entre eux
étant affecté d’un jugement négatif.
Ainsi, ce discours identitaire, qui refuse de considérer ceux qui
n’entrent pas sa vision de la nation autrement que comme des ennemis,
tend à construire intellectuellement ces adversaires prétendus en
communauté. Adversaire prétendu du communautarisme, il communautarise
artificiellement nos concitoyens de confession ou de culture musulmane
leur prêtant, a priori, à raison de ce qu’ils sont cessés croire, tel
type de comportement, d’attitude, éventuellement de dérive. Il opère, en
vérité, dans le cadre d’une stratégie qui se donne des objectifs voisins
de ceux qui animent les criminels qui justifient leur dérive terroriste
par une référence idéologique à l’Islam, et qui tend à briser le pacte
républicain qui unit, dans leur diversité assumée, les diverses
composantes de la communauté nationale.
Ces laïques identitaires, tout en feignant de s’affranchir de toute
référence religieuse et au prétexte de lutter contre les
communautarismes, voudraient faire du principe de laïcité, qu’ils ont
préempté en le travestissant l’instrument de sauvegarde d’une identité
fantasmée de la France. Tout ce qui visiblement heurte leur regard est
sommé de disparaître. Pour ces initiateurs des « apéros vin et saucisson
» ou des « soupes au cochon ». L’ennemi c’est la religion musulmane et
ses pratiques vestimentaires, cultuelles ou alimentaires. La qualité de
Français se juge plus aux comportements que l’on adopte qu’au partage de
valeurs communes. La laïcité acquiert, pour eux, une fonction épurative,
éradicatrice, exactement à rebours de la conception qu’en avaient les
rédacteurs de la loi du 9 décembre 1905.
Sous l’influence de ce nouveau courant, la laïcité cesse d’être un outil
d’émancipation et un principe de liberté pour se transformer en
instrument permettant de purger l’univers visible de ce qui blesse leur
regard. L’ordre public tend à se réduire à un moyen d’assurer la
sauvegarde d’une identité nationale refermée sur elle-même, exclusive de
toute influence qui la viendrait pervertir, méfiante et parfois
résolument hostile à toute immigration qui ne ferait pas acte de
capitulation devant la pauvre mémoire d’un universel sans autre
imagination que la réitération de ce qui le rend si banalement
singulier. Le débat engagé en 2009 sur l’identité nationale, finalement
converti en une réflexion sur la question de l’islam, en a offert la
navrante et nauséabonde illustration.
Pour ces laïques d’un nouveau genre, fraichement converti à l’usage d’un
principe qu’ils contestaient naguère et qu’ils récusent encore lorsque
le débat vient à s’engager sur des sujets qui, comme la défense de
l’école publique ou l’élargissement du mariage à tous les couples,
qu’elle que soit leur orientation sexuelle, échappent à la sagacité de
leur logiciel, la laïcité se réduit, dans le meilleur des cas, à une
méthodologie de gestion d’une diversité culturelle qu’ils ne supportent
que sommée de faire silence dans son expression visible et qui parfois
confine à un racisme identitaire destiné à sauvegarder l’image qu’ils se
font d’une France ou d’une Europe christiano-centrée, fidèle à ses
racines et menacée par le pratique de cultes venus d’ailleurs. Ce qui
est en cause, c’est plus la visibilité des comportements religieux
adoptés des adeptes d’autres religions, que le souci d’une neutralité
confessionnelle de l’Etat. Ce qui est sur les têtes leur importe plus
que ce qui se trame dans les têtes. Mais peut-être ne souhaitent-ils pas
que l’on visite ce qui se joue dans leur propre crâne.
Il est temps de remobiliser les consciences, de réveiller les mémoires
et de susciter les intelligences. Ce qui est en train de se passer peut,
si aucune réaction construite ne se dessine, conduire à une remise en
cause, difficilement réversible des principes, sur lesquels repose le
pacte républicain. Il n’est pas concevable de voir utiliser à des fins
qui sont l’inverse des finalités que lui avaient assignées ses
concepteurs, le principe émancipateur de la laïcité. Plus que jamais
l’exigence d’une éducation populaire laïque s’impose afin que chacun,
fier de ses appartenances mais libre d’en changer, puisse mesurer la
formidable conquête qu’a constituée, et que représente encore, le
produit d’un combat inscrit dans la durée. N’oublions jamais qu’il
fallut plus d’un siècle pour que les promesses laïques de 1789 soient
confirmées en 1905 et plus de temps encore pour que l’Eglise catholique
les accepte.
Jean-Michel DUCOMTE
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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