[Laicite-info] « Réaffirmer la laïcité à l’école », oui mais comment ?
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 20 Jan 09:15:30 CET 2015
« Réaffirmer la laïcité à l’école », oui mais comment ?
Publié par : http://www.lagazettedescommunes.com
Le : 19/01/2015
Par : Stéphanie Marseille
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La ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem a tenu à
écouter les remontées de terrain des élus et des associations, lors
d'une réunion interministérielle organisée le 15 janvier dernier.
L'affirmation de la laïcité a été au centre des discussions, mais, selon
plusieurs acteurs politiques et associatifs, elle n'est pas la seule clé
du débat.
Les attentats des 7 et 9 janvier permettraient-ils de libérer une
parole, jusque-là malaisée ? « On sent monter depuis un moment la
difficulté des élus à affirmer la laïcité, dans des domaines de plus en
plus nombreux » avance André Laignel, maire d’Issoudin, premier
vice-président délégué à l’Association des maires de France.
« Lors de la réunion interministérielle du 15 janvier , nous avons
avancé un besoin de clarification du corpus de références. Les maires
sont en première ligne d’une série de problématiques très concrètes,
mais ils ne savent pas, dans la multitude de textes, circulaires et
chartes promouvant la laïcité, ce qu’il convient de faire et ce qu’ils
ont le droit de faire » constate cet ancien secrétaire d’Etat à la Ville
sous François Mitterrand.
Aider les élus locaux sur la laïcité
D’ici la mi-avril, le groupe de travail laïcité de l’AMF, dont la
création a été décidée au sortir du Salon des maires en novembre
dernier, fera donc des propositions dans le sens d’un vademecum
susceptible d’aider les élus locaux à gérer des situations dans tous les
services publics, y compris l’école. Président du conseil général de
Seine-Saint Denis et présent au titre de l’Assemblée des départements de
France, Stéphane Troussel souscrit à la démarche.
Sur le fond, cependant, les approches peuvent diverger : « dès que cela
touche l’école, il faut exiger la neutralité absolue » martèle André
Laignel. Stéphane Troussel privilégierait une plus grande souplesse : «
il doit être possible de trouver un consensus sur ce qu’est la laïcité,
tout en faisant confiance à ceux qui sont régulièrement confrontés à des
situations conflictuelles pour les régler. Dans le cas des mamans
voilées désireuses d’accompagner les sorties scolaires, s’il s’agit d’un
accompagnement ponctuel, que les mamans sont connues et reconnaissables,
pourquoi ne pas l’autoriser ? »
Le PEDT comme rempart
Surprise ! Le programme éducatif territorial (PEDT), plutôt perçu comme
une contrainte dernièrement, se trouve soudain érigé en outil de défense
de la laïcité et des valeurs républicaines. « L’AMF appelle les maires à
inscrire dans les axes des PEDT l’acquisition des valeurs républicaines,
qui reposent sur des droits et des devoirs, et à exercer toute leur
vigilance pour que les intervenants auprès des enfants et des jeunes
connaissent la portée de ces principes, s’engagent à les transmettre et
les appliquent fermement » explicite ainsi le communiqué de presse de l’AMF.
« Avec la réforme des rythmes scolaires, nous disposons des outils pour
travailler ensemble, d’autant que les programmes de réussite éducative
(PRE), souvent portés par les projets éducatifs locaux (PEL),
constituent, eux aussi, des machines à faire du lien autour de l’école »
renchérit Marc Sawicki, président du Réseau français des villes éducatrices.
Rôle et responsabilités de la famille
« Nous sommes prêts à aller loin dans la co-éducation, car nous ne
gagnerons pas cette bataille pour la mise en oeuvre de la laïcité sans
mettre les parents au centre des démarches. Les discussions sur les
difficultés rencontrées, ici et là, pour faire observer la minute de
silence ne peuvent occulter la sphère familiale, qui compte beaucoup
pour les jeunes. Je plaide donc pour que les locaux des établissements
scolaires, mais aussi, les projets pédagogiques, fassent une place aux
parents » martèle Stéphane Troussel.
De son côté, le vice-président de l’Anaré, Bertrand Gohier souligne
combien les actions autour de la laïcité constituent, d’ores et déjà, le
« pain quotidien » des PRE, et plus largement, celui d’un grand nombres
d’ acteurs de la politique de la Ville dans les quartiers populaires.
« Aujourd’hui, il existe beaucoup de textes et de chartes de la laïcité,
mais ils fonctionnent tous comme des rappels à l’ordre. Peu de personnes
incitent au débat autour de la laïcité. Or, les familles nous expriment
à la fois leur crainte d’être stigmatisées et leur difficulté à trouver
les mots, les ressources pour « parler » de cela avec leurs enfants.
Quand nous suivons des enfants et leurs familles, nous accompagnons leur
construction identitaire et leur compréhension du contexte. C’est un
travail éducatif, c’est l’exercice réel de la laïcité. Il est impossible
de s’en tenir aux rappels à l’ordre » explique ce coordonnateur de la
Réussite éducative à Rennes.
Des discussions plutôt que des injonctions
Qu’en pensent les mouvements d’éducation populaire, également mis à
l’honneur, au travers de la réunion interministérielle organisée par
Myriam El Khomri ?« Nous avons remonté les difficultés rencontrées pour
organiser des débats, sur le temps scolaires ou périscolaires, au sujet
des évènements ou de la laïcité. Il est nécessaire de disposer d’espaces
de débats pour rediscuter le cadre de la laïcité, qui ne peut pas se
réduire à une heure d’enseignement civique et moral. Notre constat porte
sur le manque d’espaces d’expériences collectives, de décisions, de mise
en pratique des grandes valeurs. La question, aujourd’hui, n’est pas
celle de l’injonction, mais plutôt : comment faire en sorte que des
élèves ou des jeunes se réunissent, discutent de ce qui ne va pas et
avancent leurs propres idées ? » témoigne Hélène Grimbelle, secrétaire
nationale de la Ligue de l’enseignement.
« L’éducation, dans le contexte actuel, devient un enjeu qui revêt une
dimension particulière, il faut soutenir la refondation de l’école. Il
n’y a pas besoin d’inventer des outils, nos mouvements ont déjà des
pratiques et des écrits, qu’enseignants et animateurs pourraient
utiliser. L’enjeu consiste aussi à mieux accompagner les équipes de
terrain, que l’on parle des enseignants, des animateurs, des personnels
dans les écoles ou des travailleurs sociaux. La laïcité, c’est un débat
permanent à animer auprès des parents et des enfants. Mais nous avons
besoin d’une ligne politique claire et partagée » avance Jean-Luc
Cazaillon, pour le Collectif des associations partenaires de l’école
publique (CAPE).
Les associations sur la touche
Car, à l’instar du président de l’association Ville & Banlieue Damien
Carême, tous deux attirent l’attention sur l’état dans lequel se trouve
le tissu associatif aujourd’hui : « les associations ont souvent été
réduites, au travers des appels à projets, à des prestataires ou des
sous-traitants pour les institutions et ne sommes plus reconnus comme
des partenaires dans la co-construction de politiques publiques et
d’actions locales. Qui plus est, les appels d’offre nous enferment dans
des actions ponctuelles, sans reconnaissance de notre apport éducatif
sur le long terme.»
Et Jean-Luc Cazaillon de conclure : « Nous sommes malmenés depuis dix
ans, ringardisés en quelques sortes et les soutiens financiers ont
baissés. Il faut donc mener une politique volontariste de soutien aux
mouvements d’éducation populaire, car nous sommes en capacité d’animer
les ressources locales ».
L’arbre qui cache la forêt ? - Affirmée, réaffirmée, la laïcité
résume-t-elle cependant tous les enjeux présents ?
« Une grosse partie de la discussion a tourné autour de la réaffirmation
de la laïcité, en tant que garante de la religion de chacun. Et c’est
important, car elle protège les croyances, les préserve des
débordements. Mais ce n’est pas suffisant. Et oui, Les PEDT, comme les
PRE et les PEL, constituent de vrais outils de débat, de dialogue, de
co-gestion de l’éducation, mais on ne règlera pas la situation à partir
de l’école seulement. Les problèmes que nous rencontrons sont généraux,
ils ne se résument pas à la défense de la laïcité. Ce sont des problèmes
d’inégalités sociales qui sont restés sans solution » détaille Damien
Carême, président de l’association Ville et banlieue. Il en appelle donc
à un travail sur les causes non sur les conséquences, assorti d’une
réorientation des moyens. « Il faut réinterroger toutes les politiques
de droit commun, les redéployer dans les banlieues et favoriser l’accès
à la culture dans nos banlieues, car des projets avec des artistes en
résidence permettent d’aller à la rencontre des autres cultures et des
religions ».
Une analyse que partage Bertrand Gohier : « Prévenir des phénomènes
comme celui de la semaine dernière passe, impérativement, par la
socialisation des enfants : il faut leur permettre de vivre des
expériences de vie collective, dans l’école et hors de l’école, hors de
leur quartier. Il faut se rappeler que les pratiques culturelles et
artistiques offrent de formidables leviers pour que les enfants
s’expriment ».
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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