[Laicite-info] André Giordan : Check-list en 12 points pour implanter la laïcité à l’école

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 22 Jan 10:02:49 CET 2015


André Giordan : Check-list en 12 points pour implanter la laïcité à l’école

Publié par : http://www.cafepedagogique.net
Le : 22/01/15

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A l'usage des enseignants, des (directeurs, inspecteurs) et décideurs 
(président, ministre, membres des cabinets). (Ré)instaurer la laïcité à 
l’école n’est pas « chose » simple ; ce sera même une épreuve de longue 
haleine tant il y a (aura) d’obstacles à dépasser, d’habitudes à 
outrepasser ou d’évidences à changer. Pourquoi ne pas le tenter… mais 
pas n’importe comment.



Règle n°1



Le programme de Morale et Instruction civique (ECM)  '2) que l’on 
appelait Instruction civique il y a encore peu, est bien sûr à repenser. 
Il n’a aucune prise sur la réalité d’aujourd’hui… Toutefois il ne suffit 
pas de mettre des notions en plus sur la laïcité, sur le « vivre 
ensemble », encore faut-il que celles-ci ne soient pas éthérées. Certes 
les programmes demandent à être renforcés, mais pas seulement par des 
textes en sus... Seront-ils seulement effectués ? Il y a un long chemin 
de l’intention à l’action. Ce peut être possible si on leur accorde plus 
qu’une ou deux petites heures par semaine, cantonnées dans la seule 
sphère de l’histoire-géo. Les profs. les aborderont quand ils auront 
bien avancé les autres matières, celles considérées comme sérieuses, « 
parce qu’au bac » !..



Règle n°2



La laïcité, le « vivre ensemble » ne sont-ils pas plutôt l’affaire de 
toutes les disciplines (Règle n°2) ; dans notre société contemporaine 
mondialisée traversée par l’individualisme et la consommation, elle est 
à promouvoir avant les maths. Va-t-on instaurer une épreuve –sur projet 
ou comme un TPE par exemple- avec un fort coefficient au baccalauréat ? 
Sans une telle incitation, l’EMC n’aura jamais d’envergure, elle ne 
trouvera pas sa raison d’être, l’émotion passée.



Règle n°3



Arrêtons de répéter « laïcité, laïcité, laïcité… » au point d’en faire 
un mot « valise » ! Pour prendre sens, cette éducation doit être en 
prise directe avec le vécu des élèves. Pas facile avec des jeunes qui se 
sentent étrangers à la Nation ou quand la laïcité est perçue comme 
l’adversaire de leur identité… Pour commencer, elle ne peut être qu’un 
engagement, une prise de responsabilités au niveau de l’école. Nombre 
d’expériences sur le terrain ont déjà été tentées avec succès. Elles 
s’avèrent plus pertinentes quand elles existent dans la durée, quand 
elles sont partie prenante du quotidien de l’école : services dans 
l’établissement (participation à l’entretien, à la convivialité des 
lieux, accueil et accompagnement des élèves plus jeunes,..) animations 
de clubs, actions de médiation, éducation à la gestion de conflits, 
échanges réciproques de savoirs promus par les Heber-Suffren, etc.. 
Pourquoi ne pas mieux les partager pour les généraliser ?



Dans la classe, on peut également penser faire vivre l’EMC dans les 
travaux de groupes, dans l’émulation par le sport, l’introduire dans les 
projets interdisciplinaires, dans les rencontres avec des partenaires 
locaux associatifs, municipaux, étatiques... pour percevoir la dimension 
citoyenne de leur ville, de leur village, dans des activités de 
sécurité, d’écocitoyenneté, etc.. On peut encore instaurer un conseil de 
classe hebdomadaire, type Freinet, où l’on traite tous les problèmes, de 
l’organisation aux responsabilités de chacun, etc…



L’EMC peut les mobiliser dans des pratiques au sein des quartiers ou 
dans des actions humanitaires de part le monde. Il existe bien un 
Parlement d’enfants, des Conseils municipaux de jeunes, des prix contre 
le harcèlement, l’égalité des sexes ou des fondations pour la 
philanthropie ; ce sont des opérations « bonne conscience » qui ne 
touchent qu’un nombre restreint de classes ou d’élèves. Les questions de 
tolérance, d'égalité, de violence, d’intégrisme doivent être abordées au 
quotidien, dans des moments d’Ethique, autre lacune des programmes. Un 
travail de clarification des valeurs, notamment des valeurs de la 
République, est à introduire dès l’école maternelle… Nombre de phrases 
répétées sont à décoder. Par exemple, la liberté d’expression n’est pas 
absolue, elle est limitée par la loi…



Règle n°4



Pour y mettre du sens, l'école devrait se saisir en permanence de 
l’actualité, elle ne devrait pas rester frileuse par rapport aux médias 
ou aux réseaux sociaux. (Règle N°’4). Nombre d’enseignants hésitent à 
aborder ces questions car l’Ethique n’est programmée qu’en terminale ou 
à cause d’une certaine conception de l’éducation –elle est affaire de la 
famille - (3) et même de la laïcité envisagée comme une certaine neutralité.



Règle n°5



« L’autorité des enseignants et des personnels d’établissement doit être 
renforcée ». Mais encore ne suffit-il pas de le dire ! Bien sûr les 
manquements doivent être remontés au chef d’établissement, mais ce 
dernier que peut-il faire si on le laisse esseulé ? Il peut convoquer 
les parents, les enfants à problèmes ont des parents qui ont 
démissionné. Il peut faire appel au Conseil de discipline ; ce n’est pas 
par une exclusion de 3 jours, d’une semaine ou une exclusion définitive 
que le problème sera réglé. Bien au contraire, la sanction est la pire 
des solutions, les élèves qui s’affrontent à l’autorité se sont de facto 
déjà exclus de l’institution. Très souvent, ils dépassent toutes les 
bornes pour se sentir encore un peu partie prenante de l’école.



Règle n°6



La solution est ailleurs, elle est dans le recrutement, le statut et 
dans la formation des enseignants pour en faire des personnalités qui 
s’imposent d’elles-mêmes, qui se coordonnent pour affronter la violence 
du jeune en déshérence et la faire cesser (Règle n°6).



Règle n°7



Beaucoup pourrait être fait en amont pour éviter cette exclusion. Il 
faut s’interroger sur le fonctionnement des écoles des quartiers 
difficiles (profs. sans expérience, locaux délabrés, absence de 
convivialité, notamment à la « cantine », etc..) et sur la place faite à 
l’élève dans l’école. Au delà des beaux discours, du saupoudrage de 
moyens pour faire bonne conscience, il nous faut prendre conscience que 
notre école est actuellement très inégalitaire, comme l’ont démontré les 
évaluations PISA. Sans doute la moins inclusive en Europe.



Règle n°8



Ses programmes et ses méthodes pédagogiques produisent de l’ennui, du 
désintérêt parce qu’on prend rarement en compte les questions des 
élèves. Non pas pour y rester, cher Monsieur Finkielkraut, mais pour 
partir d’elles et aller vers la Connaissance, sans oublier les 
compétences. Surtout, et cela est vraiment dramatique, sa façon 
d’évaluer fait perdre tout à la fois confiance et estime de soi à nombre 
d’enfants, d’adolescents qu’elle finit par dégoûter, stigmatiser, puis 
exclure du système scolaire, et par là de toute vie sociale. 
L’évaluation n’est pas qu’une question de note ou d’appréciation. 
Certaines appréciations sont pires que les notes ! L’évaluation ne peut 
plus rester une fin en soi et se situer en fin d’apprentissage. Elle 
doit être une étape du travail pédagogique pour permettre à l’élève de 
prendre conscience de ses difficultés, ensuite d’avoir un accompagnement 
pédagogique pour y remédier, avec la possibilité de repasser son 
évaluation (Règle n°8). De telles pratiques  (4) ne demandent pas plus 
de moyens supplémentaires -combien de temps-enseignant sont actuellement 
perdus- mais une autre organisation de la classe, une autre culture de 
l’école. Les élèves apprennent dès l’école primaire à « consommer » du 
cours et ils attendent que le professeur fasse son cours pour apprendre, 
au lieu d’apprendre à apprendre. En sus, trop d’enseignement frontal non 
situé tue le désir d’apprendre.



Règle n°9



Pour éviter la perte de confiance, puis la déshérence qui conduit à 
l’exclusion et à la violence, il est un point fondamental à mettre en 
place de façon apaisée ; il demeure tabou parce que l’école reste 
toujours inféodée à un Ministère de l’Instruction . (5) On n’ose 
toujours pas explicitement permettre à chaque élève de « travailler sa 
propre personnalité », de faire émerger sa propre identité au sein de la 
Nation. Une pédagogie humaniste doit désormais aller résolument dans ce 
sens, nombre de propositions et de documents pour la classe ont déjà été 
produits pour y parvenir . (6) Ces jeunes qu’on dit « violents » ont 
besoin d’abord d’écoute et surtout de reconnaissance. Ils ont besoin de 
comprendre, de se comprendre, de mettre du sens, de mettre des mots pour 
exister autrement et sortir de leur violence.



Règle n°10



Un tel projet éducatif renvoie à un travail sur soi, à la prise de 
conscience et à la valorisation de son potentiel, à l'amélioration de sa 
qualité de vie et à la réalisation de ses aspirations et de ses 
passions, etc. Il n’est pas une thérapie, il démarre simplement par des 
situations pour améliorer ses performances scolaires (apprendre à 
apprendre pour mieux mémoriser, communiquer, s’organiser, gérer son 
temps,..), une prise de conscience de son rapport au Savoir, à l’école 
ou à la culture, et une transformation de soi, à la fois pour se défaire 
de certains aspects négatifs (phobie, anxiété, timidité, violence,..) et 
aller vers de meilleures confiance et estime de soi et vers une 
clarification des valeurs que l’on souhaite porter. De simples jeux de 
rôle, des ateliers d’écriture, du théâtre interactif, un photolange, des 
moments où on parle de soi à travers des objets auxquels on tient, 
d’autres où on se sent écoutés, reconnus sont une première approche 
pertinente qui peut se faire facilement en classe (Règle n°10).



Règle n°11



Sur tous ces plans, se pose en premier la question de la formation des 
enseignants et des cadres de l’éducation (directeurs, conseillers, 
inspecteurs, ministre, président,..). Rien ne peut se faire si ceux-ci 
ne s'approprient pas une ECM vivante, si les valeurs -celles de la 
république, celles de la démocratie, celles du vivre ensemble- ne  sont 
pas explicitement introduite dans la culture de l’école, encore moins 
s’ils ne sont pas formés à accompagner l’émergence d’une personne pour 
les premiers, d’un système apprenant ou d’une équipe éducative pour les 
seconds. Ce sont ces questions « vives » que devraient traiter en 
priorité une Commission des Programmes d’une part, une Commission de 
l’Education transpartisane d’autre part.



Quant aux Ministres ou aux Présidents successifs, ce n’est pas par des 
annonces ou par des lois qu’ils pourront faire évoluer ce système 
éducatif. Peut-être devraient-ils prendre conscience de combien leurs 
réformes ont été (sont) contreproductives, combien cette suite de 
réformes sur 30 ans mises en place à la va-vite, non accompagnées, non 
évaluées ont pu être même bloquantes. Il ne suffit pas de répéter qu’on 
a mis en place des Écoles supérieures du professorat et de l'éducation 
(ESPE) pour les rendre pertinentes. Déjà pouvaient-il tirer partie des 
dysfonctionnements des anciennes Ecoles normales et des IUFM pour penser 
ces Ecoles, leurs cabinets ne pourraient-ils pas faire un minimum de 
veille pour repérer les  « bonnes pratiques » pour leur mise en place et 
leur fonctionnement avant de leur préparer des annonces qui resteront 
sans suivi efficace.



Et Règle n°12



Sans doute faudrait-il pour commencer (re)penser l’organisation du 
système éducatif lui-même. La moindre des innovations ou des 
propositions butent sur une somme de blocages liés aux territoires de 
compétences, aux égos et aux corporatismes de toutes sortes. Obtenir la 
« conjonction des planètes » pour y parvenir, comme disent les 
observateurs du système tient du démiurge ! Sans doute faudra-t-il 
sortir de l’habitude des décrets, des circulaires et des injonctions 
descendantes qui ne font exister qu’énarques et politiques aux dépends 
de l’école (Règle n°12) !.. Il est vrai que la systémique, la 
pragmatique dont les processus de changement ne sont pas non plus au… 
programme.



André Giordan

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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