[Laicite-info] Catherine Kintzler > Contre l’intégrisme, choississons la respiration laïque

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 30 Jan 11:23:40 CET 2015


Catherine Kintzler > Contre l’intégrisme, choississons la respiration laïque

Publié par : Le Monde.fr
Le : 30.01.2015
Par Catherine Kintzler, philosophe, auteure de Penser la laïcité (Paris 
: Minerve, 2014)

*****************************

L’intégrisme ne peut pas souffrir les points de fuite par lesquels on 
peut échapper à son exigence d’uniformisation de la vie et des mœurs. 
Tout ce qui troue ce tissu qu’il veut intégral, ordonné à une parole 
unique, lui est odieux. Rien d’étonnant à ce qu’il s’en prenne à la 
liberté d’expression, et généralement à toute altérité.

Les États de droit sont naturellement dans le viseur de son tir ; on se 
souvient des caricatures au Danemark, de Theo van Gogh, de Rushdie, de 
Redeker, de Toulouse. Avec les assassinats de Paris, où un parcours 
sanglant des figures de la liberté a été tracé (le « blasphémateur » qui 
teste la liberté, le policier républicain qui la protège, le juif qui 
incarne l’altérité haïe), suivis par la démonstration sans précédent 
d’un peuple se réappropriant ses principes, on atteint une sorte de 
classicisme dans l’opposition épurée entre la violence intégriste 
meurtrière et les principes républicains libérateurs. Dans son éditorial 
du 14 janvier, Charlie-Hebdo, sous la plume de Gérard Biard, pointe le 
noyau intelligible de cette opposition absolue : le régime laïque, nec 
plus ultra de l’État de droit.

La laïcité comme régime politique est en effet une cible éminente pour 
les visées intégristes. Cette éminence la désigne comme le point de 
résistance le plus puissant pour s’en prémunir – à condition de ne pas 
renoncer à cette puissance par des « accommodements » qui la ruinent.

La laïcité va jusqu’aux racines de la disjonction entre foi et loi. 
Au-delà même de la séparation des églises et de l’État, elle rend le 
lien politique totalement indépendant de toute forme de croyance ou 
d’appartenance : il ne se forme pas sur le modèle d’un lien préexistant, 
religieux, coutumier, ethnique. L’appartenance préalable à une 
communauté n’est pas nécessairement contraire au lien politique, mais 
elle n’est jamais requise par lui. Et si une appartenance entend priver 
ses « membres » des droits ou les exempter des devoirs de chacun, 
l’association politique la combat.

On voit alors que, si l’intégrisme peut encore s’accommoder d’une 
association politique « moléculaire » où les communautés en tant que 
telles sont politiquement reconnues, il ne peut que haïr celle qui 
réunit des atomes individuels, qui accorde aux communautés un statut 
juridique jouissant d’une grande liberté mais leur refuse celui d’agent 
politique ès qualités.



UN STATUT D’INTOUCHABLE

En outre, le régime laïque installe une dualité qui traverse la vie de 
chacun et rend concrète une respiration redoutée par l’intégrisme. D’une 
part, le principe de laïcité proprement dit applique le minimalisme à la 
puissance publique et à ce qui participe d’elle : on s’y abstient de 
toute manifestation, caution ou reconnaissance en matière de cultes, de 
croyances et d’incroyances. Mais d’autre part ce principe d’abstention, 
ce moment zéro, n’a de sens qu’à libérer tout ce qu’il ne gouverne pas : 
l’infinité de la société civile, y compris les lieux accessibles au 
public, jouit de la liberté d’expression et d’affichage dans le cadre du 
droit commun. Sans cette dualité, la laïcité perd son sens.

Chacun vit cette distinction concrètement : l’élève qui ôte ses signes 
religieux en entrant à l’école publique et qui les remet en sortant fait 
l’expérience de la respiration laïque, il échappe par cette dualité 
aussi bien à la pression sociale de son milieu qu’à une uniformisation 
officielle d’État. Croire qu’une femme voilée serait incapable de 
comprendre cette articulation, la renvoyer sans cesse à l’uniformité 
d’une vie de « maman voilée », c’est la mépriser et la reléguer dans un 
statut d’intouchable ; c’est aussi désarmer celle qui entend échapper au 
lissage de sa vie.


DISCOURS compassionnels ET CULPABILISANTS

On comprend que cette altérité fondamentale des espaces, des temps, des 
règles, des fonctions, soit insupportable à l’intégrisme puisqu’elle 
fait obstacle, par définition, à toute emprise intégrale sur l’existence 
humaine. Mais comment comprendre qu’elle soit récusée et même combattue, 
au prétexte de « respect des cultures » et d’« inclusion », par des 
progressistes ? Comment comprendre que le brouillage des distinctions 
soit obstinément reconduit, que les injonctions au conformisme soient 
complaisamment tolérées, que le grignotage de ce régime libérateur soit 
systématiquement proposé par des « décideurs » dont la couleur politique 
varie, mais jamais l’assentiment à cette pensée diffuse qui fait de 
l’attitude croyante une norme, qui la considère comme un modèle de « 
vivre ensemble » et qui invite chacun à s’y inscrire, sans répit, sans 
moment critique, sans respiration ?

L’introduction des signes religieux à l’école publique (sortis par la 
porte en 2004 et revenant par la fenêtre avec les accompagnateurs de 
sorties), la mise en quartiers des cimetières, l’appel au financement 
des cultes – comme si la liberté de culte était un droit créance –, 
l’injonction faite à l’école de se livrer à son extérieur en organisant 
l’impossibilité d’instruire (bonne recette pour produire des ghettos 
scolaires voués à la monotonie communautaire), l’abandon par les 
services publics de zones qu’on ne devrait pas appeler « urbaines » : en 
finira-t-on bientôt avec cette politique anti laïque et antirépublicaine 
qui n’est autre qu’un soutien à l’intégrisme politique ?

Alors oui, la France a effectivement un problème avec la laïcité. Ce 
problème ce sont nos états d’âme qui nous rendent sensibles aux discours 
compassionnels et culpabilisants ; ce sont nos états d’âme qui nous font 
regarder des communautés exclusives et féroces avec indulgence et qui 
conduisent même certains à désigner d’un index complice les cibles au 
bras meurtrier en susurrant l’accusation suprême - « islamophobe ! » - ; 
ce sont nos états d’âme qui nous rendent perméables à la normalisation 
par le religieux à laquelle il faudrait « s’adapter », comme si la 
laïcité était antireligieuse. Ce problème c’est que nous n’osons pas 
imposer avec assez de force à nos « décideurs » la réappropriation du 
modèle politique laïque et de sa puissance libératrice.

-- 

-----------------------
Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
-----------------------
Nos sites :
http://www.laligue-alpesdusud.org
http://www.laligue-alpesdusud.org/associatifs_leblog
-----------------------





Plus d'informations sur la liste de diffusion Laicite-info