[Laicite-info] L’enseignement de la laïcité doit maintenir la supériorité de la science sur la croyance

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 27 Oct 09:22:19 CET 2015


L’enseignement de la laïcité doit maintenir la supériorité de la science 
sur la croyance

Publié par : LE MONDE
Le :  27.10.2015

Auteurs : Laurent Bouvet est professeur de science politique à 
l’UVSQ-université Paris-Saclay. André Grjebine est directeur de 
recherche au Centre de recherches internationales de Sciences Po.

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Le « livret laïcité  », que le ministère de l’éducation nationale vient 
d’élaborer à l’usage des chefs d’établissement et des équipes éducatives 
de l’enseignement public, repose sur une confusion entre une vision 
simplifiée de la laïcité et le cadre dans lequel elle ­s’inscrit.

En fait, chaque société est sous-tendue par une conception du monde qui 
détermine aussi bien l’organisation de la société que les modes 
d’appréhension du réel. La société française et bon nombre de sociétés 
occidentales s’inscrivent dans ce que Karl Popper a appelé la société 
ouverte, c’est-à-dire une société sans dogmes imposés par des autorités 
supérieures et au sein de laquelle les individus sont libres de se 
déterminer. Cela n’implique pas qu’elle soit composée d’incroyants, mais 
qu’elle ne soit pas fondée sur une croyance non soumise à discussion. 
C’est donc une société où la religion n’est plus structurante, en ce 
sens qu’elle ne commande plus la forme politique des sociétés, pas plus 
qu’elle ne définit le mode d’appréhension du réel.

Par opposition, la société fermée est définie par référence à une 
révélation. Les individus y sont soumis à des forces magiques censées 
provenir d’une source extérieure à la société.

Dans ce cadre, la laïcité fonde la coexistence d’individus de croyances 
différentes au sein d’une même société. Elle suppose la neutralité de 
l’Etat, en premier lieu de l’éducation nationale publique, par rapport à 
chacune d’entre elles. Cette neutralité de l’Etat est parfaitement 
concevable au niveau des administrations. Elle signifie par exemple que 
l’Etat ne subventionne aucun culte ou les subventionne tous. Le problème 
est plus compliqué en matière d’enseignement dans la mesure où il ne 
s’agit plus, au sens strict, d’organisation, mais bien de réflexion. La 
sphère de compétence de l’enseignant n’est pas d’ordre administratif, 
mais intellectuel. Il doit transmettre des connaissances autant que 
possible scientifiques et enseigner l’esprit ­critique. Certes, on peut 
exiger des enseignants qu’ils ne se réfèrent pas à une religion ou une 
idéologie plus qu’à une autre, si ce n’est pour en retracer ­l’histoire.

Mais, comment enseigner le doute et l’interrogation, clés de voûte de la 
démarche scientifique, sans les opposer à une démarche religieuse qui 
recherche des certitudes et procède par affirmations non démontrées, en 
prétendant dévoiler la Loi divine ? Quel sens cela aurait-il d’enseigner 
le darwinisme dans les écoles à des enfants qui entendraient l’éloge du 
créationnisme dans leur famille ou leur église, leur temple ou leur 
mosquée et l’invoqueraient à l’école ? Et donc, comment demander à un 
enseignant d’exposer la théorie de l’évolution, sans montrer que le 
créationnisme doit plus à l’irrationnel qu’à la science ?
« Formation de l’esprit critique »

Plus compliquée encore est la tâche assignée à des professeurs quand il 
s’agit d’enseigner l’histoire des religions sans en discuter les 
implications. Imagine-t-on un enseignement du catholicisme au Moyen Age 
qui ne parlerait pas de l’Inquisition, ou une histoire de l’URSS qui 
n’évoquerait pas le goulag  ? Une laïcité qui ne s’inscrit pas 
explicitement dans une société ouverte et ne va pas de pair avec 
l’accent mis sur la démarche scientifique peut-elle être autre chose 
qu’illusoire ?

C’est là que le chapitre 4 du livret pose problème et conduit à 
s’interroger sur les motivations véritables de ses auteurs et donc des 
autorités qui le distribuent. Malgré son titre, «  Laïcité et 
enseignements  », ce chapitre porte moins sur la laïcité que sur la 
démarche qui doit prévaloir en matière de transmission des connaissances 
  : «  Il revient aux chefs d’établissement et directeurs d’école de 
montrer que les savoirs enseignés sont le fruit de la démarche 
scientifique de l’historien et montrer aux élèves la distinction entre 
savoir, opinion ou croyance. Distinction entre croire et savoir  : ce 
qui peut être cru ne relève pas de l’enseignement scolaire de l’école 
laïque mais appartient à la liberté de conscience, de croyance de 
chacun.  » (p. 16). Excellent prélude pour préparer à «  la formation de 
l’esprit critique  » que la ministre annonce dans son édito comme l’une 
des ambitions d’une «  refondation de l’école  ».

Malheureusement, il suffit d’une phrase pour qu’on en vienne à se 
demander si les auteurs de ce «  livret laïcité  » se sont sérieusement 
interrogés sur les conditions d’exercice de la laïcité dans le système 
scolaire. Le livret affirme ainsi qu’«  il faut pouvoir éviter la 
confrontation ou la comparaison du discours religieux et du savoir 
scientifique. Dans les disciplines scientifiques (SVT, physique-chimie, 
etc.), il est essentiel de refuser d’établir une supériorité de l’un sur 
l’autre comme de les mettre à égalité.  » Affirmation qui ne l’empêche 
pas de déclarer que «  les enseignants doivent être en mesure de 
répondre à des objections, même lorsque celles-ci sont de nature 
religieuse… Sans se risquer à la comparaison des discours scientifiques 
et religieux, il est tout à fait possible de déconstruire l’argument 
d’un élève comme on le ferait de n’importe quelle objection.  »

Mais qui ne voit que ces propositions sont contradictoires. Comment 
développer la méthode scientifique sans mettre en évidence les obstacles 
auxquels elle est confrontée, ni les résultats incomparables auxquels 
elle parvient, c’est-à-dire davantage que sa supériorité, son monopole 
en matière d’acquisition rationnelle de connaissances ?

Ce qui ne signifie évidemment pas que la religion n’ait plus aucune 
place dans la société, mais qu’elle doit principalement se consacrer aux 
questions métaphysiques, sans déborder sur la sphère de connaissances 
qui sont du domaine scientifique et qui sont les seules à devoir être 
enseignées dans les écoles, y compris quand il s’agit de l’histoire des 
religions.

Assurer la primauté de la raison est certes un défi difficile pour le 
système scolaire. Doit-il pour autant baisser les bras ? Après une 
longue lutte pour sauvegarder sa prééminence en matière de proclamation 
de la vérité (il a fallu attendre 1992 pour que l’Eglise reconnaisse ses 
erreurs et réhabilite Galilée), l’Eglise a progressivement cédé du 
terrain devant la montée en puissance de la science. Faut-il tout 
recommencer sous prétexte d’assurer la paix sociale  ?

Laurent Bouvet est professeur de science politique à l’UVSQ-université 
Paris-Saclay.

André Grjebine est directeur de recherche au Centre de recherches 
internationales de Sciences Po.


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Denis Lebioda
Chargé de mission
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