[Laicite-info] Laicité - Le vivre-ensemble est dans l'assiette

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 1 Sep 09:50:49 CEST 2015


Laicité - Le vivre-ensemble est dans l'assiette

par : Louise Gamichon
Publié par : http://www.lemondedesreligions.fr/
Le : 31/08/2015

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Entre 6 et 7 millions d'élèves mangent à la cantine au moins une fois 
par semaine, soit la moitié des 12 millions d'enfants scolarisés. Cet 
été, le débat public s'est de nouveau crispé autour des menus dits « de 
substitution » au porc dans les cantines scolaires. Le 11 août, le 
Tribunal administratif de Dijon a rejeté un référé en urgence concernant 
ces repas. Il doit juger le dossier sur le fond « plus tard ». La 
suppression de ces repas alternatifs avait été annoncée en mars par le 
maire Les Républicains de Chalon-sur-Saône. L'élu avait invoqué la 
laïcité pour justifier cette décision.

Un argument qui n'est pas valable selon l'Observatoire de la laïcité : « 
La laïcité permet le vivre ensemble. Elle ne consiste pas à obliger tout 
le monde à manger quelque chose. C'est la possibilité que tout le monde 
puisse manger, quelles que soient ses convictions », explique Nicolas 
Cadène, rapporteur de l'Observatoire de la laïcité. Il précise : « Cela 
ne signifie pas qu'il faut accepter les prescriptions religieuses et 
ainsi les repas halal ou casher ».

L'Observatoire de la laïcité n'a reçu aucune demande ni aucune plainte 
au sujet des cantines. Les restaurants scolaires semblent donc n'avoir 
pas rencontré de difficultés particulières.

Pourtant, en août, le député UDI Yves Jégo a soumis une proposition de 
loi visant à instaurer, en alternative au menu classique, un repas 
végétarien dans les cantines. Selon lui, il s'agit de « répondre de 
façon laïque à bien des attentes, y compris à celles de ceux qui, pour 
des raisons éthiques, ne veulent pas manger de chair animale ». Cette 
idée a été saluée par des personnalités médiatiques comme le moine 
bouddhiste Matthieu Ricard, signataire d'une tribune intitulée « Le 
repas végétarien, le plus laïc de tous » parue dans Le Monde.

Toutes les religions ont des rites alimentaires différents : le poisson 
le vendredi pour les chrétiens, l'interdiction de manger du porc pour 
les juifs et les musulmans, le végétarisme pour les hindous et les 
sikhs. Pour d'autres familles, le végétarisme – voire le végétalisme, 
c'est-à-dire un régime végétarien sans œufs et sans lait – est une 
philosophie de vie. Le menu végétarien n'est donc pas totalement exempt 
d'une dimension religieuse.

Comment mettre tout le monde à table ?

Charles Conte, chargé de mission à La Ligue de l'enseignement, invite à 
renverser le raisonnement : « Manger ensemble, c'est vivre ensemble ». 
En raison de l'importante activité de séjours de vacances de La Ligue, 
ce mouvement populaire fort de 30 000 associations, il a pu constater : 
« Une fois la question des repas réglée, la majorité des problèmes sont 
résolus ». « Comme dans les cantines scolaires, nous avons reçu des 
demandes d'adaptation des repas. Nous avons donc établi deux principes : 
le premier, c'est que tout le monde doit pouvoir manger, et ce dans le 
respect de sa liberté de conscience. Le deuxième, c'est qu'en tant que 
mouvement laïque, comme dans la restauration assurée par les 
collectivités locales, nous ne fournissons ni halal ni casher car cela 
revient à financer indirectement un culte ». En effet, l'abattage 
rituel, qu'il soit halal ou casher consiste à vider l'animal de son 
sang, impropre à la consommation dans les religions juive et musulmane. 
Ce procédé implique la présence d'un religieux pour effectuer une brève 
bénédiction avant de tuer la bête. Une partie du prix d'achat de la 
denrée est donc reversée à une institution religieuse.

Depuis plusieurs années, La Ligue a donc opté pour une pluralité de 
menus lors de ses séjours de vacances. De nombreux établissements, même 
dans les restaurants collectifs de primaire, sont équipés de self. Les 
enfants peuvent donc choisir les plats qu'ils vont manger en fonction de 
leurs goûts ou de leurs convictions. Si cette solution simple et 
pragmatique fonctionne bien, « elle doit néanmoins s'accompagner d'une 
petite formation des personnels », souligne Charles Conte.

Pour Nicolas Cadène, rapporteur de l'Observatoire de la laïcité, le « 
menu diversifié », c'est-à-dire celui qui propose différents choix, est 
le menu laïque par excellence : « L'offre de choix quotidienne, avec ou 
sans viande, s'inscrit dans l'esprit laïque parce qu'elle rassemble. 
Elle permet de ne pas distinguer les élèves. Malheureusement, concernant 
les “repas de substitution”, on a pu voir les enfants qui ne mangeaient 
pas de porc ou de viande regroupés sur des tables séparées. Cela ne 
partait pas d'une mauvaise intention, il s'agissait souvent de faciliter 
le service, mais cette séparation des élèves en fonction de leurs 
convictions, qu'elles soient religieuses ou philosophiques, est à 
proscrire dans un esprit laïque ».

Surcoût et gâchis

La question du prix de ces repas diversifiés est souvent convoquée. 
D'une part, la viande de porc est la moins chère, d'autre part, l'offre 
de choix des menus peut représenter un surcoût. Notamment si les plats 
sont commandés en plus. Plusieurs paramètres font varier l'addition, en 
particulier l'équipement. Si la collectivité dispose d'un centre de 
production, le prix n'est pas le même que si le repas est acheté à une 
société privée.

Quant au gâchis, Michel Lejeune, chargé de mission restaurants d'enfants 
et de jeunes à La Ligue de l'enseignement, s'interroge : « Je ne suis 
pas certain qu'on jette moins quand on a plus d'absents que quand on 
propose plusieurs plats. Le grammage est prévu en fonction du nombre 
total d'enfants ». Il précise : « Dans plusieurs communes, on constate 
que les jours où on sert de la viande, même s'il ne s'agit pas de porc 
ou qu'il y a une alternative au cochon, la fréquentation des cantines 
baisse de 10 à 20 % par rapport aux jours où on sert des œufs et du 
poisson ». L'abattage rituel (halal ou casher), comme le végétarisme, 
sont des éléments de réponse à cet absentéisme. Michel Lejeune souligne 
: «  Nous ne sommes pas face à des revendications de la part des 
parents. Ils font avec ce qui est proposé. Ils ne mettent pas les 
enfants à la cantine lorsque le menu ne correspond pas à leurs 
convictions. Il s'agit plutôt d'exclusion passive ». Pour ce chargé de 
mission, l'absentéisme à la cantine est préjudiciable pour les élèves : 
« Nombre d'activités sont organisées sur la pause méridienne depuis la 
réforme des rythmes scolaires en 2013. Les enfants absents ne sont pas, 
de fait, inclus à ces activités ».

Pour lui, le choix de mettre en place une pluralité de menus et 
d'inciter les élèves à manger à la cantine est « un choix politique ».

La religion et l'assiette

Malgré les polémiques, il semble que la religion ait, depuis longtemps, 
déserté les tables françaises. Patrick Rambourg, historien et chercheur 
spécialisé dans la gastronomie, indique : « Longtemps, les prescriptions 
alimentaires dépendaient du moment de l'année. On distinguait les jours 
gras (à viande) des jours maigres (sans viande). Jusqu'à la Révolution 
au moins, les livres de cuisine étaient ainsi divisés en deux ». La 
période de Carême correspondait à une nourriture « maigre », on y 
mangeait plutôt du poisson. L'alternance gras/maigre se retrouvait dans 
une même semaine, trois jours à Paris (mercredi, vendredi, samedi), par 
exemple. La tradition de manger du poisson le vendredi est une 
subsistance de cette habitude alimentaire. « Il n'y a plus de lien avec 
le Vendredi saint », souligne Patrick Rambourg. Il ajoute : « Les repas 
qui s'inscrivent dans un calendrier religieux, comme Noël ou Pâques, 
sont devenus des repas de tradition nationale et familiale ». Exemple de 
ce glissement vers la tradition : la bûche. « Dans les foyers, on 
récupérait les cendres pour protéger la maison. La bûche est devenue un 
gâteau dans les villes au XIXe siècle. Il reste des formes symboliques 
de la religion ».

Pour le spécialiste, « la laïcité, comme l'art de la table, réunissent. 
La laïcité permet de se comprendre, de façon consciente ou pas ». Alors, 
pourquoi cette crispation autour du cochon ? « La question du porc 
irrite parce qu'elle touche à des pans entiers de nos traditions », 
explique Patrick Rambourg. « Le cochon est la viande la moins chère. 
C'est la viande des plus modestes et de la campagne, où le porc a une 
place particulière. Cet animal, facile à nourrir, était sacrifié avant 
Noël. On faisait du boudin le jour même, le reste était mis en salaison 
pour faire du jambon fumé, par exemple. On consommait cette viande 
jusqu'à Pâques, période durant laquelle certains fidèles faisaient même 
bénir le jambon à l'église ». Et comme la dimension sociale n'est jamais 
loin, « il existait aussi la tradition de la glandée. On emmenait le 
cochon se nourrir de gland. L'occasion de se retrouver. Il y a une 
sociabilité autour du cochon ».

Les mœurs sont encore très imprégnées de ces traditions autour du porc. 
Il devient alors un élément de l'identité française, elle-même très 
marquée et reconnue pour son art de la table. La grande cuisine naît au 
XVIIe siècle en France. Le pays est reconnu pour sa gastronomie, devenue 
un élément important de l'identité française. Le roi Louis XIV utilisait 
l'art de la table pour faire de la diplomatie. Encore aujourd'hui, à 
travers l'exemple des cantines, il semblerait que la nourriture soit un 
terrain politique privilégié.

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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