[Laicite-info] La Journée de la laïcité au prisme de l’histoire de la République
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 9 Déc 07:35:56 CET 2016
La Journée de la laïcité au prisme de l’histoire de la République
Publié par : https://theconversation.com
Le : 9 décembre 2016
Auteur : Jean-Charles Buttier - Collaborateur scientifique en sciences
de l’éducation, Université de Genève
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Le 9 décembre prochain sera organisée pour la troisième fois la «
journée de la laïcité à l’école » en référence à la loi de 1905. Depuis
le dépôt d’un premier projet commémoratif en 2003, les débats qu’il
suscite illustrent les enjeux politiques qui se cristallisent autour de
la laïcité scolaire et en brouillent la compréhension. Cet article
propose de faire un pas de côté en empruntant « les voies traversières
de Nicole Loraux » qui nous conduiront à faire un usage raisonné de
l’anachronisme en histoire.
Pédagogie de la laïcité et projet de refondation morale
Le 13 juin 2003 fut déposée à l’Assemblée nationale une proposition de
loi pour instaurer une « journée de la laïcité dans les établissements
publics d’enseignement » afin de répondre aux atteintes à la neutralité
de l’école, notamment le port de « signes religieux distinctifs et
ostentatoires ». C’est dans ce même contexte politique que fut votée la
loi du 15 mars 2004 « encadrant, en application du principe de laïcité,
le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse
dans les écoles, collèges et lycées publics ».
La proposition de 2003 fut reprise par le Haut Conseil à l’Intégration
dans son rapport de 2010 intitulé « Les défis de l’intégration à l’école
», qui proposait pour la première fois la date du 9 décembre pour cette
célébration. Une proposition sénatoriale fut déposée en ce sens en 2011,
suivie d’une autre de l’Assemblée nationale en 2012 puis en 2013 avec
cette fois-ci le soutien de l’Observatoire de la laïcité (avis du 19
novembre 2013).
Il fallut toutefois attendre le 9 décembre 2014 pour qu’une circulaire
ministérielle mette en place cette journée dédiée à la laïcité dans
l’Éducation nationale. Les actions pédagogiques qu’elle prônait devaient
s’appuyer sur la Charte de la laïcité (adoptée le 9 septembre 2013) tout
en encourageant la tenue de débats autour de cette valeur dans les
établissements scolaires.
Parallèlement à ce processus, le ministre de l’Éducation nationale,
Vincent Peillon, diligenta en 2012 une mission sur la morale laïque qui
aboutit à l’instauration de l’enseignement moral et civique (EMC) à la
rentrée 2015 de la petite section de maternelle à la terminale. Les
nouveaux programmes encouragent l’engagement, en particulier celui des
élèves dans la réalisation de projets communs.
L’EMC en général, et la pédagogie de la laïcité en particulier,
devinrent un enjeu politique majeur après les attentats visant Charlie
Hebdo et l’Hyper Cacher en janvier 2015. Le 22 janvier est ainsi
proclamé la « Grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la
République » par Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale.
Ainsi, dans le cadre de la célébration des rites républicains (mesure
2), « une journée de la laïcité sera célébrée dans toutes les écoles et
tous les établissements le 9 décembre ». Le « Livret laïcité » publié en
octobre 2015 encourage les équipes à multiplier projets et réalisations
dans les établissements scolaires à cette occasion.
Enfin, le dernier acte de cette éducation à la citoyenneté est la mise
en place d’un « parcours citoyen » à la rentrée 2016, parcours qui fut
présenté par François Hollande en janvier 2016 comme un encouragement à
l’engagement des élèves mais aussi à la célébration des symboles et
rites républicains, la journée du 9 décembre étant un « temps forts » de
ce parcours.
Quelle éducation pour quelle citoyenneté ?
« L’éducation doit non seulement instruire mais éduquer. On
l’oublie trop souvent. Il lui appartient de transmettre des savoirs mais
aussi des valeurs. »
Vincent Peillon, « Refondons l’école », 2013
En invoquant dans son livre-programme l’opposition entre éduquer et
instruire, Vincent Peillon place son projet dans le prolongement de ceux
des révolutionnaires. Interrogeons justement l’histoire de l’école
pendant la Révolution française pour revenir vers « notre présent, lesté
de problèmes anciens » comme le suggérait Nicole Loraux. Dans le
contexte du Bicentenaire, Dominique Julia publia un article qui résumait
l’interprétation des projets scolaires révolutionnaires : « L’éducation
révolutionnaire : fille de Sparte ou héritière des Lumières ? ». Une
opposition qui appelle des nuances puisque Bronislaw Baczko, autre grand
historien de l’école de la Révolution française, insistait quant à lui
sur la « continuité du rêve pédagogique » pendant la décennie
révolutionnaire dans Une éducation pour la démocratie : textes et
projets de l’époque révolutionnaire, paru en 1982. L’historien récemment
disparu notait que les tentatives pour instituer une éducation
révolutionnée visaient à légitimer le pouvoir politique qui portait ces
projets.
L’insistance sur les rites, symboles et valeurs de la République
renvoie, dans le contexte révolutionnaire, à la promotion des fêtes, ces
« écoles de l’homme fait » étudiées par Mona Ozouf dans La fête
révolutionnaire(1789-1799), paru en 1976. Dans cet essai, l’historienne
invente le concept de « transfert de sacralité » auquel souscrit Vincent
Peillon, qui définit la Révolution comme un « événement religieux » dans
son ouvrage La Révolution française n’est pas terminée, paru avant qu’il
ne devienne ministre.
Le Directoire (1795-1799) institutionnalisa un système complet de fêtes
républicaines marqué par la célébration de valeurs morales. Célébrer la
laïcité est alors un anachronisme, malgré une première séparation de
l’Église et de l’État à partir de 1795, qui resta toutefois incomplète.
Cette pédagogie de la fête aboutit à un transfert de sacralité qui ne
parvint pas à enraciner le régime renversé par Bonaparte le 18 brumaire,
les catéchismes républicains étant ensuite remplacés par le catéchisme
impérial en 1806.
Vers une pédagogie émancipatrice de la laïcité
« Tant que la laïcité sera essentialisée en un modèle unique, le
malaise s’accentuera. »
Jean Baubérot, « Les 7 laïcités françaises », 2015
Ce détour par le Directoire interroge le modèle de citoyenneté que
sous-tend l’insistance sur la célébration des rites et symboles
républicains dans le cadre scolaire, ceci depuis plus de 10 ans. En
2006, dans un article introductif à un colloque sur la citoyenneté
révolutionnaire, Bronislaw Baczko distinguait deux modèles de citoyen :
un « modèle enthousiaste et militant » et un « modèle rationaliste et
individualiste ».
L’injonction à célébrer les rites et valeurs républicains tend à
sacraliser une laïcité qui ne peut alors plus être questionnée,
s’opposant ainsi au modèle rationaliste de citoyenneté. Pour que les
élèves s’approprient cette valeur, que Jean Baubérot souhaite voir «
apaisée », la pédagogie de la laïcité doit veiller à « faire valoir sans
prescrire ». Voilà l’enjeu de toute éducation à la citoyenneté
véritablement démocratique.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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