[Laicite-info] « Les propos mensongers de Caroline Fourest », par Samuel Grzybowski
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 25 Jan 08:57:14 CET 2016
« Les propos mensongers de Caroline Fourest », par Samuel Grzybowski
Publié par : LE MONDE
Le : 24.01.2016
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Pour Samuel Grzybowski, fondateur de l’association Coexister, à force de
vouloir polémiquer, l’essayiste dénature ce principe qui, selon lui, ne
sert pas à neutraliser l’espace public mais à l’apaiser.
J’ai lu avec consternation les propos mensongers de Caroline Fourest à
l’égard de Coexister et de notre travail de terrain (Le Monde du 22
janvier). Avant de développer une certaine idée de la laïcité, je
souhaite répondre point par point.
« Doté d’importants moyens, ce collectif est proche de l’Eglise
catholique » : le budget de Coexister est public. Il s’appuie sur 7
salariés, 35 volontaires en service civique et donne des outils à 600
bénévoles dans plus de 30 villes en France. Coexister n’est pas plus
proche de l’Eglise catholique que de l’Elysée ou du Conseil
représentatif des institutions juives de France (CRIF). L’article 2 de
nos statuts précise que Coexister est « un mouvement laïque,
aconfessionnel et apartisan ».
« Il pratique la laïcité à travers le dialogue interreligieux, des
sympathisants de La Manif pour tous aux Frères musulmans » : nous
n’avons aucune idée des opinions politiques de nos 2 000 membres. Ils
sont libres de leurs idées tant qu’ils respectent et promeuvent nos 7
principes fondamentaux : unité, diversité, identité, altérité,
sincérité, liberté et laïcité. Nous ne pratiquons pas le dialogue
interreligieux. Le mouvement accueille des jeunes de toutes les
convictions, croyants et non-croyants.
« Samuel Grzybowski dit trouver intéressant ce courant de l’islam
politique. » Mme Fourest fait référence aux Frères musulmans. J’en ai
bien étudié l’histoire et l’idéologie à la Sorbonne, je continue de le
faire à l’Ecole pratique des hautes études. Contrairement à ce qu’elle
affirme, je n’ai pas d’amis Frères musulmans.
« Comme les islamistes et les créationnistes chrétiens, il refuse de
considérer les sciences comme supérieures aux croyances » : quand je
passe dans les classes (150 établissements dans ma vie dont 32 en 2015),
je m’en tiens à ce qui est écrit dans le livret laïcité de l’Education
nationale : « Il faut pouvoir éviter la confrontation ou la comparaison
du discours religieux et du savoir scientifique. Dans les disciplines
scientifiques, il est essentiel de refuser d’établir une supériorité de
l’un sur l’autre comme de les mettre à égalité. » Je refuse moi aussi
d’établir une confrontation. J’établis une distinction.
Pour le reste, depuis 1905, le débat est légitime, mais si Mme Fourest
s’acharne à parler d’elle-même et de ses partisans comme « les laïques
», cet usage du terme est en réalité un contresens profond. Nous sommes
tous laïques, croyants et non-croyants, dès lors que nous nous accordons
sur les principes fondamentaux qui découlent de la laïcité : liberté de
conscience et de culte, séparation entre l’Etat et les Eglises, égalité
de tous les citoyens devant la loi, neutralité de l’Etat et de ceux qui
exercent une mission de service public.
C’est la République qui est laïque depuis 1946. La laïcité n’est pas une
opinion. Elle est le cadre qui les permet toutes, dans le respect
mutuel. Peut-être confond-elle par ailleurs la neutralité de l’Etat et
la neutralisation des individus ? Ou l’unité et l’uniformité ?
Une fois ces principes posés comme fondamentaux, certains voudraient
aller au-delà des règles et engager ce qu’Emile Combes appelait « le
processus de laïcisation intégrale », faire de la laïcité une religion
d’Etat. Ce sont les fantômes des débats acharnés de 1905 qui
resurgissent aujourd’hui. Comme les laïcistes de 2016, Combes voulait
une « neutralité de l’espace public » dont il est question dans la
pétition demandant le départ de Jean-Louis Bianco de l’Observatoire de
la laïcité. Or, cette neutralité de l’espace public n’existe tout
simplement pas.
Dans le débat qui voit s’affronter ceux qui défendent la laïcité
d’Aristide Briand et des « pères fondateurs » de 1905 face à ceux qui
veulent neutraliser la société civile, les uns et les autres ont le
droit de leurs idées mais ils n’ont pas la même idée du droit.
Contraintes liberticides
Les seconds veulent davantage de contraintes liberticides, jusqu’à
interdire le port de signes religieux à l’université pour des adultes
éclairés. Cela contreviendrait à l’article 18 des droits de l’homme de
1948 : « Toute personne a droit à la liberté de conscience et de
religion, ce droit implique la liberté de manifester sa religion ou sa
conviction collectivement ou individuellement, tant en public qu’en
privé. » D’autres, dont je fais partie, veulent la stricte application
de la loi de 1905, sans compromis ni concessions. Que vient faire un
mouvement interconvictionnel dans la promotion de la laïcité ?
Nous pratiquons, avec Coexister, ce que nous appelons la « coexistence
active », une pédagogie de l’action, une méthode de terrain pour nos
bénévoles : diversité de convictions, unité dans l’action. En passant du
vivre-ensemble au faire-ensemble par l’organisation d’activités de
dialogue, de solidarité et de sensibilisation dans les écoles, les «
coexistants », issus de toutes les convictions, deviennent des créateurs
de lien social. Ils sont capables de défendre en même temps des
principes trop souvent présentés comme contradictoires : l’unité et la
diversité, l’identité et l’altérité, la ressemblance et la différence,
le commun et le singulier.
Cette façon de faire usage de la liberté de croire ou de ne pas croire
pour faire de chaque conviction personnelle une contribution
supplémentaire à la citoyenneté est proprement au cœur de l’intuition
fraternelle des pères de Laïcité. Jaurès ne disait-il pas : « La
république saura rester laïque si elle sait rester sociale » ? Pour
montrer à quel point la paix sociale est au cœur de l’idéal laïque, il
n’est pas anecdotique de nous rappeler qu’Aristide Briand, en homme de
dialogue, en homme de liens, a été nommé Prix Nobel de la paix en 1926
pour son travail de coopération avec l’Allemagne.
La paix sociale est au cœur de l’idéal laïque. Défendre la laïcité,
c’est promouvoir la paix. Une paix possible à condition que la laïcité
reste avant tout un principe de liberté et un principe de cohésion.
Samuel Grzybowski est le fondateur de l’association Coexister qui
promeut la diversité de convictions. Il est l’auteur du Manifeste pour
une Coexistence active (Atelier, 2015)
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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