[Laicite-info] Le sens de la laïcité

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 25 Jan 11:32:46 CET 2016




Le sens de la laïcité

Par : Alain Policar - Chercheur associé au Cevipof
Publié par : http://www.huffingtonpost.fr/
Le :  25/01/16

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A deux reprises ces derniers jours, Manuel Valls, pourtant diplômé en 
histoire, se méprend (volontairement ?) sur le sens de débats 
fondamentaux. D'abord dans sa réduction de la compréhension à la 
justification, afin de souligner le danger de comprendre les motivations 
des terroristes. En effet, M. Valls ne rejette pas l'idée qu'il faille 
expliquer pour mieux combattre. Or quand les sociologues se proposent de 
chercher à comprendre, le choix de ce dernier terme renvoie aux 
modalités de l'explication dans les sciences sociales. Il s'agit 
seulement de parvenir, par l'exploration des raisons des acteurs (alors 
que les spécialistes des sciences de la nature cherchent à déterminer 
les causes), à une explication dite compréhensive. La justification est 
évidemment d'un autre ordre qui n'est pas du ressort de la science. 
Ensuite, et c'est le sujet de ce texte, lorsque J.-L. Bianco est rappelé 
à l'ordre, le chef du gouvernement montre qu'il n'a pas perçu le 
véritable sens de la laïcité.

Si l'on souhaite comprendre les enjeux présents, il faut rappeler que 
l'intention des auteurs de la loi de 1905 est d'établir la paix 
religieuse par la liberté des Eglises et par l'autonomie du politique 
par rapport au religieux. On a pourtant aujourd'hui fortement tendance à 
présenter la laïcité d'émancipation, celle qui promeut la liberté de 
penser, celle de croire et surtout celle de ne pas croire, comme 
consubstantielle à la tradition laïque française. La laïcité devient 
alors la base d'une véritable religion civile, sacralisée comme toute 
religion, servant de surplomb à toutes les formes d'appartenance. Mais 
c'est considérablement appauvrir notre histoire que d'oublier les deux 
autres façons d'envisager les rapports entre la religion et l'Etat. La 
laïcité peut être également d'abstention, c'est-à-dire privilégier 
l'idée de l'inaliénabilité de la liberté de conscience et la neutralité 
de l'Etat qui implique son incompétence dans le domaine de la religion. 
Elle peut aussi être de coopération, en promouvant la liberté religieuse 
et ainsi en institutionnalisant le dialogue entre religions et pouvoirs 
publics. Or la laïcité en France a été alternativement influencée par 
l'une ou l'autre de ces trois acceptions .

Si ces trois sens peuvent être compris comme trois dimensions de la 
notion, il reste que le malentendu s'est aujourd'hui durablement 
installé entre ceux qui, dans l'esprit de la loi de 1905, se contentent 
de prôner une séparation stricte des ordres de la foi et de la 
politique, et ceux qui adoptent une attitude de combat à l'égard des 
croyances religieuses, à l'instar de ce que souhaitait le petit père 
Combes. Ces derniers ont pu ainsi voir dans l'interdiction du foulard 
islamique une manière d'approfondir les valeurs centrales de la laïcité, 
tout particulièrement la visée d'une éducation civique universelle. Dans 
cette perspective, l'Etat doit promouvoir la liberté comme autonomie 
rationnelle, ce qui implique de lutter contre les croyances 
incompatibles avec la pensée libre et la citoyenneté éclairée. Il est 
alors tentant d'analyser le foulard comme une figure de la domination 
religieuse et patriarcale et, par conséquent, dans le but de favoriser 
l'auto-émancipation des filles, de l'interdire.

D'une certaine façon, les partisans de la laïcité d'abstention ont reçu 
le renfort, parfois encombrant, de ceux qui souhaitaient une laïcité de 
coopération. Ces derniers n'ont pas, en effet, manqué de souligner que 
les lois coercitives (dans leur esprit, celle de 2004 entre dans cette 
catégorie), dans la mesure où elles contredisent l'objectif 
d'auto-émancipation, menacent plus qu'elles ne protègent les idéaux 
laïques. Et il faut bien reconnaître que certains militants laïques 
n'ont pas su (ou voulu) résister au risque de stigmatisation de l'islam 
et, ce faisant, de reproduction du paradigme colonial d'émancipation 
féminine. C'est incontestablement ce risque que courent ceux qui 
soutiennent l'intransigeance du Premier ministre.

Est-il pourtant légitime d'assimiler toute forme de foi à une posture 
d'asservissement. De nombreux travaux sociologiques ont montré que, dans 
un nombre de cas significatif, les jeunes filles voilées, loin d'être 
nécessairement les victimes passives de leur socialisation, sont souvent 
les agents de leur propre vie. Il serait donc possible de défendre à la 
fois l'éducation à l'autonomie, chère à la conception républicaine de la 
liberté, et le droit au port du foulard à l'école. Pourquoi ? Tout 
simplement, parce que cette conception de la liberté admet que l'on 
puisse renoncer de façon autonome à l'autonomie. Cette dernière ne doit 
pas être conçue comme une fin en soi mais comme un outil, c'est-à-dire 
comme une des ressources essentielles à la non-domination. Dans cette 
perspective, on a raison d'insister sur le fait que tous les élèves 
doivent recevoir une éducation à l'autonomie, mais on a tort de postuler 
a priori que le port d'un signe particulier est en tant que tel le 
signifiant d'un statut d'hétéronomie et de domination. On peut donc, 
d'un point de vue républicain, admettre que la pratique de la foi soit 
préférée à la recherche de l'autonomie individuelle. Ce qui compte avant 
tout, c'est la capacité pour le sujet de remettre en cause ses 
engagements, ses croyances et ses liens affectifs. Libre à lui d'user ou 
non de cette capacité.

La laïcité doit donc être comprise comme une doctrine de séparation 
stricte et une doctrine de conscience tolérante. Dès lors, toute volonté 
d'aller au-delà de ces deux aspects, par exemple d'exclure la religion 
de la vie publique, constituerait une forme de domination des croyants. 
La neutralité religieuse de la sphère publique ne signifie pas en effet 
que la loi relègue la religion dans la sphère privée. La dérive, à 
laquelle nous assistons, soulignée notamment par Jean Baubérot, consiste 
à faire glisser l'obligation de neutralité de l'Etat vers la société 
elle-même. Elle nie la nécessité d'un espace public autonome, 
c'est-à-dire d'un "lieu où de nouvelles questions sociales accèdent à la 
visibilité et au débat". Contraire à la loi, elle défend l'idée d'une 
laïcité répressive qui constitue une perversion de sa nature et de ses 
fondements.

Par Alain Policar, Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)

Dernier livre paru : Ronald Dworkin ou la valeur de l'égalité. Le juste, 
le bien, le vrai, Paris, CNRS Editions, 2015.

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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