[Laicite-info] Patrick Weil : « La laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience »

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 14 Mai 11:57:19 CEST 2018


Patrick Weil : « La laïcité, c’est d’abord la liberté de conscience »

Dans une tribune au « Monde », l’historien estime que la liberté de 
conscience de chacun, au cœur de la loi de 1905, est, aujourd’hui 
encore, le meilleur moyen de lutter contre la radicalisation religieuse.

Publié par : LE MONDE
Le : 14.05.2018
Par Patrick Weil (Historien et politologue, directeur de recherche au CNRS)

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Tribune. Ces dernières semaines, les affrontements sur la religion et la 
laïcité ont repris de plus belle. Le président de la République a 
demandé aux évêques de réveiller la flamme catholique, MM. Cazeneuve, 
Sarkozy, Valls, trois anciens ministres de l’intérieur – en charge des 
cultes –, ont pris la défense des juifs, un quatrième, M. Chevènement, 
celle des musulmans. Depuis plusieurs années déjà s’affrontent les 
partisans de la laïcité dite « ouverte » et ceux de la laïcité « tout 
court ». Tous sont cependant d’accord sur un point : l’important dans la 
laïcité, ce serait la séparation des Eglises et de l’Etat, qui crée dans 
la République une distinction des espaces. Les uns disent : « Seul 
l’espace de l’Etat est neutre, on peut donc manifester ailleurs ses 
convictions spirituelles librement, tout va bien. » Les autres 
répliquent : « C’est exact, mais tout va mal, car cela laisse la place à 
la radicalisation religieuse. »

« Cette union de tous les Français, non-croyants et croyants, est urgente »

Eh bien, ces coupeurs de laïcité en deux, en trois ou en quatre ont tous 
tort et c’est dramatique. Nous vivons une époque où les hommes et les 
femmes de bonne volonté de ce pays, ne sachant plus comment conjurer les 
préjugés, les violences et les crimes qui se perpétuent sous le prétexte 
de la religion, appellent au secours et on ne leur offre que la 
différence, la séparation et la balkanisation. Or cette union de tous 
les Français, non-croyants et croyants, est urgente. Eh bien, elle est 
là, possible, à portée d’une lecture précise et informée de la loi de 
1905, contre ses ignorants.

D’abord la loi a été pensée dès l’origine comme universelle, 
s’appliquant à la métropole et à l’Algérie, aux croyants de toutes 
confessions, chrétiens, juifs, musulmans, et bien sûr aux non-croyants. 
Ensuite, dans la laïcité, la séparation n’est qu’un instrument au 
service d’un principe fondateur, la liberté individuelle de conscience 
qui irrigue chacun des articles de la loi. Pour faire prévaloir partout 
cette liberté de conscience, l’article 31 de la loi dispose que toute 
personne qui exercerait des pressions sur autrui, soit pour le 
contraindre à pratiquer un culte, soit pour l’en empêcher, est passible 
d’amende, voire de prison. Ignoré par les autorités d’hier et 
d’aujourd’hui, cet article incarne pourtant, par sa vertu pédagogique, 
l’esprit libérateur et protecteur de la laïcité qui permettrait à tous 
les Français de se comprendre et de se rassembler.

Sanction pénale

Bien sûr, en 1905, quand l’Etat est séparé des Eglises, c’est un moment 
de rupture, parfois un traumatisme. Mais s’il devient indépendant et 
neutre, c’est avec un objectif intemporel et universel, pour garantir 
notre liberté de conscience, pour que, ni dominé par une religion ou par 
l’antireligion, il ne puisse faire pression sur nous, citoyens. A ses 
côtés se tiennent les lieux de culte où les préceptes religieux 
prévalent, le domicile où chacun fait sa loi, l’espace public enfin, 
libre et divers et souvent objet de toutes les contestations, ainsi 
distingués pour assurer cette liberté.
« Forcer à pratiquer un culte ou empêcher de le pratiquer, c’est porter 
atteinte à la liberté de conscience »

Toutefois, afin de partout protéger cette liberté, la loi prévoit une 
sanction pénale contre toute personne qui, par des pressions, chantages, 
violences ou menaces, aura déterminé autrui « à exercer ou à s’abstenir 
d’exercer un culte ». Le culte, c’est la faculté pour chacun de 
manifester sa croyance de façon extérieure – c’est-à-dire visible 
d’autrui – par des actes comme le port de signes, des rites ou des 
cérémonies. Forcer à pratiquer un culte ou empêcher de le pratiquer, 
c’est porter atteinte à la liberté de conscience définie comme « la 
faculté pour chaque individu d’admettre ou de repousser, dans son for 
intérieur, telle ou telle croyance religieuse ».

Cet article, plus jamais appliqué, pourrait l’être : les pressions 
existent dans un sens ou dans l’autre et c’est le devoir de l’Etat de 
protéger les citoyens. Mais il a surtout immédiatement une vertu 
pédagogique. Quand il m’arrive d’aller parler à des élèves d’un collège 
ou d’un lycée, je peux leur dire : « Avant tout, vous avez une liberté 
de conscience. Vos parents vous ont transmis des valeurs, vous en avez 
hérité. Après, c’est à vous de faire votre chemin dans la liberté 
complète de votre conscience. Car la loi vous protège. Si une personne 
fait pression sur vous, elle peut avoir une forte amende, et même 
peut-être aller en prison. Comme vous-même, si vous faites pression sur 
quelqu’un d’autre. » Il faut que chaque enfant prenne conscience de son 
droit à une liberté intérieure par rapport à la vie, la mort, 
l’existence ou pas de Dieu et son appartenance ou non à une religion. Il 
peut comprendre immédiatement que cette liberté a pour contrepartie la 
liberté intérieure des autres.

Vertu éducative

De cette laïcité, non plus contrainte, mais proclamation d’une liberté 
individuelle, découlent au moins deux conséquences : d’abord, chaque 
jeune peut comprendre que, hors des espaces déjà régulés – l’Etat, le 
domicile ou le lieu de culte – dans l’espace public, sa sœur, son frère, 
ses copains ou ses voisins ne partageant pas toujours la même idée par 
rapport à la religion, il doit faire des compromis. Avant 1905, les 
cloches sonnaient l’appel de chaque messe. Les oreilles des athées 
souffraient. Dorénavant, elles sonnent le plus souvent les dimanches et 
les jours de fête et de cérémonie. Sur tous les sujets où chacun a le 
droit d’avoir une position différente – par exemple pour les repas dans 
les cantines scolaires –, il faut et on peut trouver des compromis dans 
le respect de chacun.

« La garantie de la liberté de conscience implique que chacun se sente 
chez lui spontanément dans la communauté nationale »

Surtout, la garantie de la liberté de conscience implique que chacun se 
sente chez lui spontanément dans la communauté nationale. Sinon il n’y a 
pas de libre choix. Chaque Français se sent sans conteste citoyen de son 
pays, faisant pleinement partie de l’histoire de France. Après, il peut 
se rattacher à une religion ou pas, c’est son choix individuel. Or, 
certains compatriotes de culture juive, hindoue, mais surtout musulmane, 
sont trop souvent d’abord perçus dans un seul lien à la religion. On ne 
les voit pas d’abord comme des compatriotes, et donc aux yeux des autres 
ils n’ont pas cette liberté d’être simplement des citoyens.

C’est pourtant comme cela que les voyaient les parlementaires ayant voté 
la loi de 1905. Au Sénat, Paul Gérente, sénateur d’Alger, déclare : « 
Nous estimons, nous, Républicains algériens, qu’une loi d’un caractère 
si large, comportant des principes aussi graves, si elle est bonne pour 
la métropole, est bonne également pour nous. (…) La vérité et la justice 
républicaines devraient être les mêmes aussi bien d’un côté de la 
Méditerranée que de l’autre. » La loi s’applique donc à l’Algérie. Le 
gouvernement y suspend toutefois son exécution pour toutes les religions 
– et cette suspension est reconduite jusqu’à l’indépendance. Mais le 
Parlement, lui, n’avait pas fait d’exception ni pour l’islam ni pour 
l’Algérie. Il avait d’emblée adopté une loi à portée universelle et 
c’est ce message qu’il faut retenir et transmettre aujourd’hui.

A la radicalité religieuse, il faut donc sans doute moins répondre par 
l’apprentissage des sciences que par l’appartenance radicale de chaque 
citoyen à l’histoire de France et par la radicalité de la liberté de 
conscience. Un peu comme la non-assistance à personne en danger 
pénalement répréhensible est devenue, inversée, un réflexe éthique de 
chaque citoyen, le caractère pénal de toute atteinte à la liberté de 
conscience a surtout une vertu éducative et une fonction libératrice. Il 
permet d’enseigner la laïcité clairement et simplement, comme une 
liberté si importante que la République institue comme un droit naturel. 
Celui-ci doit devenir un soubassement commun à tous les citoyens, les 
croyants et les non-croyants ensemble et à égalité, quelque chose que 
l’on peut partager et facilement transmettre et expliquer aux enfants de 
nos écoles, mais aussi à nos voisins, collègues et cousins, pour 
redonner sens à la République et nous unir.

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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