[Infoligue] Luc Ferry : Pourquoi pas un vrai service civique ?
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 3 Déc 10:40:57 CET 2009
Pour un service civique - Rapport au Président de la République
Luc Ferry avec le Conseil d'analyse de la société
Depuis la suspension du service militaire, et surtout après la « crise
des banlieues » de l'automne 2005, l'idée d'instaurer un service civique
obligatoire a été régulièrement évoquée, notamment lors de la dernière
campagne présidentielle, pour pallier la montée de l'individualisme à
l'ère de la mondialisation et l'affaiblissement des valeurs
républicaines qui en résulte.
À la demande du Président de la République, Luc Ferry analyse ici, avec
les membres du Conseil d'analyse de la société, les principes, les
finalités, les conditions pratiques de réalisation d'un tel service
civique, en montrant les avantages et les inconvénients des différentes
options possibles : ce service devra-t-il être volontaire ou
obligatoire ? À qui s'adressera-t-il exactement ? Quel contenu lui
donner si l'on veut qu'il suscite l'intérêt des jeunes et non une
réaction de rejet ? Quelle durée lui fixer ? Et quel en sera le coût ?
Le consensus apparent en faveur d'une telle initiative cache une
divergence profonde entre deux conceptions : les uns veulent imposer à
tous les jeunes un « devoir de servir » ; les autres souhaitent leur
proposer un dispositif qui les « aide à aider », en valorisant leur
apport à la société, leur générosité. Quel que soit le projet retenu, il
devra prendre en compte cette contradiction et tenter, autant que
possible, de la dépasser.
Fiche technique
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* Reliure : Broché
* Page : 271 p
* Format : 22 x 15 cm
* Poids : 500.00 g
* ISBN : 978-2-7381-2150-9
* EAN13 : 9782738121509
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Luc Ferry : Pourquoi pas un vrai service civique ?
Publié par : http://www.lefigaro.fr
Le : 03/12/2009
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CHRONIQUE - L'ancien ministre de l'Éducation plaide contre la création
d'un service civique obligatoire.
Je ne suis partisan ni du grand emprunt (on pouvait trouver l'argent
autrement) ni des cadeaux absurdes faits aux restaurateurs. L'État est
en faillite et ce n'est pas le moment, voilà tout. Mais si grand emprunt
il doit y avoir, autant l'utiliser au mieux. Et puisqu'on relance à
tout-va les thèmes de l'identité nationale et de l'insécurité, pourquoi
ne pas rétablir, comme promis pendant la campagne électorale, un grand
service national, non plus militaire, mais civil et civique ?
Plutôt que de s'en tenir à des débats théoriques sur la nation, dont le
seul objet véritable est d'embarrasser la gauche (certes, ça marche à
merveille, mais est-ce une raison suffisante ?), on offrirait au moins
une réponse concrète à une question bien réelle : comment réconcilier
les jeunes, les enfants des banlieues comme ceux des bobos, avec les
principes élémentaires de la morale républicaine ? Quand on voit les
hordes sauvages qui montent à la capitale pour casser, désormais à coups
de marteaux (on n'arrête pas le progrès !) du «keuf» et du journaliste,
on se dit que ce ne serait pas du luxe. Dans la rubrique investissements
pour l'avenir, je ne vois guère plus urgent ni plus utile. On me dira
que c'est en cours, sous la houlette compétence de Martin Hirsch. Je le
sais, j'y ai contribué et je m'en réjouis. Mais le budget affecté à
cette opération est ridicule. Il ne permet pas de faire les choses en
grand afin de contrebalancer les effets désastreux de la suppression
irréfléchie de ce creuset républicain qu'était, malgré tous ses défauts,
le service militaire. Lors de sa mise en place, le nouveau service
civique ne touchera que cinq ou six mille volontaires, alors qu'une
classe d'âge compte plus de 700 000 jeunes. Une misère par rapport aux
besoins réels.
À la demande du président de la République et du premier ministre, le
Conseil d'analyse de la société, que je préside, a auditionné et
travaillé pendant plus d'un an pour répondre à toutes les questions
concrètes que pose la mise en œuvre d'un tel projet : quelle durée
faut-il envisager (trois mois, six mois, un an, des périodes ?), quel
budget en fonction de cette durée et du nombre de jeunes concernés,
quelles tâches leur confier, étant entendu qu'il faut éviter les stages
«photocopies-café» qui ne sont d'aucune utilité pour personne, comment
vérifier que les missions seront bien d'intérêt général, comment éviter
qu'elles empiètent, surtout en période de chômage, sur l'emploi
marchand, sur quels critères habiliter les associations qui vont offrir
ces projets, faut-il héberger les jeunes, les nourrir, les habiller,
faut-il les rémunérer et, si oui, de quel montant, avec quelle
protection sociale, comment instaurer une vraie mixité sociale, créer à
cette fin des chantiers collectifs plutôt que des engagements
individuels, faut-il instaurer une agence pour gérer le dispositif,
vérifier qu'on n'a pas affaire à une nouvelle usine à gaz, etc. Bref,
dès qu'on se plonge un tant soit peu dans le sujet, on voit qu'il est
infiniment plus complexe qu'on ne l'imagine a priori.
Sur ces questions et quelques autres, notre rapport (1) s'est attaché à
explorer toutes les hypothèses, à les budgéter, ainsi qu'à proposer
chaque fois des solutions. Une question a hanté notre travail : un tel
service doit-il être obligatoire ou volontaire ? À l'évidence, un
service obligatoire poserait, s'il devait s'imposer dans l'immédiat, des
problèmes insolubles, et pas seulement sur le plan budgétaire. Pour une
période de six mois, il reviendrait environ à cinq milliards d'euros par
an, ce qui peut paraître dissuasif.
Mais il y a plus grave : le vrai problème, c'est que nous ne disposons
pas a priori et d'un seul coup des 700 000 «postes» qu'il faudrait
offrir aux jeunes, tant s'en faut ! En outre, les associations
susceptibles de les accueillir sont toutes, sans exception aucune,
hostiles à une obligation qui tue à leurs yeux l'idée même d'engagement
et pose des problèmes insolubles de simple police. Toutes les
personnalités que nous avons auditionnées se sont rendues à l'évidence,
y compris celles qui défendaient le plus ardemment l'obligation : il
faut, au moins pendant cinq ans, mettre provisoirement le problème de
côté et faire monter le dispositif en puissance autant qu'il est
possible, pour passer, le cas échéant en fin de parcours, à un service
obligatoire. Raison de plus pour ne pas commencer en jouant petits bras.
Le grand emprunt ne pourrait-il y aider ?
(1) Pour un service civique, publié aux éditions Odile Jacob.
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Denis Lebioda
Ligue de l'enseignement - Chargé de mission Alpes du Sud
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