[Infoligue] Congrès de la Ligue de l'enseignement : discours de clôture de Jean-Michel Ducomte

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 8 Juil 09:31:33 CEST 2010


Congrès de Toulouse. Le discours de clôture de Jean-Michel Ducomte

Discours du président de la Ligue de l'enseignement, Jean-Michel Ducomte.

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Mesdames, Messieurs, Chers amis, Chers camarades,

Je souhaite d’abord adresser les remerciements de l’ensemble des 
militants de la Ligue de l’Enseignement à nos camarades de la Haute 
Garonne et de la région Midi-Pyrénées. Ils avaient un défi à relever. 
Ils ont montré qu’ils en étaient capables, au-delà même de ce dont nous 
pouvions rêver.

Il y a toujours une part de magie dans nos congrès, une magie qui s’est 
enrichie d’une lourde mais enthousiasmante responsabilité dont vous avez 
charnellement ressenti les exigences lors de la proclamation de notre 
manifeste. Pour quelques heures, quelques jours, bien plus longtemps 
d’ailleurs pour beaucoup d’entre nous, nous décentrons notre regard pour 
tenter de comprendre ce qui nous fait agir, pour nous appliquer à une 
compréhension du monde qui nous entoure, pour donner substance à nos 
engagements.

L’ambition que nous nous étions donnée était d’une ampleur telle qu’il 
nous fallu pas moins de six ans pour la conduire à son terme. Mais, à 
mesure que les mots venaient, que les idées se mettaient en ordre, que 
les constats gagnaient en lucidité et les solutions en pertinence, une 
évidence cruelle s’imposait. N’aurions nous pas eu raison trop tard ? La 
trame du tissus social dont nous ambitionnions de retisser les fils 
saurait-elle résister suffisamment longtemps pour que nos réflexions ne 
se réduisent pas à de louables mais vaines incantations ?

En dépit des menaces qui s’amoncellent, ici ou ailleurs, obscurcissant 
l’horizon de notre compréhension de lourdes nuées d’orage, nous avons 
décidé de faire le pari de la confiance dans la capacité des citoyens à 
rebâtir un contrat social solide et responsable, dans l’aptitude des « 
individus à puiser dans leurs dimensions particulières les références 
communes et universelles qui unissent la communauté humaine ».

Je n’évoquerais pas, Jean Marc l’a fait, les quelques motifs de 
satisfaction que nous pouvons compter. La Ligue a toutes raisons d’être 
fière d’avoir fédéré l’essentiel des organisations de l’économie sociale 
et d’éducation populaire au service d’une négociation réussie avec le 
Ministère de l’Education Nationale. Nous avons su convaincre et cela 
n’était pas gagné d’avance.

Nous vivons des temps difficiles, cela n’est guère douteux, En France, 
mais aussi en Europe et dans le monde. La crise est certes économique, 
elle est aussi et peut être principalement, sociale, culturelle, 
juridique, environnementale. Il y a un siècle de cela, certains auraient 
dit quelle était morale.

Que la financiarisation de l’économie, plus attentive à l’accumulation 
de profits qu’à la construction de richesses ait débouché sur un 
effondrement du système bancaire mondial, beaucoup d’économistes sérieux 
l’envisageaient. Que les Etats soient venus au secours de ceux que leurs 
pratiques criminelles devaient conduire à la faillite pouvait se 
concevoir dans un souci affirmé mais qui reste à démontrer, de sauver 
les vraies victimes, les clients du système. L’on aurait, sans grandes 
difficultés, admis que la contribution publique soit assortie de 
garanties et pourquoi pas d’une nationalisation des organismes soutenus. 
Que je sache, la politique du crédit constitue l’un des prolongements de 
la création monétaire dont l’on ne discute pas le caractère de fonction 
régalienne. Mais pouvait-on songer que le chien viendrait mordre la main 
qui l’avait secouru ?

Les attaques, aux conséquences peu prévisibles, compte tenu de leur 
caractère massif et concerté, contre les dettes souveraines, avec le 
soutien implicite des Etats qui hébergent un certain nombre de banques 
prêteuses – le cas de la dette grecque détenue par deux établissements 
bancaires allemand est, à cet égard lumineux – rend tout pronostic 
aléatoire.

Une réponse dominante est cependant déjà administrée. Puisque la dette 
nous rend vulnérables à l’égard des charognards de la finance, éteignons 
la, quel qu’en soit le prix, en terme de croissance économique, 
d’emploi, de solidarité. C’est ce que l’on qualifie, par euphémisme, de 
politique de rigueur, parfois d’austérité. Si des modèles historiques 
nous donnent les moyens d’en pressentir certaines des conséquences, 
aucun repère n’existe qui permette d’en mesurer la totalité des 
conséquences dans une économie mondialisée. Gageons cependant, et les 
tensions qui se font jour en Europe le démontrent, la tentation du 
chacun pour soi, acrimonieux et xénophobe, risque assez rapidement de 
prévaloir.

En effet, la fausse solution des propositions populistes commence à 
dessiner les contours d’un monde de nationalisme cadenassés et 
agressifs. La Ligue du Nord en Italie continue d’éructer sa haine des 
étrangers. La Flandre belge, les Pays Bas, mais aussi les pays nordiques 
doivent compter avec d’inquiétantes poussées xénophobes. L’extrême 
droite hongroise rêve d’anéantir les découpages opérés par le Traité de 
Trianon et en appelle à une Grande Hongrie, comme naguère l’on parlait 
de Grande Serbie, comme régulièrement le projet d’une grande Roumanie 
vient alimenter les rêves fascisants des héritiers de la Garde de Fer. 
Sans être grand géographe, gageons qu’il n’y aura pas de place pour tout 
le monde ! Je vous rappelle qu’il y a quelques années de cela les pays 
membres de l’Union européenne s’étaient émus d’une alliance des 
conservateurs et de l’extrême droite en Autriche, allant jusqu’à brandir 
la menace de sanctions. Quelles voies s’élèvent aujourd’hui face à un 
basculement aux conséquences plus redoutables ?

Visiblement la morosité économique n’est guère propice au développement 
ou à la simple garantie des libertés publiques. Nous y moquions il y a 
peu l’évolution de l’Italie, dont le chef du gouvernement a pu, sans 
susciter de révolte se présenter en héritier de Mussolini. Que la paille 
dans l’œil de nos voisins, qu’ils soient transalpins, belges, hongrois 
ou néerlandais ne nous détourne pas d’enlever la poutre qui s’est fichée 
dans le nôtre.

Entre la chasse aux étrangers sans papiers conduite avec des méthodes 
dignes de temps que l’on pouvait penser révolus, la multiplication des 
délits de faciès, la mise en fiche ou sous surveillance vidéo de tout ce 
qui bouge, se déplace, la France cesse, lentement, comme par paresse, 
d’être un pays démocratique. Ce n’est en effet pas parce que les 
procédures subsistent que leur mise en œuvre constitue le gage du 
maintien d’une culture démocratique.

Il n’est pas inintéressant, au-delà de l’analyse des taux de 
participation aux différentes élections, pour tenter de se faire une 
opinion sur la confiance que nos concitoyens ont dans les mécanisme de 
représentation démocratique, de faire un détours par les commentaires 
dont sont assortis un certain nombre d’articles publiés soit sur des 
portail d’accès informatique, soit sur des médias numériques. La sagesse 
des nations à l’âge de l’ordinateur fait parfois froid dans le dos. Le 
fascisme ordinaire qui s’exprime derrière le confort de l’anonymat et la 
commodité d’une orthographe et d’un français incertains en dit plus long 
sur l’état de l’opinion que toutes les enquêtes ou tous les discours.

Le contrôle politique opéré sur l’audiovisuel public, quand les médias 
privés sont entre les mains de proches du pouvoir, se poursuit. La 
tentation, encore en suspens il est vrai, d’une mise au pas de la 
justice pour la rendre docile, c'est-à-dire clémente aux puissants, 
brutales pour les démunis se précise. Et ce n’est pas la condamnation, 
somme toute modeste, d’un ministre, reconnu coupable de propos à 
connotation raciste, qui pourrait parvenir à le démentir. Et gageons que 
les crapuleries que laissent entendre ou supposer un certain nombre 
d’affaires récentes ne sont pas de nature à brider cette tentation.

Le roman noir de l’identité nationale que le ministre éponyme a tenté de 
nous faire écrire a révélé, jusqu’à la nausée, la « part maudite » d’une 
société qui doute d’elle-même, de ses repères et de son avenir. Petits 
et grands, responsables et anonymes ont cru venu le moment de laisser 
s’écouler leur inconscient boueux.

Même l’avenir de la planète, dont le sommet de Copenhague devait 
permettre de définir les médecines qui en inverseraient l’inquiétante 
évolution, semble devenu secondaire comme en témoigne, en France, le 
lent et lâche abandon des promesses du Grenelle de l’environnement. Le 
regard rivé sur le présent, nous en oublierions de considérer l’avenir.

La tentation est grande, et les taux d’abstentions relevés lors de 
derniers scrutins le démontrent, de s’abandonner à un « à quoi bon » 
rageur ou résigné qu’alimente une inquiétante capitulation de la 
proposition politique. Plus grave, l’adhésion à des propositions en 
rupture radicale avec les fondements même de humanisme retrouve, ici ou 
là, écho, comme l’ont démontré un certain nombre d’élections récentes 
qui se sont déroulées chez nos voisins européens.

Que dire des inquiétantes remises en cause, à partir, pour certains, 
d’une posture qu’ils qualifient, en prenant la pose, de nietzschéenne, 
des coups de boutoir assénés aux repères intellectuels au travers 
desquels s’est construite la pensée du progrès.

Hier Marx ou Darwin, aujourd’hui Freud. Débusquant les caricatures, 
parfois, il est vrai, les insuffisances, réduisant l’œuvre à la 
biographie de l’auteur, sans égard pour les circonstances historiques de 
l’élaboration, dans une posture résolument réactionnaire, ils se 
satisfont d’être considérés comme sulfureux. Qu’ils sachent que le 
souffre n’a pas meilleure odeur que le parfum de sacristie. Ils se 
limitent à créer l’illusion commode d’une transgression économiquement 
rentable, pour eux, à défaut d’être politiquement pertinente ; tel va 
l’esprit du temps.

Darwin, au cours du deuxième XIXe siècle a fracturé de façon décisive 
les vieilles explications fondées sur la référence à un acte créateur, 
pourvu d’une intelligibilité indiscutable, pour imposer une grille de 
lecture du vivant ordonné autour d’une évolution adaptative.

A partir de Marx, comme le souligne Alain Badiou, « l’histoire des 
groupes humains est soustraite à l’opacité de la providence comme à la 
toute puissance des inerties oppressives que sont la propriété privé, la 
famille et l’Etat ».

Avec Freud, l’analyse des comportements humains s’affranchit des 
déterminismes métaphysiques et des jugements moraux. L’univers de la 
passion ou de la règle est subverti par l’empire de la pulsion.

Ni tout à fait philosophie, ni, complètement scientifiques, ces 
approches nouvelles, ont profondément modifié notre compréhension du 
monde, le regard que nous portons sur nous-même, notre rapport aux 
autres, notre perception de la temporalité, le sens que nous sommes en 
mesure de donner à notre existence. Alliant logique déterministe et 
souci émancipateur, ces nouvelles lumières éclairaient d’une lumière 
crue un monde en construction dont nous sommes les héritiers.

Nous avons décidé d’adopter une attitude radicalement opposée à celle de 
ces Fregoli de la transgression, clairement inscrite dans une logique 
progressiste, moins bruyante, mais au combien plus apte, sinon à 
totalement conjurer les périls qui nous menacent, du moins à rester, et 
à aider nos concitoyens à rester, maîtres de ce qui nous advient.

En jetant un regard lucide sur les évolutions qui ont accompagné le lent 
phénomène de mondialisation, nous avons constaté que l’individu, 
formidable affirmation de la rupture révolutionnaire de 1789, se 
trouvait rendu à sa redoutable nudité. Son autonomie, sa capacité de 
décision politique doivent être sauvegardées et renforcées, mais nous 
savons qu’elles resteraient formelles, sans sa participation à un destin 
collectif librement consenti.

Même si le rêve d’une société anarchiste, sans règles, sans lois et sans 
pouvoir peut, parfois, l’espace d’un instant, nous effleurer, nous le 
savons impossible. Par contre, parce nous sommes laïques, nous savons 
qu’il n’est pas de destin individuel construit dans la durée qui ne 
repose sur un va et vient constant entre un espace public, lieu de 
construction d’une conviction commune, espace d’élaboration de l’intérêt 
général et un espace privé au sein duquel chacun s’efforce de se 
construire à partir de son histoire, de ses envies, de ses proximités, 
de ses doutes ou de ses croyances.

Cet ensemble exige une démarche d’institutionnalisation, l’élaboration 
d’une dichotomie à géométrie variable entre un droit public et un droit 
privé. Un droit pour tous et un droit pour chacun. Un droit qui dans sa 
vocation collective doit retrouver une fonction principale de garantie, 
de protection, d’égalisation des statuts et dans sa dimension subjective 
une fonction d’appel à un échange fécond entre volontés libres.

Plus que jamais, engageant la réflexion que clôture, temporairement 
notre manifeste, nous faisons œuvre d’éducation populaire. Ce choix nous 
crée par ailleurs une obligation. Celle de donner substance à nos 
propositions, de les faire partager, d’être attentifs à leur mise en œuvre.

Je voudrais revenir, ne serait ce que quelques instants, sur la question 
du port du voile intégral et la position adoptée par la Ligue de 
l’Enseignement devant la mission d’information parlementaire, position 
que le Conseil d’Etat, au travers du rapport qu’il a eu l’occasion de 
remettre au premier ministre le 25 mars 2010, a largement validée.

Deux évidences s’imposent, que nous n’avons, du moins pour la première, 
cessé de marteler.

Le port du voile intégral, volontaire ou imposé, est inadmissible et 
nous scandalise, tant par le mépris qu’il exprime à l’égard de la 
dignité de la femme ou par la revendication cynique qu’il traduit d’une 
infériorité de statut, totalement incompatible avec le principe de 
liberté et d’égalité qui fondent le pacte républicain.

Notre combat en faveur de l’émancipation des hommes et des femmes nous 
conduit à le combattre, comme nous combattons l’extrême droite, 
l’obscurantisme assumé de la hiérarchie catholique, comme nous avons 
dénoncé et combattu les dérives xénophobes qui ont accompagné le débat 
nauséabond sur l’identité nationale, comme nous dénonçons les pratiques 
de même nature, imposées de façon massive dans certains Etats du Golfe 
et dont les dirigeants et leurs épouses ou compagnes sont acceptées sans 
réserve sur le sol français, y font leurs emplettes, affichant souvent 
une condescendance pleine de mépris à l’égard des travailleuses qui les 
servent.

La deuxième évidence concerne la qualité de ceux qui, le plus fortement, 
revendiquent à l’imitation du Tartuffe de Molière, la suppression de ce 
voile qu’ils ne sauraient voir. Pour eux, l’appel à la loi a les vertus 
d’un exorcisme. Il vise à faire disparaître un symptôme sans avoir à se 
préoccuper de ce qu’il exprime, sans avoir à faire l’effort de convaincre.

J’ai le privilège de connaître certains d’entre eux et ce commerce m’a 
convaincu que leurs protestations de laïcité étaient bien trop 
circonstancielles pour être totalement sincères. Défenseurs de l’école 
privée confessionnelle, souvent favorables à certains accommodements 
déraisonnables par rapports aux principes posés par la loi de 1905, ils 
sont laïques lorsque le mot leur semble susceptible de garantir 
l’identité chrétienne de la France. Nombre d’entre eux sont opposés à 
l’entrée de la Turquie au sein de l’Union européenne et pas simplement 
pour des raisons, que l’on pourrait estimer légitimes, de méconnaissance 
des libertés publiques.

Pourrait-on concevoir de nouer avec eux des alliances de circonstance ? 
Je ne le crois pas, car ces alliances seraient contre nature. Je préfère 
largement poursuivre le dialogue constructif, sans arrières pensées, 
tout entier ordonné autour de la défense et de la promotion d’une 
laïcité émancipatrice, que nous conduisons avec la Ligue des droits de 
l’homme et la Libre Pensée, plutôt que de fourvoyer notre engagement 
dans des proximités incertaines.

Ceci étant dit, je continue de penser qu’une interdiction générale du 
port du voile intégral dans les lieux publics - dont je peine à définir 
le périmètre (est-ce la rue, la cage d’escalier, la boutique de 
l’épicier, la salle d’attente du médecin, etc.) - serait une erreur et 
pourrait même desservir le combat que nous devons conduire. Outre que la 
législation, à condition d’en préciser certains des termes, comme le 
suggère d’ailleurs le Conseil d’Etat, est en mesure de garantir l’ordre 
public contre les dangers d’une identité rendue incertaine par le voile 
du visage – l’affaire qui s’est déroulée récemment à Nantes le démontre 
par l’absurde -, une loi d’interdiction générale serait fragile au 
regard des principes constitutionnels ou de ceux qui découlent de la 
Convention européenne des droits de l’homme, et donc, finalement 
dangereuse, et cela à un double titre.

La contestation qui pourrait en être faite serait interprétée comme une 
victoire des défenseurs d’une infériorisation de la femme. La communauté 
musulmane, pour l’essentiel étrangère à ces sinistres pratiques se 
verrait une nouvelle fois stigmatisée et, pour une partie d’entre elle 
tentée par les marchands d’illusion.

Mais je vous le redis encore, se défier d’une interdiction législative, 
faussement confortable, n’interdit pas de combattre, de convaincre, de 
dénoncer, sachant que ce qui est dans les têtes doit nous préoccuper 
plus que ce que nous voyons sur les visages et sur les corps. 
L’anéantissement du symptôme n’a jamais guéri le malade.

Pour en revenir aux interrogations qui nous ont retenu au cours des deux 
derniers jours, il me semble que ce à quoi nous sommes confrontés, ce 
n’est pas simplement à une de ces crises cycliques qui participeraient, 
en quelque sorte, d’une respiration du système, liée à quelque anomalie 
circonstancielle dans le fonctionnement des marchés financiers, mais 
d’une crise structurelle tenant au fait que nous avons perdu la 
signification profonde de l’action politique qui doit être médiatrice 
entre les intérêts particuliers pour, que de leur confrontation 
intelligente, naisse le bien commun.

Sa résolution implique intelligence, lucidité, sens de l’action 
collective mais aussi attention à la singularité des constructions 
particulières qui sont l’humus d’où mettra un nouveau contrat social.

Je voudrais rappeler aux caporaux de l’unité, aux fanatiques de 
l’uniforme, aux dévots de la norme, à tous ceux que désolent les rebords 
mal équarris, les pensées buissonnières, les comportements de rupture, 
que si l’occasion leur est donnée de franchir les portes d’un musée, 
d’une salle de concert, de se laisser bousculer par la lecture, ils 
constaterons qu’une œuvre est d’autant plus universelle qu’elle est 
singulière, irréductiblement singulière.

Ce qui vaut pour les créations humaines, pourquoi voudrait –t-on que 
cela cesse d’être vrai pour les comportements humains. C’est ce que 
soulignait, il y a près de trente ans de cela, Régis Debray dans la 
conclusion de son ouvrage «Critique de la raison politique » : « L’homme 
se retotalise en se morcelant….La civilisation, en somme, transcende les 
cultures en ce qu’elle n’est pas l’affirmation ni la négation, mais la 
circulation des différences entre les groupes historiques ». Jamais, le 
pari de construire du commun avec du singulier ne s’est imposé avec une 
nécessité et une urgence aussi forte.

Si nous voulons faire rempart aux délitements du lien social que 
viennent compenser de dangereux replis identitaires il faut avoir le 
courage d’affirmer que l’universel n’est pas un donné mais un construit, 
patiemment élaboré, intelligemment expliqué, quotidiennement 
expérimenté. Le temps est venu de renoncer, par souci de méthode mais 
aussi par exigence de principe, à l’universalisme facile et au 
relativisme paresseux, de repenser le dialogue entre les cultures, non 
pas en terme d’identité ou de différence, mais d’écart et de fécondité, 
de les concevoir comme autant de ressources à explorer que menace 
l’uniformisation du monde. Et si, chemin faisant, nous avons le 
sentiment d’être bousculés dans nos certitudes ou dans nos convictions, 
c’est que quelque chose encore nous reste à enseigner, à transmettre.

Le monde n’est pas fini, il reste le champ de nos curiosités, l’avenir 
n’est pas mort, il demeure l’espace de nos engagements. Soyons, en 
permanence capables, au fond de la boîte de Pandore, de retrouver le 
secours, non point de l’espérance, non point simplement de l’espérance, 
mais d’une lucidité fraternelle et exigeante qui nous aidera à 
comprendre ce qui nous advient et à construire ce que nous souhaitons.

Pour cela nous devons retrouver la capacité de vouloir, mais aussi 
réapprendre la lenteur des évolutions, la patience longue des projets 
complexes ; en quelque sorte, redonner intelligence au temps. Comme 
l’écrivait Jean Jaurès dans son dernier article, paru le 31 juillet 1914 
dans l’Humanité, rien n’est impossible « si nous gardons la clarté de 
l’esprit, la fermeté du vouloir, si nous savons avoir, à la fois, 
l’héroïsme de la patience et l’héroïsme de l’action ».

MERCI

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Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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