[Infoligue] Concilier militantisme associatif et professionnalisme
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 29 Juin 09:20:01 CEST 2010
Concilier militantisme associatif et professionnalisme
Auteur : Franck Bouaziz
Publié par : http://www.lenouveleconomiste.fr
Le : 26/06/10
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Croître ou mourir. Entreprises et associations humanitaires ou
caritatives: même combat, mais pour des motivations différentes.
Ces dernières, confrontées à une demande croissante, doivent gérer un
équilibre subtil entre l’activité de leurs permanents et l’engagement de
leurs bénévoles. Sans toutefois oublier l’esprit militant, véritable
moteur permettant à ces mouvements de poursuivre chaque jour leur objet
social. Pour durer sans perdre leur âme, ces associations organisées de
manière de plus en plus rationnelle n’ont d’autre choix que de
diversifier la nature de leurs ressources et de leurs bailleurs de
fonds, afin de préserver une certaine indépendance. Les plus solides et
les plus pérennes sont, en outre, celles qui ont su s’affranchir de
leurs pères fondateurs pour laisser les commandes à une nouvelle
génération, moins idéologue mais tout aussi pugnace. Sans doute celle
qui franchira le pas de la logique d’entreprise. “Emmaüs ne devrait pas
être un patron comme les autres.” Slogan inattendu, pour une grève qui
l’est tout autant. Le 9 mars dernier, l’association caritative fondée
durant l’hiver 54 connaît son premier mouvement social. Difficile
d’imaginer que des tensions de ce type puissent s’installer au sein
d’une association dont on peut penser que la lutte contre la précarité
est un puissant facteur de cohésion. Et pourtant, cette remise en cause
des salaires et des conditions de travail est le marqueur des
craquements accompagnant, parfois, la crise de croissance des poids
lourds de la solidarité.
Souvent créés par une bande de copains, portés par un élan militant et
dévoué, Médecins du Monde, La Cimade, Action contre la faim ou encore
Greenpeace ont connu une progression de leur activité à faire pâlir de
jalousie une entreprise. Mais aujourd’hui, la gestion de plusieurs
centaines de salariés n’a plus rien à voir avec l’animation de quelques
dizaines de bénévoles, dépendants d’une subvention reconduite d’année
en année…
Retour sur la crise d’Emmaüs.
Au cours des deux dernières années, l’association a vu ses permanents
passer de 350 à 500. Elle fonctionne avec un budget de 32millions
d’euros et gère 2000places d’accueil en Ile-de-France. “A la suite de
l’action menée par les Don Quichotte, en 2007, une loi a été votée
imposant aux centres d’accueil de se moderniser pour recevoir les
personnes en difficulté 24heures sur 24”, rappelle le secrétaire général
Didier Cusserne. Emmaüs a, dans la foulée, réorganisé ses centres
d’hébergement, ouvert de nouveaux sites et recruté des travailleurs
sociaux. La cohabitation de ces nouveaux professionnels avec les
historiques du mouvement s’est révélée difficile. Les revendications
salariales et pour de meilleures conditions de travail se sont alors
accumulées au point de déboucher sur une grève. Outre le malaise de
leurs permanents, ces associations doivent également gérer un savant
équilibre entre les bénévoles – 450 chez Emmaüs – et les salariés.
Faire travailler ensemble bénévoles et salariés
Les premiers apportent gratuitement temps et énergie, mais réclament
reconnaissance et autonomie. Les seconds mettent en avant leur
compétence et leur engagement, mais exigent le pouvoir hiérarchique et
la maîtrise totale de la stratégie. Laura Haddad, universitaire et
auteure d’une thèse sur la professionalisation des associations, analyse
depuis plusieurs années les limites de chacun des acteurs : “En France,
nous n’avons pas statué sur la notion de bénévole. Par définition, c’est
un électron libre donnant de son temps, ce qui lui permet de partir et
de revenir quand il le souhaite, alors que le salarié est dans un lien
de subordination.” Au quotidien, Didier Cusserne, le secrétaire général,
essaie de ménager la chèvre et le chou. “Chez Emmaüs, les bénévoles
travaillent sous l’autorité d’un chef de service, mais le mode de
management ne repose pas sur un lien de subordination. L’idée est de
fonctionner sur la conviction et l’adhésion plutôt que sur la
confrontation.” “C’est un défi permanent”, estime de son côté le
secrétaire général de la Cimade, mouvement spécialisé dans l’assistance
aux sans-papiers. Laurent Giovanoni fait en sorte que les bénévoles
soient associés aux actions menées, mais les tâches les plus délicates
et les plus techniques sont réservées aux permanents. Le rapport
numérique bénévoles/salariés a également un impact. L’AFM (Association
française de lutte contre les myopathies) en compte 2 500 pour 900
permanents. Ils ont donc un rôle central pour Laurence Thiénot-Hermant,
présidente de l’association : “L’âme de l’AFM est bénévole et la
structure salariée a un rôle de facilitateur. Nous sommes une
organisation professionnelle avec un supplément d’âme et de militantisme.”
Au-delà des simples questions de coexistence, certaines associations
sont parfois le théâtre d’affrontements idéologiques entre permanents et
bénévoles. Le directeur général de Médecins du monde, François Dupré, se
souvient de l’incompréhension de certains des 1500 bénévoles lorsque
l’association a été précurseur pour l’utilisation de la méthadone,
dans l’accompagnement des toxicomanes. Pascal Husting, le directeur
général de Greenpeace-France, a eu, lui, à gérer des actions non
prévues, organisées par une section locale de bénévoles. “Je me suis
rendu sur place pour leur expliquer que Greenpeace perdrait de son
efficacité si on abandonnait une structure hiérarchique.” Gestionnaire
de patrimoine au Luxembourg, avant de diriger Greenpeace à Paris, il
pointe l’exception hexagonale en la matière : “En France, les bénévoles
se considèrent comme la base démocratique de l’association.” Or leur
pouvoir est loin d’être négligeable, puisqu’ils votent lors de
l’assemblée générale de l’association pour désigner le président et les
administrateurs, lesquels nomment ensuite la direction générale.
S’appuyer sur le statut de volontaire
Afin de sortir d’une opposition un peu manichéenne, les dirigeants des
associations caritatives ou humanitaires ont imaginé un nouvel acteur
associatif à mi-chemin entre le salarié et le bénévole. En 2005, le
Parlement a voté une loi sur le statut de volontaire. Il ne s’agit pas
d’un salarié, puisqu’il n’a pas de contrat de travail, mais effectue des
missions, pour lesquelles il perçoit une indemnité, non pas un salaire.
Un cadre particulièrement adapté à ceux qui partent en mission à
l’international. Action contre la faim (ACF) en a recruté 150,
aujourd’hui en poste en Afrique, à Haïti ou en Asie. “Leurs frais
d’hébergement et de transports sont pris en charge et nous leur versons
une indemnité d’environ 850 euros par mois”, détaille le directeur
général François Danel. Pour une somme modique, dépourvue de charges
sociales, l’association peut alors fonctionner avec des troupes motivées
et tenues de respecter une organisation hiérarchique. Bien que
relativement précaire, ce statut suscite des vocations. “L’an dernier,
nous avons reçu 8 750 candidatures pour des missions de terrain et nous
en avons retenu 151”, précise le patron d’ACF.
Les volontaires ne remplaceront pas tous les bénévoles, maPar Franck
Bouazizis ils illustrent deux tendances fortes dans le monde associatif
: la sélection et la formation. “Les Restos du cœur refusent aujourd’hui
des bénévoles et la Croix-Rouge, qui en compte 12 000, a mis en place un
important programme de formation qui leur est destiné”, constate
l’universitaire Laura Haddad.
Conserver l’esprit militant
Une rapide visite des sièges sociaux d’Action contre la faim, de
Médecins du monde ou de Greenpeace, laisse entrevoir bien peu de
différences avec ceux d’une entreprise de services. Même bureaux vitrés
et même ambiance studieuse sur plusieurs niveaux. Salles de réunions
réservées à l’avance et informatique ne montrent pas le moindre signe
d’obsolescence. Un fonctionnement en adéquation avec les budgets gérés :
80 millions d’euros par an pour ACF, 50millions pour Médecins du monde
et 32 millions pour Emmaüs. A leur tête, une génération de quadras et
quinquas, dotés d’une formation universitaire de bon niveau et de
sérieuses compétences en matière de gestion. François Dupré, le
directeur général de Médecins du monde, a passé 15 ans dans l’industrie
avant de rejoindre le mouvement. Leur souci de mettre en place des
organisations rationnelles et performantes semble effacer
progressivement l’esprit militant et fonceur qui a permis la naissance
de ces associations.
Les principaux intéressés réfutent néanmoins le syndrome de
l’embourgeoisement. “J’essaie de parler comme un chef d’entreprise,
justement parce que pour faire face aux entreprises, il faut combiner
engagement militant et excellence professionnelle”, affirme Pascal
Husting pour qui le militantisme se retrouve parmi la centaine
“d’activistes bénévoles” spécialement formés aux techniques
d’interposition non violente. Ils sont récemment intervenus en
Méditerranée, sous l’objectif des caméras, pour s’opposer aux thoniers
durant leur campagne de pêche.
Le militantisme serait donc devenu un esprit plus qu’une pratique.
Stéphane Roques, après avoir été auditeur chez Arthur et Andersen, a
occupé durant 8 ans le poste de secrétaire général de l’Association
française de lutte contre les myopathies (AFM). Un blockbuster du
secteur, fort de 120 millions d’euros de budget, 900 salariés et une
structure de groupe qui comprend deux filiales commerciales. Malgré tout
il revendique un particularisme: “La plupart des permanents nous
rejoignent par esprit militant, acceptent des salaires inférieurs de 15
à 30% à ceux du marché pour une pression supérieure à celle qui existe
dans une entreprise privée. Nous jouons l’essentiel de notre collecte
sur le téléthon : 30 heures d’antenne.”
Conserver un esprit militant serait paradoxalement aujourd’hui un
privilège de riche. Pour s’être violemment opposé à l’Etat sur sa
politique à l’égard des sans-papiers, la Cimade a perdu le droit
d’intervenir dans plusieurs centres de rétention. Aujourd’hui confrontée
à une baisse mécanique d’activité, elle doit licencier 25 de ses 110
salariés. En revanche, l’association Emmaüs, aux ressources plus
diversifiées, a pu se permettre d’ouvrir au pied levé un centre
d’hébergement pour de jeunes Afghans qui s’étaient installés dans un
square du Xe arrondissement de Paris. “L’Etat nous a reproché de créer
un nouveau Sangatte. Nous avons une tradition d’insoumission face aux
pouvoirs publics et à la fatalité”, justifie le secrétaire général
Didier Cusserne.
Tuer les pères fondateurs
Beaucoup plus gestionnaires, incarnant une nouvelle forme de
militantisme, les poids lourds du caritatif, de l’humanitaire ou de la
recherche ont souvent réussi leur mue en se débarrassant de la tutelle
de leurs fondateurs. Hasard ou coïncidence, l’association considérée
comme la plus professionnelle, ACF, est sans doute celle qui a le plus
fait oublier le nom de ses fondateurs. A l’époque, il s’agissait de
Jacques Attali, Françoise Giroud et Bernard-Henri Lévy. La tâche s’est
en revanche révélée plus complexe pour l’Association française de lutte
contre les myopathies (AFM). L’ex-président Bernard Barrato – il a
quitté ses fonctions en 2004 – est celui qui a mis sur pied le téléthon,
principale source de revenus de l’association. “Le remplacer a été un
peu compliqué, reconnaît l’actuelle présidente Laurence Thienot: Nous
avons des caractères bien trempés et Bernard n’avait pas grand monde qui
lui résistait.” Avant qu’elle ne prenne ses fonctions, un premier
successeur a jeté l’éponge.
Le changement de statut des fondateurs permet parfois de couper plus
facilement le cordon ombilical: “Lorsque Bernard Kouchner a été nommé
secrétaire d’Etat à l’action humanitaire, il y a 20 ans, il a perdu tout
lien opérationnel avec l’association.” En revanche l’image de L’abbé
Pierre, même décédé, continue à planer sur Emmaüs. “Il est présent
dans l’ensemble du groupe et l’a suffisamment marqué pour ne pas
disparaître du jour au lendemain.”
Le meilleur moyen de tourner la page pour ces associations fortement
marquées par leurs fondateurs reste sans doute l’application des règles
classiques de gouvernance. Lorsqu’elles sont déclarées d’utilité
publique (ce qui est le cas pour la plupart), les administrateurs sont
élus par l’assemblée générale. L’ensemble des adhérents et donateurs a
donc toute la marge de manoeuvre nécessaire pour “relooker” le conseil
d’administration.
Harmoniser la relation président et directeur général
Lorsque la Cimade a dû affronter, l’an dernier, une crise violente avec
le gouvernement Fillon, le président Patrick Peugeot et le secrétaire
général Laurent Giovanoni ont arrêté ensemble la stratégie et se sont
répartis les rôles. La communication devant les médias et les contacts
avec les élus pour le premier. La construction de l’argumentaire
technique et juridique pour le second, afin de contester devant le
Conseil d’Etat l’appel d’offres qui évinçait la Cimade de la plupart des
centres de rétention pour les sans-papiers. La réussite de ce couple un
peu particulier ne réside pas tant sur la capacité du président à nommer
le secrétaire général que sur leur aptitude à fonctionner de concert. Au
sein de l’AFM, la répartition des rôles est tout aussi claire : le
secrétaire général veille au fonctionnement du groupe, la présidente
définit la stratégie. En revanche, le leader des mouvements de défense
de l’environnement a semble-t-il souffert d’une erreur de casting :
“Robert Lion (ancien directeur général de la Caisse des dépôts) avait un
problème à accepter qu’il n’était pas le porte-parole de Greenpeace”,
analyse le secrétaire général Pascal Husting.
Passer de l’association à l’entreprise solidaire
Le premier opérateur de l’économie solidaire en France ne connaît en
tout cas pas ce type de questionnement. Fondé il y a 25 ans à partir
d’une association d’aide aux toxicomanes, le groupe SOS réalise
aujourd’hui 200millions d’euros de chiffre d’affaires dans l’insertion
des personnes en difficulté, l’hospitalisation de jour, ou encore les
crèches pour enfants. Le créateur Jean-Marc Borello a organisé ses
activités sous la forme d’un groupement d’intérêt économique (GIE). Les
ressources humaines, les finances et la communication sont regroupées
dans une même entité au service de toutes les activités sociales du
groupe. “Notre modèle économique repose sur une logique d’entreprise au
service de l’intérêt général. Nous améliorons sans cesse notre outil de
travail pour mieux atteindre nos cibles. Aider les 25 personnes d’un
quartier ne change pas la face du monde.” Le groupe SOS compte
aujourd’hui 3 000 collaborateurs et dispose de 10 millions d’euros de
trésorerie disponible pour compenser les retards de subventions de
l’Etat et des collectivités locales, ou encore, reprendre de petites
associations au bord du dépôt de bilan. A partir d’une certaine
taille, l’économie solidaire a aussi la capacité d’aider ses confrères
en difficulté.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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