[Infoligue] L'inattendu recul français de la capacité associative des mineurs

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 18 Aou 09:19:47 CEST 2011


L'inattendu recul français de la capacité associative des mineurs

Point de vue
Publié par : LEMONDE.FR
Le : 17.08.11 | 09h17
par Jean-Claude Bardout, magistrat


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Bourde estivale ou conséquence fâcheuse d'un cavalier législatif ? Voté 
en catimini, l'art. 45 de la loi relative à l'alternance et la 
sécurisation des parcours professionnels (publiée au Journal officiel le 
29 juillet 2011) introduit un bien malheureux article 2 bis dans la 
grande loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association.

Car sous la belle promesse d'une avancée pour le droit d'association des 
jeunes, nous écopons en réalité d'un recul par rapport au droit 
existant. L'article 2 bis nouveau introduit en effet dans la loi de 1901 
une condition d'âge dont le législateur de 1901 n'avait pas voulu. Et, 
cerise sur le gâteau, il conditionne l'accès des jeunes de 16 à 18 ans 
aux responsabilités associatives à une autorisation écrite et préalable 
des parents ! Voici les termes de la reculade abusivement présentée 
comme une avancée : "Article 2bis. - Les mineurs de seize ans révolus 
peuvent librement constituer une association. Sous réserve d'un accord 
écrit préalable de leur représentant légal, ils peuvent accomplir tous 
les actes utiles à son administration, à l'exception des actes de 
disposition."

Le législateur de 1901 n'avait nullement omis de légiférer sur le droit 
d'association des mineurs. L'article 1er définit l'association comme une 
"convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, 
d'une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but 
autre que de partager des bénéfices", tandis que l'article 2 précise que 
"les associations de personnes pourront se former librement sans 
autorisation ni déclaration préalable".

Il était donc clair que le droit d'association était reconnu à toute 
personne, sans condition d'âge. La loi de 1901 ne réserve pas la liberté 
d'association aux seuls citoyens en âge de voter, ni aux civilement 
majeurs. Car pour le législateur républicain de 1901, le droit 
d'association était un droit naturel, un droit que le gouvernement ne 
peut concéder, un droit personnel qui préexiste à l'Etat. Il constitue 
ce qu'aujourd'hui nous nommons une liberté fondamentale et un droit 
inaliénable. C'est ainsi que la convention européenne des droits de 
l'homme garantit la liberté d'association "à toute personne".

Quelle était l'intention du législateur de 1901 ? Les débats 
parlementaires nous éclairent à ce propos. Le sénateur Ponthier de 
Chamaillard s'inquiéta : "Si des jeunes mineurs veulent s'associer mais 
que leur père s'y oppose, que feront-t-ils ?" Ernest Vallé, rapporteur 
de la loi, lui répondit ainsi : "Eh, mon Dieu ! Les uns et les autres 
feront ce qu'ils font aujourd'hui ; ils agiront en vertu de la 
permission tacite, très suffisante, qu'ils tiennent de ceux sous 
l'autorité desquels ils sont placés. Leur silence… équivaudra à une 
autorisation… Ce seront là convenances ou querelles de famille ; mais il 
n'appartient pas au législateur de les trancher à propos de la loi sur 
les associations." Le législateur de 1901 n'ignorait donc nullement 
l'autorité parentale (alors autorité exclusive du père de famille) sur 
l'enfant qui s'exprime habituellement, à l'égard des tiers, par une 
présomption d'autorisation parentale ou par le pouvoir explicite 
d'opposition parental. Cependant, le législateur républicain considérait 
qu'il ne revenait pas à la loi sur la liberté d'association d'ajouter à 
ce propos des restrictions supplémentaires.

En conséquence de quoi, ni la loi du 1er juillet 1901, ni son décret 
d'application du 16 août 1901 ne précisaient l'âge minimal des personnes 
qui, à un titre quelconque, sont chargées de l'administration de 
l'association. L'âge des administrateurs ne figurait pas parmi les 
informations exigées lors de la déclaration de l'association. La 
jurisprudence judiciaire considérait l'adhésion à une association comme 
un acte d'usage courant qu'un mineur peut faire seul, au bénéfice de 
l'accord implicite de ses parents. La jurisprudence administrative 
précisait que commettrait un excès de pouvoir le préfet qui refuserait 
d'enregistrer une association au seul motif de l'âge de ses fondateurs.

Le 28 août 1971, répondant au député Neuwirth, le ministre de 
l'intérieur Raymond Marcellin disait que les mineurs de seize ans 
pouvaient être élus et désignés administrateurs de l'association, pourvu 
qu'ils ne soient pas président ou trésorier. Quarante ans plus tard, 
ceux là même qui revendiquent la paternité de droits nouveaux pour les 
jeunes imposent des restrictions et conditions supplémentaires : les 
jeunes de seize ans révolus ne pourront jamais effectuer d'acte de 
disposition pour le compte de l'association et, pour pouvoir prendre 
part à des actes d'administration, ils devront obtenir l'accord 
préalable et écrit de leur parents.

ÉPANOUISSEMENT ET ÉMANCIPATION DE LA FAMILLE

En pratique, 44 % des jeunes mineurs sont adhérents à au moins une 
association mais peu d'entre eux participent aux assemblées. 2 à 3 % 
d'entre eux seulement seraient membres des conseils d'administration ; 
ils sont rares à être présidents ou trésoriers, sauf au sein des juniors 
associations ou autres associations de fait. Les mineurs participent 
donc massivement aux activités associatives, mais sont sous-représentés 
ou exclus des organes délibératifs. L'association constitue pour 
beaucoup de jeunes une société élective et affinitaire pour s'épanouir 
en s'émancipant de la famille : une transition entre la famille et la 
société. Ils apprennent à s'y engager avec leurs pairs et prennent leçon 
auprès d'autres adultes que leurs parents : animateurs, militants, 
cadres des associations qu'ils se sont choisis. C'est mal comprendre la 
jeunesse que de vouloir placer leur engagement associatif sous la 
tutelle de leurs propres parents.

Que faut-il dès lors comprendre de cet ajout subreptice, inclu dans la 
loi sur la sécurisation des parcours professionnels ?

Notre droit reconnaît aux jeunes de moins de dix-huit ans, quoique 
mineurs, de nombreux droits dans des domaines de la santé, la sexualité, 
la filiation, l'accès à la justice, les droits de la personne, les 
droits patrimoniaux, les droits sociaux. La loi confère aux adolescents 
et adolescentes de plus de seize ans des droits aussi importants que 
ceux de reconnaître un enfant, consentir à son adoption par l'aide 
sociale à l'enfance, accoucher anonymement, recourir à la contraception 
et, sous certaines conditions, à l'interruption volontaire de grossesse, 
s'opposer à une opération chirurgicale, faire seul un testament portant 
sur la moitié de son patrimoine, etc. Pourquoi, dans ce contexte, 
conditionner l'exercice de responsabilités associatives à l'autorisation 
écrite et préalable des parents ?

Car, si pour consommer des activités de loisirs diverses et variées, la 
loi n'exige pas des adolescents l'autorisation écrite et préalable des 
parents et représentants légaux, il n'en est plus de même dès lors qu'un 
adolescent voudrait exercer des responsabilités associatives. La 
présence au sein du bureau de l'association représente-t-elle plus de 
risque que la pratique sportive et des activités associatives elles-mêmes ?

La réforme estivale de la loi du 1er juillet 1901 érige un obstacle peu 
compréhensible à leur prise de responsabilité dans la vie associative.

L'article 2 bis exclut implicitement tout mineur de moins de seize ans 
de la participation à toute décision dans les instances collégiales de 
l'association, et interdit explicitement aux mineurs de plus de seize 
ans tout acte d'administration au sein d'une association, sauf accord 
express, écrite et préalable, de leurs parents ou représentants légaux. 
Le code civil prévoit pourtant la possibilité pour un mineur d'être 
mandataire – et qu'est-ce qu'un administrateur d'association sinon le 
mandataire des associés ? – et un régime de responsabilité adapté à la 
minorité. Le mandat associatif sera ainsi plus surveillé que tout autre 
mandat. A ce propos, quelle sera le régime de responsabilité de ce jeune 
mineur ? Perdra-t-il le bénéfice d'une responsabilité moindre, tel que 
l'accorde l'article 1990 du code civil en matière de mandat confié à un 
mineur ? Il faut le craindre, puisqu'en autorisant préalablement et par 
écrit les actes d'administrations accompli par leurs enfants dans une 
association, les parents risquent d'en endosser aussi la responsabilité.

Au lieu du progrès attendu pour appliquer en France le "droit 
d'association des enfants" proclamé par la convention internationale des 
droits de l'enfant, voilà l'inattendu recul français de la capacité 
associative des mineurs. A vouloir trop chapeauter et chaperonner, on 
déprime les initiatives et on décourage l'apprentissage des responsabilités.

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Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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