[Infoligue] Associations: que veut vraiment l’Etat ?

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mer 18 Oct 07:41:58 CEST 2017


Associations: que veut vraiment l’Etat ?

Tribune - L’arrêt des emplois aidés fragilise les associations dans 
leurs ressources humaines et financières. Quelle place l’Etat veut-il 
donner aux associations dans l’économie sociale et solidaire, et dans 
l’économie en général ? En la matière, la puissance publique ne s’est 
pas dotée d’une stratégie stabilisée. De nouvelles manières de 
coconstruire l’intérêt général entre associations, citoyens, entreprises 
et Etat doivent voir le jour.

Publié par : LE MONDE
Le : 18.10.2017

Tribune d’Hugues Sibille et de Viviane Tchernonog

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L'arrêt annoncé des emplois aidés, par-delà l’émotion et les 
commentaires politiques immédiats, révèle deux enjeux ­associatifs de fond.

En premier lieu, les modèles socio-économiques des associations, en 
mutation profonde, sont fragilisés dans leurs ressources financières et 
humaines. L’incertitude s’accroît.

L’Etat manque d’une vraie doctrine associative

En second lieu, l’Etat ne s’est pas doté d’une vraie doctrine 
associative et reste sur une vision binaire (emplois productifs privés - 
emplois de service public). Il peine à intégrer les emplois d’utilité 
sociale associatifs dans une stratégie ­stabilisée. Du crédit d’impôt 
pour la compétitivité et l’emploi (CICE) excluant les associations sous 
Hollande à la fin des emplois aidés sous ­Macron, l’Etat conduit par 
à-coups.

La mission que Muriel Pénicaud, ministre du travail, a confiée le 5 
septembre à Jean-Marc ­Borello, président de Groupe SOS, 
apportera-t-elle des réponses en renouvelant la vision de l’Etat sur la 
manière dont il doit aujourd’hui ­coconstruire l’intérêt général ?

Il faut repartir du modèle socio-économique associatif. C’est un système 
à trois composantes : un projet non ­lucratif d’utilité ­sociale, des 
ressources financières et humaines bénévoles et salariées, un mode 
d’organisation et de gouvernance citoyenne ­spécifique. Il existe une 
infinité de manières d’assembler ces composantes. La biodiversité 
­associative est immense, au sein des quelque 1,4 million d’associations 
­actives (enquête Insee 2014). C’est une richesse qu’il faut éviter de 
banaliser.

Certaines associations ne reposent que sur le bénévolat – cet engagement 
citoyen est indispensable au secteur ; d’autres, véritables entreprises 
sociales, que sur le salariat. Mais des tendances menaçantes affectent 
l’équilibre du ­modèle.
Les technocrates peinent à comprendre et intégrer le travail associatif, 
unique par son assemblage de salariat et de bénévolat.

Les technocrates peinent à comprendre que le travail associatif est 
unique par un assemblage original de travail bénévole – de 14 à 16 
millions de personnes – et de travail rémunéré, avec 1,8 million 
d’emplois salariés dépendant de l’Agence centrale des organismes de 
Sécurité ­sociale (Acoss).

Les associations font évoluer leur modèle économique

Ce travail associatif et l’impact social qu’il peut générer sont 
affectés par trois mouvements ­endogènes et exogènes. Tout d’abord, le 
budget associatif 2016 (budget cumulé des associations), consolidé à 109 
milliards d’euros (enquête Insee), voit ses ressources touchées par la 
diminution des subventions. Pour la première fois depuis 2011, l’Acoss 
indique que l’emploi salarié baisse depuis un an. La suppression des 
emplois aidés vient aggraver le phénomène.

Sommées de rendre davantage de missions sociales avec moins d’argent 
public, les associations ne restent pas inertes. Leurs recettes 
d’activités privées qui proviennent pour l’essentiel de la vente de 
services à leurs usagers sont pa ssées entre 2005 et 2016 de 32 % à 38 % 
du budget total. Jusqu’où ­aller ? Les ­plates-formes de crowdfunding, 
comme Hello Asso, se développent. Le recours au don et au ­mécénat est 
recherché, mais reste faible (4 %).

Les associations travaillent donc à faire évoluer leur modèle 
socio-économique, comme en ­témoigne la publication, en janvier, de 
l’étude confiée à KPMG par le Mouvement associatif et l’Union des 
employeurs de l’économie sociale et solidaire.

Mais le risque existe qu’un recours croissant aux recettes privées 
n’accroisse encore les inégalités territoriales associatives et que, 
comme l’indique la lettre de mission de Muriel Pénicaud à Jean-Marc 
Borello, « le fossé ne se creuse entre une France entreprenante, 
dynamique et bien formée et une France qualifiée de périphérique, qui 
reste en marge de l’emploi et, finalement, de la société ». La tendance 
est bien là, de territoires riches avec des associations riches, et de 
territoires pauvres avec des associations pauvres. Que serait la vie 
territoriale sans les associations ? Celle de tous les Brexit ! L’Etat 
conserve un rôle de solidarité irremplaçable.

Ensuite, quantitativement, les ressources ­publiques associatives ont 
moins diminué que ce que dénoncent certains nostalgiques du tout-Etat, 
mais qualitativement elles changent de ­nature.

La subvention est passée de 34 % à 20 % des ressources et la commande 
publique de 17 % à 27 % entre 2005 et 2016 (enquêtes « Paysage 
­associatif », CES-CNRS). Les défenseurs de la mise en concurrence des 
associations entre elles et avec le secteur privé se félicitent. Et là 
encore, les associations, contrairement aux idées reçues, ne restent pas 
inertes. Elles se rapprochent entre ­elles et font des gains de 
productivité.
En extyernalisant au « moins-disant », l’Etat renforce la précari­sation 
du travail associatif et affaiblit la qualité du service rendu.

Mais la puissance publique doit être attentive au mouvement qu’elle 
provoque, par exemple dans le médico-social, et faire preuve de 
responsabilité sociale. En externalisant au « moins-disant » ­certains 
de ses services, elle renforce la précari­sation du travail associatif 
déjà importante (CDD, temps partiels…) et affaiblit la qualité du 
service rendu. En concentrant le secteur associatif, en lui faisant 
injonction de rendre le service au ­moindre coût, elle diminue la 
capacité d’innovation sociale des associations.

Comment feront celles-ci pour financer leur R&D (recherche et 
développement) sociale ? Le haut-commissaire à l’économie sociale et 
solidaire, Christophe Itier, nommé le 6 septembre et placé sous la 
tutelle de Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et 
solidaire, devra se saisir du financement de l’innovation sociale, de 
son accélération, dans une approche incluant les entreprises sociales, 
mais aussi le tissu associatif.

L’augmentation des fonds propres, la proposition d’un crédit d’impôt 
recherche en innovation sociale, l’épineux sujet des contrats à impact 
social ont été mis sur la table du Conseil supérieur de l’économie 
sociale et solidaire (ESS). Il faudra les traiter.

Enfin, la question des gouvernances associa­tives fait partie de celle 
des ressources humaines. Les statuts ne prévoient pas suffisamment les 
modalités de renouvellement des dirigeants et les associations éprouvent 
des difficultés à recruter des bénévoles pour ces fonctions dirigeantes. 
Le quart des associations ont un président en poste depuis plus de dix 
ans. Si la fonction présidentielle s’est légèrement féminisée, de 31 % 
en 2005 à 36 % en 2016, elle reste masculine et de couche moyenne 
supérieure. L’engagement associatif ne joue plus le rôle de promotion 
sociale qu’il a joué pendant les « trente glorieuses ».

Face à ces mutations du modèle socio-économique associatif qu’il suscite 
ou qu’il constate, l’Etat semble en panne de doctrine claire. Qui sait 
quel est le ministre chargé de ce continent ? Imagine-t-on ne pas savoir 
quel est celui chargé de l’agriculture ? Le rattachement de la vie 
associative au ministre de l’enseignement dans le gouvernement d’Edouard 
Philippe correspond-il aux nécessités interministérielles et aux enjeux 
économiques et sociaux du secteur ?

Une charte d’engagements réciproques ­entre l’Etat et les associations a 
été signée à l’occasion du centenaire de la loi de 1901 et actualisée en 
2014 en l’ouvrant aux collectivités locales. Reste-t-elle la référence ?

In fine, la question des ressources humaines associatives, rouverte à 
travers la mise en cause des emplois aidés, est trop importante pour en 
rester au jeu des postures ou des querelles politiciennes. Le monde 
associatif doit lui aussi apporter des réponses plus claires aux enjeux 
qui sont les siens et ne pas se cacher derrière la figure tutélaire de 
l’Etat comme il l’a souvent fait.

Trois questions pour l’avenir

Trois questions sont à venir au-delà de celle des emplois aidés. En 
premier lieu, les associations utilisant le statut de la loi de 1901 
font-elles pleinement partie d’un ensemble plus vaste appelé économie 
sociale et solidaire, défini par la loi du 31 juillet 2014 et 
constituant un mode d’entreprendre spécifique ? Après la présidentielle 
et l’attribution des responsabilités ministérielles, cette question est 
restée dans le flou jusqu’à la nomination d’un haut-commissaire le 9 
septembre. Que veut vraiment l’Etat et que veulent vraiment les 
associations sur la place de ces dernières dans l’économie en général et 
l’ESS en particulier ?

La mesure de l’impact social et l’évaluation de l’utilité sociale sont 
devenues essentielles pour l’action associative.

En second lieu, le territoire est devenu l’espace majeur de 
coconstruction de l’intérêt général. C’est une révolution culturelle qui 
implique de faire tomber des murs et d’inventer de nouvelles alliances 
entre les associations, les entreprises, la puissance publique et les 
citoyens. Des expé­rimentations comme les pôles territoriaux de 
­coopération économique ou les territoires zéro chômeur de longue durée 
ne peuvent être des alibis lancés et vite abandonnés, mais les prémices 
d’une nouvelle approche de l’intérêt général.

En troisième lieu, la mesure de l’impact social et l’évaluation de 
l’utilité sociale sont devenues essentielles pour l’action associative. 
Moins que le questionnement légitime des emplois aidés, ce qui a choqué, 
c’est l’opprobre global jeté sur l’efficacité des structures d’utilité 
sociale. La Fonda, l’Avise et le Labo de l’ESS, conscients de cet enjeu, 
ont lancé une ambitieuse recherche sur ces questions.

Hugues Sibille est président du Labo de l’ESS et de la Fondation Crédit 
coopératif

Viviane Tchernonog est chercheuse invitée au Centre d’économie de la 
Sorbonne (Paris I)

En savoir plus sur 
http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/10/18/associations-que-veut-vraiment-l-etat_5202381_3234.html#FfXqwrpfDXoaX3d3.99

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
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