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Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 25 Nov 16:12:15 CET 2011


«La laïcité, un combat pour la paix», de Jean Glavany

Publié par : http://blogs.mediapart.fr
Le : 24 Novembre 2011
Par Jean Baubérot

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Jean Glavany est un peu le «Monsieur Laïcité» du PS. Il vient de faire 
paraître, aux éditions Héloïse d'Ormesson, un ouvrage intitulé La 
laïcité, un combat pour la paix. Cette initiative me semble bienvenue, à 
un moment où Claude Guéant, la droite populaire et Marine Le Pen tentent 
une sorte d'OPA sur la laïcité, cherchent à en faire une arme de guerre 
contre les immigrés et les musulmans.
Il faut que la gauche se réapproprie la laïcité et, pour cela, un débat 
serein, franc et rationnel apparait nécessaire en son sein. Car si la 
gauche a perdu la position hégémonique qui fut historiquement la sienne 
en la matière, c'est notamment parce qu'elle s'est divisée. La 
différence de points de vue n'a rien de dramatique à condition qu'il 
existe une confrontation des idées. En général, l'invective a remplacé 
l'examen. Cependant, à plusieurs reprises, Jean Glavany a impulsé des 
réflexions et des échanges sur la laïcité qui ont été bienvenus. Mais 
comme cela ne se passait pas dans le bruit et la fureur, l'écho 
médiatique s'est parfois avéré faible. Aujourd'hui, Glavany expose 
clairement sa conception de la laïcité. Il faut espérer que son ouvrage 
sera pris en considération, considéré comme une contribution importante 
au débat.

Glavany recentre la laïcité sur ses fondamentaux. Son but n'est pas de 
stigmatiser, comme le «débat-débacle» de l'UMP a tenté de le faire au 
printemps dernier, mais bien de construire un «vivre-ensemble» pacifié, 
de permettre à toutes celles et ceux qui vivent dans notre pays de 
«partager un espace commun», de «se forger un destin collectif avec 
toutes leurs différences d'origine, d'âge, de sexe, de condition, de 
culture ou de philosophie».

Un «destin collectif»: d'emblée, Glavany nous projette dans un avenir à 
construire ensemble, rompant avec la sempiternelle rengaine nostalgique 
des «racines» dont Nicolas Sarkozy nous abreuve depuis plusieurs années. 
Cette perspective le conduit à définir la laïcité comme une «conjugaison 
de la Liberté de conscience, de l'Egalité entre les individus quelles 
que soient leurs croyances ou non-croyances, et de la Fraternité du 
"vivre-ensemble" dans l'unité de la République, avec nos différences». 
Cela relie donc étroitement la laïcité à la liberté et à l'égalité des 
droits.

Ce sont d'ailleurs ces objectifs que la laïcité a poursuivi «dans 
l'histoire de France». Sans nous donner un historique détaillé, ce n'est 
pas l'objet du livre, Glavany distingue gallicanisme et laïcité (au 
contraire du Haut Conseil à l'intégration, en 2007) et montre les 
ruptures fondamentales qu'ont représentées d'abord la Déclaration des 
droits de 1789, ensuite la loi de 1905. Il rend justice à la «politique 
subtile» d'Aristide Briand, le maître d'œuvre de cette loi, et à l'aide 
que Jean Jaurès lui a alors apportée.

Glavany insiste, avec raison, sur le fait que la laïcité se concrétise 
par un dispositif juridique. Ne maniant pas la langue de bois, il ne 
craint pas de manifester un «regret» et un «remords» sur la politique 
des socialistes concernant la laïcité scolaire, dans les années 1980 et 
1990... et à propos de celle d'un socialiste (Charasse) en 2009. En 
effet, «l'école laïque est, ou devrait être, le pilier de la 
République». Ce rappel me semble particulièrement bienvenu car, contre 
une laïcité atrophiée, Glavany remet à l'honneur l'importance de l'école 
publique pour la laïcité française. Il s'intéresse également à des 
questions que l'UMP voudrait passer sous silence comme le maintien du 
Concordat et de cours confessionnels à l'école publique en 
Alsace-Moselle. Il refuse, avec justesse, de réduire la liberté de 
conscience à la liberté religieuse (ce que fait l'UMP). De même, il 
rappelle que des lois, votées sous le gouvernement Jospin, comme celles 
«créant le Pacs ou la Parité furent des avancées des libertés induites 
par la philosophie laïque: elles permirent à des différences d'être 
mieux respectées au sein de la communauté nationale», dans un «équilibre 
fragile», et donc toujours à sauvegarder, «entre la diversité et 
l'unité». Enfin, il effectue un beau plaidoyer pour la «morale laïque». 
Ainsi est redonnée à la laïcité sa véritable dimension, son ampleur, 
alors que, dans les 26 propositions issues du «débat» de l'UMP, «plus de 
la moitié concernent l'islam et lui seul».

Je pourrais continuer longtemps à indiquer les points d'accord. Mais, 
pour l'intérêt du débat, il me faut indiquer maintenant là où ma propre 
position se distingue de celle exposée par Glavany. La différence part 
d'une confusion souvent faite concernant la loi de 1905. Glavany a tout 
à fait raison d'écrire que la loi de 1905 a mis fin au «service public» 
des cultes. Ceux-ci (sauf pour l'Alsace-Moselle) n'ont plus rien 
d'officiel. Il se produit à la fois, remarque-t-il avec pertinence, une 
«privatisation» et une «liberté générale». Mais à partir de là, Glavany 
opère un glissement et prétend qu'avec 1905 «l'espace public (doit) 
rester neutre, les religions (sont) de l'ordre de l'espace privé».

Or l'étude des débats parlementaires montre que la loi de 1905 est bien 
plus «subtile». Certains voulaient, effectivement, interdire les 
manifestations religieuses dans l'espace public, et les discussions sur 
l'article 27 furent vives. Mais, au bout du compte, non seulement ces 
manifestations furent autorisées, mais elles furent libéralisées par 
rapport à la règlementation concordataire. Ce qui fut refusé, et les 
débats autour de l'article 28 le montrent très clairement, ce n'est pas 
une libre visibilité de la religion dans l'espace public, c'est le fait 
que la religion puisse marquer cet espace comme si elle pouvait 
représenter l'ensemble de la collectivité.

C'est la différence entre l'officiel, l'obligatoire et le commun d'une 
part, et ce qui est volontaire, facultatif et libre de l'autre, qui 
joue. Le débat parlementaire de 1905 sur le port de «vêtements 
ecclésiastiques» dans l'espace public confirme cette optique: certains 
voulaient interdire la soutane comme tenue cléricale, prosélyte, indice 
de soumission portant atteinte à la dignité humaine. Briand répliqua que 
ce serait contraire à «une loi de liberté» et que, désormais, l'Etat ne 
se souciait plus de savoir si la soutane était ou non un vêtement religieux.

Je pense donc que Glavany a une conception de la neutralité plus 
extensive que la loi de 1905. Cela le conduit à se montrer méfiant à 
l'égard des «accommodements raisonnables». Certes, Glavany ne réfute pas 
tout accommodement et il effectue de bonnes distinctions: des «menus 
hallal» sont déraisonnables, mais donner le choix entre viande, poisson 
et un menu végétarien est raisonnable. Le problème c'est que dans 
certaines villes, comme Toulouse, ce raisonnable est refusé.

Je serai d'accord avec Glavany que, parfois, «il n'y a pas loin d'une 
décision contestable à un "accommodement raisonnable"». Mais cette 
vigilance doit inciter à approfondir ce qu'est le «raisonnable», ne 
serait-ce que parce que dans les faits, les élus locaux font des 
accommodements, souvent dans un vide réflexif. Alors, des considérations 
politiciennes ou des critères très subjectifs l'emportent sur la 
détermination de ce qui est raisonnable et ce qui ne l'est. De plus, 
pour Glavany le Canada, où l'accommodement raisonnable constitue un 
dispositif juridique, apparaît presque comme un contre-modèle. Mais il 
se fonde sur des sources très partiales. Ainsi, il est faux de dire que 
la Cour Suprême canadienne a «mis en cause l'égalité homme-femme». Bien 
au contraire, elle a refusé d'accepter une coutume religieuse qui lui a 
semblé contraire à l'égalité des sexes (affaire Bruker-Marcovitz, 14 
décembre 2007).

La rectification n'est pas anecdotique car, sans copier le Canada, la 
France pourrait y trouver certains éléments qui l'aideraient à faire 
face à ses difficultés, par exemple la mise en place de dispositifs de 
médiation (justement dans le cadre de l'accommodement raisonnable), la 
formation interculturelle d'agents publics ou l'existence de comités 
police-citoyens. Cela serait de bonne stratégie car si la laïcité, comme 
le dit Glavany, combat les «intégrismes» (définis comme l'imposition de 
«différences dictatoriales»), il faut veiller à ne pas faire de ce terme 
un mot fourre-tout, qui disqualifie des croyants très pieux, mais à la 
religion tranquille. Il faut être capable d'isoler les extrémistes. Et 
cela suppose, comme Briand le disait déjà en 1905, beaucoup de «sang-froid».

Car on peut parfois reprocher à Glavany d'adopter, sans en avoir 
conscience, le principe «deux poids deux mesures». Fort bien de refuser 
la «différence des droits» quand il s'agit des juifs et des musulmans. 
Mais pourquoi accepter aussi facilement cette «différence des droits» 
pour les Alsaciens-Mosellans où notre auteur ne propose que des 
changements très mineurs? La gauche pourrait impulser un processus de 
changement, en donnant du temps au temps. Et si on accepte ainsi de 
compter avec le temps pour les habitants des départements de l'Est, ne 
faut-il pas faire de même pour celles et ceux dont les racines viennent 
d'anciens territoires français où la séparation de 1905 ne fut pas 
appliquée? L'idéal de la séparation doit être poursuivi en 
Alsace-Moselle et, à mon sens, si Glavany majore le champ d'application 
de la neutralité, il minore un peu celui de la séparation. Autre 
exemple: dans les lois futures qui devront concrétiser les exigences de 
la séparation au XXIe siècle qu'indique notre auteur (p. 37), figure «le 
droit à choisir sa fin de vie», mais pas le mariage entre personnes de 
même sexe. Peut-être un simple oubli malheureux.

Voilà donc quelques éléments de débat. On l'aura remarqué, ces 
différences s'inscrivent dans un accord fondamental sur les principes 
laïques. Et, même si je les formulerais parfois autrement, j'ai bien 
apprécié les «dix commandement de la laïcité» qui terminent l'ouvrage. A 
lire pour comprendre en quoi l'UMP et Marine Le Pen défigurent la 
laïcité, et sur quelles bases le débat peut s'engager à gauche pour lui 
redonner son élan.

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Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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