[Laicite-info] Mettons en avant les libertés laïques
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Ven 27 Jan 17:18:21 CET 2012
Mettons en avant les libertés laïques
Point de vue
Publié par : LEMONDE
Le : 26.01.12
par Jean Baubérot, titulaire de la chaire histoire et sociologie de la
laïcité à l'Ecole pratique des hautes études
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En 1946, la Constitution a déclaré que la République est "laïque". En
1958, celle de la Ve République réitère cette affirmation et ajoute :
elle "respecte toutes les croyances". Mais le contenu de la laïcité
ainsi constitutionnalisée est resté flou. C'est pourquoi la proposition
de François Hollande représente un progrès.
Certains juristes ont proposé une solution boiteuse : rendre
constitutionnel (seulement) l'article premier de la loi de 1905 qui
instaure les libertés de conscience et de culte. Mais la loi de
séparation comporte 44 articles, et elle repose sur un trépied. Celui-ci
comprend également l'article 2 abolissant le système des "cultes
reconnus", le salariat et les subventions qui étaient liées (les
"services d'aumôneries" pourront émarger sur fonds publics), et
l'article 4, qui implique le respect par l'Etat de la constitution
propre de chaque culte.
En fait, il s'agit alors de rompre avec les trois piliers de la
politique gallicane suivie aussi bien par la monarchie que par le
bonapartisme : contrôler la religion, la protéger, l'aligner sur une
logique d'Etat. Trois aspects que l'UMP a remis en vigueur, en
développant un néogallicanisme, séparant notamment une laïcité
(contrôle) et une liberté religieuse (protection).
Une nouvelle rupture est donc nécessaire. On pourrait penser qu'avec la
constitutionnalisation de l'ensemble de la loi de 1905 toute ambiguïté
sera levée. Malheureusement, les choses ne sont pas si simples. La
référence à 1905 peut se trouver dévoyée. "La laïcité : une valeur au
coeur du projet républicain", titre une partie du programme du Front
national.
Celle-ci commence par un éloge dithyrambique de la loi de 1905, puis
continue par la dénonciation du "communautarisme", qui voudrait
"appliquer la charia en France". Au final, le FN propose d'instituer un
"ministère de l'intérieur, de l'immigration et de la laïcité" et
invoque, à nouveau, la loi de 1905 pour justifier des mesures répressives.
On sait que la "droite populaire" n'est pas loin d'une telle optique.
Cela oblige à préciser auprès de l'opinion publique en quoi la loi de
1905 et sa constitutionnalisation n'ont rien à voir avec de telles
manipulations, qui font d'ailleurs dire à cette loi ce qu'elle a refusé.
Il faut le faire en concrétisant ce que va impliquer la
constitutionnalisation de la laïcité. Voyons quelques-unes des pistes
qui pourraient être suivies. Il est possible de partir du principe
suivant : la République est "indivisible, laïque, démocratique et
sociale", donc la laïcité doit être indivisible, républicaine,
démocratique et sociale.
La laïcité est indivisible. Le stigmatisant débat de 2011 de l'UMP sur
la laïcité était d'abord intitulé "L'islam et la République". Ce n'est
pas le seul indice qui montre que, quand on dit "laïcité", on pense en
fait "islam". Cette équivalence est insupportable. En fait, depuis 2006,
on a institutionnalisé une laïcité divisible en confiant les
propositions en la matière au Haut Conseil à l'intégration (HCI).
C'est faire croire que la laïcité s'appliquerait à une partie des
Français. Cela est discriminatoire et il ne faut pas s'étonner si la
laïcité n'est plus pensée par nos concitoyens. Il faut donc retirer le
dossier "laïcité" au HCI. La neutralité de la puissance publique est
arbitrale, elle est impartiale envers toutes les familles de pensée.
La laïcité est républicaine. La séparation des Eglises et de l'Etat doit
être revivifiée. Il serait paradoxal qu'inclure la loi de 1905 dans la
Constitution induise la constitutionnalisation de sa non-application en
Alsace-Moselle ! Pour ne pas aboutir à la coexistence d'une "laïcité
positive" et d'une "laïcité restrictive", un processus devra être
entrepris avec les populations intéressées afin que le "droit à la
différence" des Alsaciens-Mosellans ne continue pas à générer une
"différence de droits".
Et la séparation, ce n'est pas seulement 1905, c'est aussi la loi Veil
sur l'interruption volontaire de grossesse qui sépare la loi civile de
certaines morales religieuses. Ce que propose M. Hollande sur le mariage
homosexuel, la loi qui avait été votée par le Sénat sur l'euthanasie
relèvent aussi de la séparation et doivent être rattachés à la laïcité.
La laïcité est démocratique. La loi de 1905 s'inscrit dans les lois de
liberté votées par la IIIe République (liberté de la presse, de réunion,
d'association...) qui ont permis l'éclosion de la société civile, dont
les "familles de pensée" font partie. Les libertés de conscience et de
culte sont des libertés publiques qu'on ne peut réduire à la "sphère
intime". Le bureau des cultes deviendra le bureau de la laïcité et sera
transféré du ministère de l'intérieur à celui de la justice. La laïcité
s'incarne dans un dispositif juridique où elle met les religions dans le
droit commun. Celles-ci ont droit à l'indifférence, à ne pas être
l'objet de lois spécifiques.
La laïcité est sociale. C'est parce qu'il a compris cela que Jaurès a
appuyé Briand, contre les ultralaïques de 1905. Alors laïcité et
solidarité allaient de pair. A contrario, la laïcité kémaliste a échoué,
faute d'avoir été sociale. La laïcité n'est légitime que si "les
pouvoirs publics luttent contre les pratiques discriminatoires", affirme
de son côté la commission Stasi. Outre les mesures annoncées par
François Hollande, il va falloir recréer la Halde avec des moyens
appropriés et appliquer une laïcité égalitaire à toutes les familles de
pensée, incluant les convictions areligieuses défavorisées.
En définitive, mettre la loi de 1905 dans la Constitution, c'est
remettre la laïcité sur ses pieds. On hypertrophie la neutralité, en
l'interprétant de façon parfois contraire à la loi de 1905, et on
atrophie ses autres aspects : la séparation, la liberté de conscience et
le principe de non-discrimination. La laïcité est donc un dossier
essentiel pour le candidat socialiste. Son renouveau est important pour
la rive sud de la Méditerranée : interdire ici est le meilleur moyen de
justifier des obligations là-bas. La laïcité s'impose aux religions par
la liberté. Il faut, au Nord comme au Sud, mettre en avant les libertés
laïques.
Il est aussi l'auteur de "La Laïcité falsifiée" (La Découverte, 212 p.,
17 €).
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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