[Laicite-info] La laïcité doit ouvrir à la liberté

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 17 Sep 09:09:52 CEST 2012


La laïcité doit ouvrir à la liberté

Publié par : LE MONDE
Le : 14.09.2012
Par Henri Pena-Ruiz, philosophe, membre du Parti de gauche

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Il n'y a pas si longtemps, Nicolas Sarkozy osait dire : "Dans la 
transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre 
le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou 
le pasteur." (Discours du Latran, décembre 2007.) On fut surpris d'une 
telle hiérarchie éthique entre l'instituteur et le curé. Quelle 
méconnaissance de la dimension émancipatrice de l'école laïque ! 
Inventée pour que les êtres humains puissent se passer de maîtres, en 
devenant maîtres d'eux-mêmes, une telle école exclut tout prosélytisme. 
Est-ce à dire qu'elle est indifférente à la morale ?

C'est ce qu'insinuèrent les adversaires de la laïcité, prétendant que la 
neutralité ainsi assumée conduisait au relativisme, voire au nihilisme. 
Pourtant, seul le souci universaliste de n'endoctriner personne préside 
à une telle neutralité, qui n'a aucun sens dès qu'il s'agit de 
distinguer le vrai du faux (l'évolutionnisme du créationnisme fixiste) 
ou le juste de l'injuste (l'antiracisme du racisme). La République 
laïque doit oser affirmer les principes qui la fondent. Ces principes se 
font alors valeurs et repères.

Mais voilà que les antilaïques adoptent une autre charge polémique, 
inverse de la première. Puisque les laïques défendent des principes et 
des valeurs, ils sont partisans, et de ce fait ne défendent qu'une 
idéologie particulière... Auparavant trop neutre, la laïcité ne l'est 
maintenant pas assez ! Voilà bien la mauvaise foi qui fait feu de tout 
bois et brouille tout.

Deux exigences indissociables se conjuguent dans l'école laïque : le 
souci de l'universalité et la promotion de l'autonomie de jugement. 
L'universalité, car une telle école est ouverte à tous, ne fait aucune 
différence entre les élèves ainsi invités au grand partage du savoir et 
de la réflexion. Nul ne doit y subir de prosélytisme religieux ou athée. 
Tel est le sens de la déontologie laïque, et du pari sur l'intelligence 
éveillée à elle-même qui fait la grandeur de l'enseignement public. Une 
telle conception n'a rien à voir avec la direction de conscience religieuse.

Mieux, elle est l'honneur de la République laïque, car elle au moins ne 
recourt à aucun prosélytisme. Condorcet inventa la notion d'instruction 
publique pour "rendre la raison populaire". L'autonomie de jugement, car 
nulle catéchèse, même morale, ne saurait prendre place dans l'école 
laïque. C'est bien la modalité, réflexive et critique, de 
l'enseignement, qui est ici en jeu. C'est sans doute ce que ne voulait 
pas voir M. Sarkozy en hiérarchisant à sa façon le prêtre et 
l'instituteur. Confondre cette approche laïque de la morale avec l'ordre 
moral relève du procès d'intention, assorti d'un amalgame peu honorable.

Kant solidarisait la volonté morale et la liberté de conscience sous le 
nom de "raison pratique". Il concevait ainsi l'émergence d'un 
authentique sujet moral, auteur de la loi qu'il se donne à lui-même, et 
qu'il ne saurait faire sienne par pure soumission aveugle, sans en 
comprendre le fondement. Grâce à l'instruction, exclusive de tout 
conditionnement mais non de toute éducation, l'autonomie éthique de 
chaque personne se fonde sur son jugement propre.

Et l'on peut supposer qu'en naîtra une morale commune, universalisable, 
intégrant par exemple le respect de l'humanité comme fin en soi. Kant 
voyait d'ailleurs dans la possibilité d'universaliser une façon d'en 
faire un signe essentiel de sa valeur éthique. Nul besoin d'assujettir 
la raison à la croyance et de lui dénier tout rôle autonome dans le 
choix des valeurs.

L'école n'a pas non plus à se soumettre à la société du moment ni à 
confondre l'universel avec le consensus idéologique, souvent régi par 
l'idéologie dominante. C'est là que réside un défi aux préjugés de 
l'heure. S'il s'agit d'émanciper, c'est-à-dire d'affranchir de toute 
dépendance, l'exigence morale authentique doit être solidaire de la 
lucidité critique. Rappelons-nous les mots de Kant : "L'humanité dans 
l'homme doit être considérée comme une fin et jamais comme un simple 
moyen." Que penseront nos élèves, habités par cette maxime morale, en 
présence de plans sociaux qui produisent chômage et misère ? L'humain 
d'abord.

Henri Pena-Ruiz, philosophe, membre du Parti de gauche

Henri Pena-Ruiz vient de publier "Marx quand même" (Plon, 396p., 23 €)

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Denis Lebioda
Chargé de mission 
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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