[Laicite-info] L'Eglise tentée de reprendre la main sur l'école privée
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 10 Jan 14:19:54 CET 2013
L'Eglise tentée de reprendre la main sur l'école privée
Publié par : LE MONDE
Le : 07.01.2013
Par Maryline Baumard
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On l'appelle plus volontiers "école privée" qu'"école catholique". C'est
un signe qui n'a pas échappé à l'Eglise. L'école privée sous contrat – à
94 % catholique – est d'abord une école sous contrat d'association avec
l'Etat, avant d'être un lieu de transmission de la religion. Cela fait
quelques années déjà que les autorités religieuses veulent donc
réinvestir ces terres perdues. Dans ce contexte, "la lettre envoyée par
le secrétaire général de l'enseignement catholique à ses chefs
d'établissement, le 12 décembre 2012, leur rappelant la position de
l'Eglise sur le mariage pour tous n'est pas une maladresse, mais la
marque d'une volonté de recatholiciser l'école", explique Bruno Poucet,
professeur à l'université de Picardie et auteur de plusieurs livres sur
l'enseignement catholique.
Aux mains des congrégations au XIXe siècle, l'école "catho" s'est peu à
peu émancipée puis laïcisée au fil du XXe siècle en accueillant un
public de plus en plus varié. Aujourd'hui, il est difficile de parler
d'un paysage homogène. Les 8 300 établissements ne se ressemblent pas.
Parfois distants de quelques centaines de mètres, ils sont pourtant à
des années-lumière. Certains sont très élitistes, d'autres accompagnent
les élèves en difficulté. Certains ont des pédagogies innovantes,
d'autres jouent le classicisme. Tous y font enseigner les programmes
nationaux par des enseignants payés par l'Etat qui ont passé les mêmes
épreuves de concours que les professeurs du public.
Chacun a sa petite part de liberté, autorisée par l'expression de son
"caractère propre" depuis la loi Debré de 1959. Si tous se doivent de
proposer un accompagnement de la foi, certains y ajoutent une
préparation aux sacrements et des célébrations religieuses. Mais depuis
quelques années, les enfants et leurs parents préfèrent bien souvent
l'enseignement plus scientifique des différentes religions au
catéchisme. En 2004 déjà, une enquête du Crédoc montrait que seuls 14 %
des parents choisissaient cet enseignement pour que leurs enfants y
reçoivent une éducation religieuse.
LOI DEBRÉ JUGÉE "TROP LAXISTE"
Deux millions d'enfants sont scolarisés dans un de ces établissements.
Parfois pour un an, parfois de la maternelle au bac. 40 % des élèves y
font un passage à un moment ou un autre de leurs études... "Aux yeux de
certains évêques, l'accueil de ce public, très composite et motivé par
des raisons diverses, autres que religieuses, aurait conduit l'école
catholique à se banaliser et à perdre sa vocation missionnaire au profit
d'objectifs exclusifs d'excellence scolaire", rappelle Bernard
Toulemonde, inspecteur général honoraire chargé de l'enseignement privé
entre 1982 et 1987 auprès de différents ministres.
Pour ce fin connaisseur des acteurs de l'école "catho", "cette évolution
trouverait essentiellement son origine dans la contractualisation avec
l'Etat, qui impose d'une part une ouverture à tous les enfants sans
distinction de croyances, mais aussi un alignement des enseignements et
des activités sur ce que fait l'enseignement public". Bref, hier jugée
si précieuse, la loi Debré de 1959, qui reconnaît à cet enseignement un
caractère propre en plus de sa participation à la mission de
scolarisation de la jeunesse du pays, serait devenue "trop laxiste".
A quelques mois du terme de son mandat et sachant que le secrétaire
général de l'enseignement catholique est nommé par l'assemblée des
évêques, Eric de Labarre avait-il un autre choix que de réaffirmer la
position de l'Eglise ?, se demandent certains. Même si elle est
conjoncturelle, sa lettre est une étape dans la tentative de
réévangélisation de l'école. L'étape suivante sera la réécriture des
statuts de l'enseignement catholique.
Le texte doit être présenté en juin, après avoir été avalisé par les
évêques à Lourdes au printemps. Difficile pour un lecteur non licencié
en théologie de décrypter le texte, mais plusieurs voix font déjà
entendre leur inquiétude. Un syndicat comme le Spelc estime qu'il limite
la présence des enseignants dans certaines instances de décisions et
qu'en revanche les chefs d'établissement – qui reçoivent leur lettre de
mission de l'évêque – voient leur pouvoir un peu plus assis. "L'Eglise
catholique n'a pas le droit de se servir de nous pour faire du
prosélytisme", prévient Luc Viehé, son secrétaire général.
"LA PRESSION S'ACCENTUE SUR L'ÉCOLE"
A la FEP-CFDT, Bruno Lamour affiche moins d'inquiétude. "Ce sont des
statuts. Nous restons vigilants et si on sentait une possible mise à mal
de la loi Debré qui nous inscrit à part entière comme acteur de la
mission d'enseignement, nous ferions entendre notre voix", assure-t-il.
Ce qui se joue dans les statuts, c'est la tutelle régionale des
établissements : le rectorat – comme pour les établissements publics –
ou la direction diocésaine. La réponse sera intéressante, et les
tiraillements sont déjà nombreux.
Car les avis convergent : l'épiscopat entend ne pas laisser se laïciser
encore un peu plus ce secteur, un des derniers terrains sur lequel
l'Eglise peut agir. "Qui d'autre peut porter le message catholique
aujourd'hui, quand les églises se vident ?, demande Bruno Poucet. Si on
ajoute à cela le fait que l'Eglise catholique adopte en plus une
approche plus identitaire que par le passé, on comprend pourquoi la
pression s'accentue sur l'école." Et Bernard Toulemonde d'ajouter que le
renouvellement des évêques a amené une génération plus "conservatrice"
et renforcé l'envie de "re-catholiciser" l'école, déjà pensée comme
courroie de transmission par la Nouvelle Evangélisation de Jean Paul II.
Cette reprise en main s'est d'abord manifestée localement. L'évêque
d'Avignon avait promulgué le 26 juin 2006 une Charte de l'enseignement
catholique pour son diocèse, à titre expérimental pour trois ans. Elle
prévoyait que les établissements aient une référence explicite au
Christ, faute de quoi ils perdraient agrément d'école catholique...
En 2009, c'était au tour de l'évêque de Nice d'inciter les parents qui
souhaitaient davantage de religion à ouvrir leurs propres écoles hors
contrat. Plusieurs centaines de familles ont fait ce choix.
Maryline Baumard
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17 % des élèves français dans le privé
2 millions d'élèves de la maternelle à la terminale, soit 17 % des
effectifs sont scolarisés dans le privé. Selon le secrétariat général de
l'enseignement catholique, 40 000 élèves n'auraient pas obtenu de place
à la dernière rentrée.
Les 8 300 établissements sont très inégalement répartis sur le
territoire. Quand l'ouest de la France compte jusqu'à la moitié de ses
effectifs dans le privé, l'Est n'a pas cette culture. A Paris, 40 % des
collégiens sont dans des établissements sous contrat.
Les frais moyens de scolarité demandés aux familles sont de 350 euros
annuels en primaire, de 450 en collège et de 600 en lycée, soit
2milliards au niveau national. Cette moyenne masque d'énormes
disparités. L'Etat et les collectivités y consacrent 1,7 milliard à
divers titres.
135 450 enseignants y travaillent. Ils sont payés par l'Etat, mais
signent un contrat de droit privé avec leur établissement.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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