[Laicite-info] Laïcité : en finir avec le double jeu
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 22 Jan 08:55:59 CET 2013
Laïcité : en finir avec le double jeu
Publié par :
http://www.liberation.fr/societe/2013/01/13/laicite-en-finir-avec-le-double-jeu_873667
Le : 13 janvier 2013
Par HENRI PENA-RUIZ Philosophe, écrivain, ancien membre de la commission
Stasi
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Triste sort que celui de la laïcité dans notre pays. Evoquée sur un mode
incantatoire, elle ne cesse d’être bafouée. En particulier dans le
domaine scolaire. Le secrétaire général de l’enseignement catholique,
Eric de Labarre, tente d’enrôler les élèves de ces écoles dans des
débats sur le mariage pour tous, projet émancipateur programmé par les
représentants du peuple. De qui se moque-t-on en prétendant que ces
débats ne sont pas un appel déguisé à manifester contre ce projet ? Un
enseignant de l’école publique commettant le millième de ce genre de
détournement serait vertement rappelé à la déontologie laïque. Pourquoi
donc cette hargne déguisée en «discussion civique» ? Parce que le
mariage pour tous relativise le mariage chrétien traditionnellement
hétérosexuel et tourné vers la procréation, en en faisant désormais une
option libre parmi d’autres et non plus une structure obligée. La charge
est lancée au nom de la «nature». Pourtant l’avènement d’une conception
plus universelle de la relation entre deux êtres humains, fondée sur
l’amour, le mariage pour tous, assorti de tous les droits afférents,
n’est pas moins «naturel» que le mariage patriarcal traditionnel, ni
moins équilibrant pour d’éventuels enfants adoptés ou nés grâce à
l’assistance médicale à la procréation (AMP). L’hypocrisie, en
l’occurrence, est de faire dire à la «nature» ce que la religion veut
lui faire dire. On cache ainsi le prosélytisme religieux mais cela ne
doit tromper personne. Le ministre de l’Education nationale a donc
raison de s’indigner. Mais il ne peut éviter de remonter à la cause
première de cette faute juridique enveloppée par la rhétorique
jésuitique des «débats». Et cette cause, c’est la loi Debré.
La loi du 31 décembre 1959 organise le financement public d’écoles
privées sous contrat tout en leur demandant d’observer la neutralité
dans l’enseignement des programmes nationaux. Mais la même loi leur
reconnaît un caractère propre, nom pudique et jésuitique donné à leur
orientation religieuse. En guise de neutralité de l’enseignement, c’est
en fait un pouvoir de prosélytisme financé sur fonds publics qui est
offert. Hypocrisie, duplicité, contradiction. Autant dire que cette loi
antilaïque veut marier la carpe et le lapin : la liberté de conscience
des élèves et le caractère propre des écoles. Et ce, alors que l’école
publique, laïque, ouverte à tous, souffre d’un manque de moyens qui tend
à compromettre sa mission éducative. Où est la laïcité dans tout cela ?
Et l’égalité des citoyens ? Imaginons que des libres penseurs athées
demandent de l’argent public pour financer des écoles privées dont le
caractère propre serait l’humanisme athée et la faculté de le promouvoir
avec l’argent des contribuables croyants. Ces derniers se sentiraient
trompés. «Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse…»
Pour les religieux responsables des établissements privés ainsi
financés, c’est tout bénéfice. Ils ont le beurre (la faculté de
prosélytisme auprès de la jeunesse) et l’argent du beurre (les fonds
publics payés par des contribuables athées ou agnostiques). Ces derniers
se trouvent ainsi contraints de financer la diffusion d’une foi qu’ils
ne partagent pas. L’Eglise catholique vient de montrer le peu de cas
qu’elle faisait de la laïcité. Elle a voulu freiner l’élévation du
particulier à l’universel.
Le mariage hétéro traditionnel et sa codification juridique machiste ont
été sacralisés par les trois religions du Livre quand elles ont confondu
les préjugés inspirés par un patriarcat d’un autre âge et la volonté
supposée éternelle de leurs dieux respectifs. L’irremplaçable mérite de
la laïcité est de délivrer la loi commune de la tutelle religieuse et
d’en faire un principe d’émancipation individuelle et collective, tout
en laissant chacun libre de choisir son mode d’accomplissement.
On peut mesurer l’enjeu de la laïcisation du droit pour des
émancipations sociétales décisives. Entre autres, la dépénalisation de
l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en 1975, la suppression de
la notion de «chef de famille» des livrets de mariage (1983), la
construction de formes relationnelles nouvelles comme le pacs (1999), la
pénalisation des stigmatisations homophobes (2001) et enfin l’avènement
du mariage pour tous. A rebours de ces progrès, l’Eglise se sert des
écoles qu’elle contrôle pour empêcher l’émancipation laïque. Il y a peu,
les responsables des écoles privées se sont opposés aussi à
l’enseignement laïque de la morale, qu’ils récusent au nom d’un
enseignement religieux de la morale. Que vont-ils faire dans les écoles
qu’ils contrôlent ? Seront-ils loyaux et fidèles à la République qui les
finance ? Ou ne retiendront-ils que le caractère propre pour maintenir
leur prosélytisme religieux tout en empochant l’argent public ? Monsieur
de Labarre a choisi. Mettant à profit la contradiction interne de la loi
Debré, il exacerbe leur caractère propre… Tout en se prétendant partie
prenante du service public d’éducation !
De façon très jésuitique sont choisis des éléments de langage propres à
camoufler le prosélytisme. Ainsi du détournement de l’éducation
sexuelle, définie sans équivoque dans les programmes nationaux de la
République. Pour preuve la révision prosélyte de ces programmes,
appliquée à l’ensemble du parcours scolaire : «Le projet spécifique de
l’enseignement catholique attaché à la formation intégrale de la
personne humaine, réfère l’éducation affective, relationnelle et
sexuelle à une vision chrétienne de l’anthropologie et l’inscrit dans
une éducation plus large à la relation qui concerne tout le parcours
scolaire.»
Quant à la droite cléricale, dite aussi «sociale» sans doute par goût du
paradoxe, elle contrefait la définition de la laïcité. «La laïcité,
c’est le respect de toutes les religions», dit Laurent Wauquiez (le
Figaro du 6 janvier). Trois erreurs en une formule. D’abord? Le respect
porte non sur les religions mais sur la liberté de croire, qui
n’implique nullement que les croyances et les opinions soient en
elles-mêmes respectables. Je ne respecte ni la croyance raciste ni une
religion qui brûle les hérétiques ou proclame l’infériorité de la femme.
Ensuite, si respect il doit y avoir, il ne saurait se réduire à la
liberté de croyance religieuse. La liberté de se choisir athée ou
agnostique, ou de n’avoir aucune croyance, est tout aussi respectable,
sauf à faire des discriminations. Enfin, la laïcité n’est pas qu’une
attitude : elle se définit comme cadre juridique du vivre ensemble fondé
sur des principes de droit universels et non sur un particularisme
religieux. Liberté de conscience et autonomie de jugement, égalité de
droit, sens du bien commun à tous : tel est le triptyque fondateur d’un
idéal plus actuel que jamais. Il est temps que la gauche laïque ose
enfin être elle-même.
Auteur de : «Dieu et Marianne. Philosophie de la laïcité», PUF et de
«Marx quand même», Plon.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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