[Laicite-info] Après les attentats, l’école exalte la laïcité

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 10 Déc 09:57:28 CET 2015


Après les attentats, l’école exalte la laïcité

Publié par : LE MONDE
Le : 09.12.2015
Par Aurélie Collas

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Les établissements scolaires devaient célébrer, mercredi 9 décembre, une 
Journée de la laïcité. Cette journée – calée sur le jour anniversaire du 
vote de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat en 1905 – 
s’inscrit dans la « grande mobilisation de l’école pour les valeurs de 
la République » décrétée par François Hollande après les attentats de 
janvier contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. A l’époque, l’école 
avait été mise en accusation. Des élèves avaient contesté la minute de 
silence (l’éducation nationale avait recensé 200 cas).

Dix mois plus tard, la minute de silence a été respectée partout. Du 
lundi 16 novembre – premier jour de classe après les attentats de Paris 
–, on gardera le souvenir d’élèves choqués, dans la peine autant que 
dans la peur, recueillis, interrogateurs. Personne, cette fois, n’a 
pointé du doigt l’école. En janvier, branle-bas de combat. En novembre, 
silence radio. Comme s’il ne s’agissait pas de la même école.

Pas sûr, pourtant, qu’une journée de célébration et l’arsenal déployé 
par l’éducation nationale suffisent à gommer les malentendus mis en 
lumière par les polémiques de janvier. Et que le « modèle » de la 
laïcité promu aujourd’hui par les autorités fasse l’unanimité, notamment 
dans certains quartiers les plus touchés par la relégation sociale et la 
stigmatisation des musulmans.

Le climat a changé

En janvier, ceux qui avaient osé dire « Je ne suis pas Charlie » parce 
que les caricatures de l’hebdomadaire leur semblaient irrespectueuses de 
la religion musulmane étaient stigmatisés comme symboles de prétendus « 
territoires perdus de la République ». Et la contestation d’une liberté 
d’expression à géométrie variable, car incapable d’entendre des voix 
discordantes, était suspectée. « On a laissé passer trop de choses dans 
l’école », avait martelé le premier ministre, Manuel Valls. Les 
projecteurs braqués sur les quartiers populaires, la petite musique 
après les attentats accréditait l’idée d’une école en faillite, 
incapable de défendre la laïcité et les valeurs républicaines, 
impuissante face au supposé repli communautaire.

Pour marquer le coup auprès de l’opinion, François Hollande avait 
annoncé, le 21 janvier, onze mesures largement centrées sur la laïcité : 
nouvel enseignement moral et civique (dont l’application était en 
réalité déjà prévue pour la rentrée 2015), commémorations patriotiques, 
réserve citoyenne, prévention de la radicalisation… Le ton était ferme : 
« Aucun incident ne sera laissé sans suite », avait prévenu le 
président. « Il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des 
élèves. Nous avons tous entendu les “oui, je soutiens Charlie, mais”… 
(…) Ces questions nous sont insupportables », déclarait sa ministre de 
l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. Dans un climat frôlant 
l’hystérie, des enfants ont même été envoyés au commissariat pour 
soupçons d’apologie du terrorisme.

Dix mois sont passés et le climat a changé. Après les attentats de 
Charlie Hebdo, « la distance dominait chez les élèves, parce que les 
caricatures leur semblaient blasphématoires, se souvient Isabelle 
Bailleul, professeure dans un lycée du Havre. Dans les débats, il y 
avait ce fossé entre “eux” – les non-musulmans, Charlie Hebdo –, et 
“nous”, les musulmans ». Le 13 novembre, la compassion à l’égard des 
victimes, l’identification à la jeunesse du Bataclan, l’égalité devant 
la mort, a « fait muter cette coupure entre “eux” et “nous”, observe Mme 
Bailleul. La défiance n’était plus de mise. »

Etait-il judicieux, en janvier, d’imposer la liberté d’expression façon 
Charlie Hebdo tout en blâmant les élèves qui s’exprimaient en émettant 
des doutes, des interrogations ? De brandir la laïcité, les valeurs du 
vivre ensemble, dans des territoires où précisément le « vivre ensemble 
» n’existe pas pour cause d’« apartheid » dénoncé par Manuel Valls 
lui-même, et sans tenir compte du sentiment de discrimination et de 
relégation des élèves ?

Reconnaître les discriminations

« Il y a eu, dans l’urgence, cette injonction de se conformer aux 
valeurs au lieu de les faire vivre, de les éprouver, observe Laurence de 
Cock, professeure d’histoire à Paris et membre du collectif 
Aggiornamento. Or, dans les quartiers où il n’y a pas de mixité, si on 
évoque le vivre ensemble, la cohabitation des différences…, on parle de 
choses que les élèves ne voient pas ; on est dans un discours hors sol 
par rapport à ce qu’ils vivent. Cela conduit même à les reléguer 
davantage, puisque ces principes ne les concernent pas. »

« Je crains que la leçon de “laïcité”, enseignée comme toute autre 
matière scolaire, ne soit vécue comme une hypocrisie, renchérit le 
sociologue François Dubet. On va demander aux élèves d’adhérer à des 
principes – respect de tous, absence de discriminations, égalité de 
traitement – qui chez eux, ne s’appliquent pas, à une laïcité qui joue 
contre eux. » Ce sentiment s’appuie sur une réalité politique. La 
conception de la laïcité inscrite dans la loi de 1905 assure la 
neutralité de la seule puissance publique. La conception qui s’impose 
aujourd’hui – défendue par une grande partie des responsables politiques 
– étend cette neutralité à la société tout entière. Avec dans le viseur, 
les musulmans. « Pour une majorité d’élèves, la laïcité est une notion 
qui évoque des restrictions, des interdits, voire des vexations, 
témoigne Stéphane Rio, enseignant à Marseille. Elle est interprétée 
comme : “L’école n’accepte pas que l’on ait une religion.” Ils ont le 
sentiment d’être rejetés à la périphérie, en raison de leur origine et 
de leur religion. »

Il faut alors partir de ce que vivent les élèves. « D’abord, je leur 
demande ce qu’est pour eux la laïcité. Et là, chacun y va de son 
anecdote – discriminations, insultes, agressions parce qu’on se promène 
avec le voile… », témoigne Benjamin Marol, professeur dans un collège de 
Montreuil (Seine-Saint-Denis). « J’en viens alors à expliquer pourquoi 
en France, il y a une crispation sur l’islam, pourquoi la neutralité 
s’étend à l’espace public. Ce que je veux qu’ils retiennent, c’est que 
la laïcité n’est pas liberticide et coercitive, mais au contraire un 
idéal d’ouverture à l’autre. »

Au Havre, Isabelle Bailleul veut croire que les attentats du 13 novembre 
peuvent changer la donne. Ces trois dernières semaines, « parler du 
vivre ensemble est devenu plus aisé, observe-t-elle. Il faut accompagner 
cette prise de conscience des élèves ». Pour peu, précise-t-elle, que 
l’enseignement de la laïcité ne soit pas « imposé comme un embrigadement 
», mais comme « une véritable démarche intellectuelle » sur laquelle les 
élèves doivent réfléchir. Pour peu, aussi, qu’on reconnaisse les 
discriminations et que ces jeunes entendent ainsi un discours de vérité.


     Aurélie Collas
     Journaliste au Monde

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Denis Lebioda
Chargé de mission
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