[Laicite-info] Religion, laïcité, spiritualité : quelle place pour les athées dans le débat actuel ?

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Lun 26 Jan 09:34:57 CET 2015


Religion, laïcité, spiritualité : quelle place pour les athées dans le 
débat actuel ?

Par : André Comte-Sponville
Propos recueillis par : Tatiana Lissitzky
Publié par : http://www.francetvinfo.fr
Le :  25/01/2015

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Depuis les attaques qui ont endeuillé la France début janvier, les 
questions religieuses et le débat sur la laïcité occupent le devant de 
la scène. Comment se positionner lorsque l'on est athée ? Francetv info 
a interrogé le philosophe André Comte-Sponville.



Liberté d'expression, droit au blasphème et respect des croyances... Les 
attaques terroristes et les cas de perturbations de la minute de silence 
dans les établissements scolaires par des élèves ont soulevé beaucoup de 
questions sur la laïcité. Elles ont ravivé les débats autour de la place 
de la religion dans la société française.

Mais dans un pays qui compte près de 30% d'incroyants, comment se 
positionner lorsque l'on est athée ? Et comment vivre son athéisme ? 
Reste-t-il une place pour la spiritualité lorsque l'on ne croit pas en 
Dieu ? Francetv info a interrogé le philosophe André Comte-Sponville, 
auteur de L’Esprit de l’athéisme (éd. Albin Michel, 2006) et Du tragique 
au matérialisme (et retour) (éd. PUF, 2015).

Francetv info : "Quand on est athée, on a aussi des convictions", a 
rappelé le dessinateur Riss, blessé lors de l’attaque contre Charlie 
Hebdo. Etre athée n’est pas seulement la négation de Dieu, c’est donc 
aussi l’affirmation de convictions ?

André Comte-Sponville : Bien sûr. L’athéisme, c’est avant tout être 
convaincu que Dieu n’existe pas, mais les athées ont d’autres 
convictions que leur seul athéisme.

L’athéisme n’est ni une philosophie, ni une religion. Certains athées 
sont humanistes. D’autres non. Certains sont de droite, d'autres de 
gauche... Les athées n’ont, par principe, pas à être d’accord entre eux 
sur des convictions positives. Alors que les chrétiens sont d'accord sur 
les dogmes du christianisme et les musulmans sur les grandes bases de 
l'islam, la seule chose qui unisse les athées, c’est cette conviction 
purement négative de ne croire en aucun Dieu.

La question de la laïcité est devenue centrale dans le débat après les 
attentats. La notion d’athéisme rejoint-elle celle de laïcité ?

L’athéisme et la laïcité sont deux choses totalement différentes. C’est 
justement parce que la République française est laïque qu’elle n’est pas 
athée. La laïcité est un type d’organisation de la cité, de la société. 
Elle interdit à l’Etat de prendre position en matière religieuse.

Un état est laïque quand l’Etat et les Eglises sont séparés, que l’Etat 
ne prétend pas régenter les Eglises et que les Eglises ne prétendent pas 
gouverner l’Etat. Un Etat laïque garantit le droit d’avoir la religion 
que l’on veut, le droit de n’avoir aucune religion ou de changer de 
religion.

Pour essayer de lutter contre les amalgames, promouvoir à nouveau la 
laïcité, et surtout contrer les réactions hostiles aux hommages, 
constatées dans de nombreux établissements scolaires, le gouvernement a 
annoncé qu’il allait instaurer des enseignements moraux et laïcs. 
Pensez-vous que cela peut permettre de lutter contre les communautarismes ?

Apprenons déjà aux enfants à lire et à écrire correctement. Il est plus 
important qu’un élève du lycée arrive à lire Pascal, Spinoza, Montaigne 
ou Descartes, plutôt qu’il reçoive des cours sur le fait religieux ou la 
morale laïque. L’école est là pour transmettre, pour donner accès à la 
culture. Le problème, c’est qu’elle y arrive de moins en moins. Mieux 
vaut faire de la philosophie que compter sur deux heures de cours mal 
bricolés de morale ou de fait religieux. Ce n’est pas un cours de morale 
laïque qui remplacera la lecture des chefs-d’œuvre passés. Il faut 
donner aux enfants une formation intellectuelle, de telle sorte qu’ils 
puissent former leur propre jugement. La morale n’est pas de l’ordre du 
savoir, elle ne s’apprend pas comme l’on apprend combien font deux plus 
deux.

Ceux qui pensent qu’il suffit d’ajouter quelques heures d’éducation 
morale ou civique pour faire reculer les tentations communautaristes 
dans notre pays se racontent des histoires. Arrêtons de demander 
perpétuellement à l’école de régler les problèmes de la société.

Pensez-vous, comme l’a dit Michel Houellebecq, qu’avec le retour du 
religieux, la laïcité et l'athéisme sont morts en France ?

Michel Houellebecq a tort de penser qu’il y a un retour massif du 
religieux et que c’est la fin de la laïcité. Il perçoit un processus de 
retour à la spiritualité, mais l'analyse mal. Ce que l’on appelle le 
retour du religieux est en réalité un retour à une spiritualité plus 
revendiquée, plus affirmée voire parfois plus spectaculaire, comme c’est 
le cas pour certains mouvements islamistes radicaux. Mais l’intégrisme 
catholique n’est pas en reste. Nous avons pu le constater lors des 
manifestations contre le mariage pour tous, où certains groupes 
catholiques réactionnaires ont retrouvé un peu de visibilité.

Arrêtons de faire comme si l’athéisme était menacé. Ce n’est pas vrai. 
Il suffit de se rendre dans une église catholique un dimanche matin pour 
constater qu’elle est aux trois quarts vide et que la moyenne d’âge est 
de 70 ans. En ce qui concerne les musulmans, leur nombre progresse, 
effectivement. Mais c'est essentiellement du fait de l’immigration et de 
la démographie et non pas des conversions.

En revanche, contrairement à ce que l’on pense, l’athéisme ne cesse de 
se développer partout dans le monde. Aux Etats-Unis, où il était encore 
extrêmement minoritaire il y a quelques années, la parole des athées 
s’est largement libérée. En quinze ans, le nombre d’athées a été 
multiplié par quatre.

Comment peut-on se positionner en tant qu’athée dans une société où les 
débats autour de la religion sont omniprésents ?

C’est une raison de plus pour se battre et affirmer nos convictions 
d'athées. Les événements montrent que le débat porte moins sur la 
religion que sur la question de la liberté d’expression et du fanatisme. 
Il faut combattre le fanatisme, combattre ces gens qui veulent imposer 
par la violence quelque chose qui n’est finalement qu’une opinion.

"C’est mettre ses conjectures à bien haut prix, que d’en faire cuire un 
homme tout vif", disait déjà Montaigne au XVIe siècle. A l'époque 
personne ne savait, non plus, ce qu’il en était du vrai Dieu, mais les 
hérétiques étaient brûlés au nom de "conjectures", c’est-à-dire au nom 
d’opinions parfaitement incertaines. Ce qui valait du temps de Montaigne 
contre l’Inquisition catholique vaut aujourd’hui contre le fanatisme 
islamiste. Nous devons nous mobiliser contre tous les fanatismes, contre 
tous ceux qui prétendent limiter notre liberté de ne pas croire, 
d’exprimer notre incroyance, voire de blasphémer. Le débat n’est pas 
l’existence ou non de Dieu. Le débat, c’est la liberté contre le fanatisme.

Beaucoup considèrent que la religion répond à leur besoin de 
spiritualité. Existe-t-il une place pour la spiritualité lorsque l’on 
est athée ?

Oui, il existe une spiritualité sans Dieu. La spiritualité, c’est la vie 
de l’esprit. Les athées n’ont pas moins d’esprit que les autres et 
s'intéressent tout autant à la vie spirituelle. Nous sommes tellement 
habitués depuis vingt siècles d’Occident chrétien à ce que la seule 
spiritualité socialement disponible soit une religion, que l'on a fini 
par croire que ces deux mots, religion et spiritualité, sont synonymes, 
et que de parler d’une spiritualité sans Dieu est contradictoire dans 
les termes. C'est faux.

La religion est une certaine espèce de spiritualité, mais il y a 
d’autres spiritualités non religieuses. Il suffit de regarder du côté de 
la Grèce antique avec le stoïcisme ou l’épicurisme, ou du côté de 
l'Orient, du bouddhisme, du taoïsme ou du confucianisme pour découvrir 
qu’il a existé et qu’il existe encore d’immenses spiritualités qui ne 
sont en rien des religions ou des croyances en Dieu.

Devient-on athée seulement par rejet de la religion ?

On devient athée lorsque l’on trouve que les arguments allant dans le 
sens de l’athéisme sont plus forts que les arguments allant dans le sens 
du théisme. J’étais moi-même un chrétien sincère, fervent et pratiquant, 
jusqu’à l’âge de 17 ans, puis j’ai perdu la foi.

Je me définis comme un athée non dogmatique, et fidèle. Athée parce que 
je ne crois en aucun dieu. Athée non dogmatique parce que je reconnais 
que mon athéisme n’est pas un savoir, c’est une croyance, une 
conviction, une opinion. En réalité, personne ne sait si Dieu existe ou 
non, et c’est justement parce que nous ne savons pas que la question se 
pose d’y croire ou non. Si vous rencontrez quelqu’un qui vous dit "je 
sais que Dieu n’existe pas", ce n’est pas un athée, c’est un imbécile. 
De la même façon, celui qui vous dit "je sais que Dieu existe" est un 
imbécile qui a la foi.

Enfin, je me revendique comme athée fidèle, parce que je reste attaché à 
une série de valeurs morales, culturelles et spirituelles qui sont nées 
pour la plupart dans les trois grandes religions monothéistes et qui se 
sont transmises pendant des siècles par la religion. Rien ne prouve que 
ces valeurs humaines aient besoin d’un dieu pour subsister, mais tout 
prouve que nous avons besoin de ces valeurs pour subsister d’une façon 
qui nous paraisse humainement acceptable. Ce n’est pas parce que je suis 
athée que je vais renier 3 000 ans de civilisation judéo-chrétienne ou 
refuser de voir la grandeur du message humain des évangiles.

Croire en Dieu apparaît rassurant sur de nombreuses questions, telles 
que la mort ou le sens de la vie. Est-ce difficile d’être athée ?

Dans un premier temps, il peut sembler que oui. La vie apparaît plus 
facile si nous pensons qu’un dieu d’amour veille sur nous, que nous 
irons tous au paradis et que nous retrouverons les êtres chers qu’on a 
perdus. L’athéisme amène effectivement à affronter le tragique, à la 
prise en compte inconsolée de ce qu’il y a d’effrayant, de décevant et 
de désespérant dans la condition humaine.

Mais ce n’est pas une raison pour cesser d’aimer la vie. Au contraire, 
c’est parce que la vie aura une fin, et que c’est la seule vie qui nous 
soit donnée, qu’il importe de la vivre le plus intensément et le plus 
joyeusement possible. Camus disait : "On ne peut penser l’absurde (ou le 
tragique) sans rêver d’écrire un traité du bonheur."

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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