[Laicite-info] Jean Baubérot > Adopter des politiques incantatoires est inutile
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 29 Jan 16:14:38 CET 2015
Jean Baubérot > Adopter des politiques incantatoires est inutile
Publié par : LE MONDE
Le : 29.01.2015
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Prenant le relais du président François Hollande, annonçant l’« acte II
» de la refondation de l’école, la ministre de l’éducation nationale,
Najat Vallaud-Belkacem, a indiqué, jeudi 22 janvier, un ensemble de
mesures en réponse aux tragiques attentats des 7, 8 et 9 janvier. Au
cœur de ces dispositions, on trouve la laïcité dont les deux finalités
principales, la liberté de conscience et le principe de
non-discrimination, ont été ciblées par les terroristes.
Cependant, on ne peut qu’être frappé par le déséquilibre entre ce qui
concerne les élèves et leurs parents, où les projets sont précis,
exécutoires dans le court terme, et le flou de ce qui se rapporte aux
dysfonctionnements de l’institution elle-même. Là, il semble urgent
d’attendre. Il est proposé d’établir un état des lieux de la mixité
sociale comme si les maux n’étaient pas déjà connus et si maints
spécialistes n’avaient pas, depuis longtemps, proposé des solutions.
Plusieurs propositions comportent le risque d’entraîner la laïcité vers
une religion civique, à laquelle élèves et parents devraient faire
allégeance. Ainsi, les familles devront signer la charte de la laïcité.
Son article 4 énonce : « La laïcité permet l’exercice de la citoyenneté
en conciliant la liberté de chacun avec l’égalité et la fraternité de
tous dans le souci de l’intérêt général. » Et l’article 5 précise : « La
République assure dans les établissements scolaires le respect de chacun
de ces principes. » Or ladite République consacre plus d’argent à
l’instruction d’un élève d’un milieu favorisé qu’à celle d’un élève d’un
milieu défavorisé. Pour chacun des articles de cette charte, il serait
souhaitable de le compléter par un volet critique du fonctionnement de
l’institution scolaire.
Enseignement laïque de la laïcité
Enseigner plus fortement la laïcité correspond au souhait que je formule
depuis des années. Mais il faut qu’il s’agisse d’un enseignement laïque
de la laïcité (comme on parle d’« enseignement laïque du fait religieux
», à développer également à l’école). Qu’est-ce à dire ? Qu’un tel
enseignement doit se fonder sur une démarche de connaissance.
Ainsi, apprendra-t-on aux élèves que la France a été le seul pays
démocratique où a existé un siècle d’écart entre l’instauration du
suffrage masculin (1848) et le suffrage universel (1944) ? Or c’est en
invoquant la laïcité que des parlementaires ont régulièrement refusé
d’accorder la citoyenneté politique aux femmes, considérées comme «
soumises » au clergé. Un silence sur ce point serait très significatif.
Second exemple : le Conseil d’Etat a indiqué, lors du centenaire en
2005, que la loi de séparation des Eglises et de l’Etat se situait dans
la filiation du philosophe britannique John Locke. Sans cette influence,
on comprend mal l’orientation philosophiquement très libérale de la loi
de 1905. Or cette loi est très souvent rattachée aux seules Lumières
françaises, plutôt adeptes du gallicanisme, quand ce n’est pas à une
tradition jacobine dont les juristes ont montré qu’elle s’écarte
notablement.
Là encore, l’orientation adoptée dans l’enseignement de la laïcité sera
un test décisif. Va-t-on privilégier une vision étroitement nationale ou
montrer que la laïcité française s’est construite en profitant de
plusieurs expériences ?
La commission Langevin-Wallon de… 1947
Il serait possible de multiplier les exemples. Si elle veut être
véritablement laïque, l’institution scolaire doit réfléchir de façon
critique à son propre fonctionnement. Depuis des décennies, on déplore
que les jeunes enseignants, juste après leurs diplômes, se retrouvent
dans les établissements les plus difficiles. Sans grand résultat. On
souhaite davantage d’implication des parents, mais sans abolir
véritablement la circulaire Chatel, qui exclut des mères de famille
portant le foulard des sorties scolaires.
Pourtant, paradoxe, la mère du soldat tué par Mohamed Merah, Latifa Ibn
Ziaten, donne actuellement beaucoup d’interventions dans les écoles sur
la citoyenneté en portant un foulard. Suivant son exemple, d’autres
mères de famille, qui souhaitent s’impliquer dans l’école, pourraient
être sollicitées.
Certaines propositions de la ministre rappellent le projet de la
commission Langevin-Wallon de… 1947 (le « groupe scolaire à structure
démocratique auquel l’enfant participe comme futur citoyen »). Il n’est
jamais trop tard pour bien faire, mais l’éducation nationale applique
trop souvent la phrase du roman Le Guépard, de Giuseppe Tomasi di
Lampedusa : que « tout change pour que rien ne change » !
On comprend facilement que les événements récents aient renforcé un
besoin de communion, mais attention de ne pas sacraliser un
être-ensemble collectif, dont certains (élèves et parents) ressentiront
d’autant plus durement qu’ils en sont plus ou moins exclus. On ne peut
demander le respect de principes républicains sans poser, dans le même
mouvement, la question de leurs interprétations et de leurs
concrétisations. Sinon, on transforme, comme le craignait déjà Jules
Ferry, la laïcité en « religion laïque »… et on continue d’envoyer les
enseignants au casse-pipe !
Jean Baubérot, historien et sociologue, a fondé et dirigé le Groupe
sociétés, religions, laïcités (CNRS-EPHE). Il est l’auteur de La Laïcité
falsifiée, La Découverte Poche, 2014.
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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