[Laicite-info] Danièle Sallenave : Les religions n’ont pas leur place dans les établissements scolaires

Denis Lebioda denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 29 Jan 17:42:49 CET 2015


Danièle Sallenave : Les religions n’ont pas leur place dans les 
établissements scolaires

Publié par : Le Monde.fr
Le : 29.01.2015
Par Danièle Sallenave (Ecrivain et membre de l’Académie française)

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On n’en finit plus de s’interroger sur le comportement de ces élèves 
qui, dans quelques écoles de quartiers, de cités, de banlieue, ont 
refusé de s’associer à la minute de silence décrétée après les affreux 
massacres perpétrés à Charlie Hebdo et dans une épicerie casher. L’école 
est sommée de répondre. Mais répondre à quoi, et comment ?

Comme les assassins, ces enfants sont la plupart du temps d’origine ou 
de confession musulmane. Pointer les rattachements ethniques et 
religieux de ces élèves dissidents comme la cause unique ou essentielle 
de leur comportement présente de graves dangers. D’abord parce que c’est 
évacuer toutes les autres explications.

En particulier le sentiment explicite ou diffus d’exclusion, justifié ou 
non, qu’éprouvent des jeunes qui se sentent promis au chômage et à la 
discrimination du fait de leur naissance. N’en déplaise à ceux pour qui 
le recours à l’explication sociale et économique est tout simplement un 
refus de la responsabilité individuelle.

Les politiques successives de la ville ont, dans les « quartiers », 
réhabilité des logements, aménagé les transports, parfois bien mieux que 
dans des zones de la France périphérique qui en conçoit du ressentiment. 
Cela n’a pas toujours suffi : ce sont toujours des lieux « séparés ». 
Car multiples sont les facteurs d’un sentiment d’exclusion.

Sans doute certains utilisent-ils ou instrumentalisent-ils des mémoires 
antagoniques de la colonisation ; le passé colonial n’en est pas moins « 
un passé qui ne passe pas ». Et il est vrai aussi que ces jeunes sont 
indirectement touchés par le pourrissement de situations qui se 
dégradent chaque jour au Moyen-Orient, et par le sentiment d’humiliation 
que causent dans le monde arabe les divers modes de l’actuelle 
intervention occidentale contre le terrorisme.
Identité qui se dérobe

Le rattachement religieux est alors tout ce qui reste d’une identité qui 
se dérobe. Est-il raisonnable d’en profiter cependant pour grossir le 
trait, comme lors des émeutes de 2005, et agiter le spectre d’un choc de 
civilisations entre la République et ses « territoires perdus » ? Au 
reste, si vraiment la religion était à l’origine de ces rébellions à 
l’école, suffirait-il pour ramener la paix d’y faire venir des 
représentants des « religions du Livre », donnant le spectacle de leur 
supposée fraternité ? Cela ne ferait que réaffirmer l’assignation de 
chacun à ses origines et rendrait plus incertaine encore la place des 
enfants de familles agnostiques ou athées.

De même si l’on décidait de confier l’enseignement du fait religieux à 
des prêtres de toutes obédiences : qu’au moins on en donne la charge aux 
professeurs, et plutôt à l’occasion des cours de français ou d’histoire…

Il faudrait bien plutôt opérer un changement d’orientation radical, 
comme du reste le propose le président de la République en rappelant que 
« les religions n’avaient pas leur place à l’école ». Définition claire 
et sans équivoque de ce qu’est l’école « laïque », et qui lui permet 
d’être l’école de tous : une école qui tient les religions à distance.

« Laïcité » signifie en effet deux choses différentes selon qu’on 
l’applique à la sphère publique ou à l’école. Dans la sphère publique, 
la laïcité, c’est pour tous les citoyens le droit d’avoir une religion 
ou de n’en pas avoir, de le manifester sans crainte, et le devoir de se 
respecter entre eux dans une tolérance réciproque. Mais à l’école, ce 
qui doit régner, c’est la réserve à l’endroit des questions religieuses, 
le « suspens » des affiliations durant les quelques heures par jour qui 
doivent être consacrées aux apprentissages scolaires.
Sérénité des apprentissages

Pourquoi ? Parce qu’on a affaire à des enfants et à des adolescents chez 
qui l’affirmation d’un rattachement religieux n’est pas forcément un 
choix propre, personnel, raisonné, mais en règle générale la conséquence 
d’un choix familial. Toute attaque (ou supposée telle) envers « sa » 
religion est d’abord vécue par lui comme une attaque envers sa famille. 
Ensuite parce que l’affirmation entre les murs de l’école d’un 
rattachement religieux (ou politique) n’est pas compatible avec la 
sérénité des apprentissages.

La laïcité, à l’école, c’est toute la place à l’instruction, et rien 
qu’à l’instruction. A l’école, c’est la laïcité qui, même aujourd’hui où 
l’école se veut « ouverte à la vie », doit dessiner le périmètre 
protégeant les enfants et les adolescents de tout ce qui viendrait 
parasiter leur attention (et cela vaut aussi pour les téléphones portables).

Et il y a plus : en arrachant momentanément l’enfant, l’adolescent, aux 
rattachements religieux ou politiques de sa famille, de son groupe, de 
son quartier, pour le ramener vers les objets de l’instruction, l’école 
l’arrache à sa condition « d’enfant » pour en faire un élève : comme 
disait Alain, « quelqu’un qui veut qu’on l’élève ». Utopie ? Peut-être.

Mais c’est cette utopie qui doit régler l’action de l’école, et la 
concentrer sur ses objets propres et ses missions spécifiques : l’étude 
de la langue, des mathématiques, des sciences, de l’histoire. Sous la 
direction de professeurs qui guident l’élève dans le maquis des 
ressources numériques, et lui apprennent la distance et l’esprit 
critique face à tous les mirages auxquels on peut se prendre.
Retour à l’esprit des Lumières

Face aux dérives fanatiques qui menacent les croyances ou les adhésions 
sans recul, il y a pour s’en prémunir toute la gamme des grands textes, 
notamment ceux des philosophes des Lumières. Oui, ce dont nous avons le 
plus urgent besoin, c’est un retour à l’esprit des Lumières, toujours 
vivace malgré les cruels démentis de l’histoire, et à une formation 
raisonnée aux exercices de la raison.

François Jacob, qui, il y a juste cinquante ans, recevait pour ses 
travaux le prix Nobel de médecine, avait vu juste quand il écrivait en 
1987 : « Les Lumières et le XIXe siècle eurent la folie de penser que la 
raison n’était pas seulement nécessaire, mais aussi suffisante pour 
résoudre tous les problèmes. Aujourd’hui, il serait plus fou encore de 
décider, comme certains le voudraient, que sous prétexte qu’elle n’est 
pas suffisante, elle n’est pas non plus nécessaire. »

     Danièle Sallenave (Ecrivain et membre de l’Académie française)


En savoir plus sur 
http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/01/29/les-religions-n-ont-pas-leur-place-dans-les-etablissements-scolaires_4566383_3232.html#plG6vFskmf2WK1Cx.99

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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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