[Laicite-info] Les 7 laïcités françaises de Jean Baubérot
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 4 Juin 08:51:42 CEST 2015
Les 7 laïcités françaises de Jean Baubérot
Publié par : http://www.wukali.com
Le : 02/06/15
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Un livre remarquable et bien utile en ces temps de confusion
S’il y a actuellement un concept qui est particulièrement galvaudé au
niveau politique et social, c’est bien celui de laïcité. Il suffit
d’entendre débattre deux partisans de la laïcité pour vite ne plus rien
comprendre tant on a l’impression qu’ils ne parlent pas du tout de la
même chose, et pourtant, tout deux se revendiquent mordicus comme étant
de vrais laïcs. Il suffit de s’intéresser à ce qui se passe ailleurs que
dans notre petit et étroit hexagone pour comprendre que de nombreux
états de par le monde se disent laïques, mais ont pourtant des
politiques vis-à-vis de la ou les religions qui ne seraient pas de mise
chez nous, au nom justement de la laïcité. On pense à des pays comme la
Turquie, la Syrie, voire la Russie ou Israël.
De fait, il y a bien une spécificité quant à la laïcité en France. Mais
de fait, ce concept est si multiforme que sa concrétisation au niveau
des normes sociales est très différente suivant la définition qu’on lui
donne. Tout comme les détracteurs de la « laïcité à la française », chez
nous ou à l‘étranger, surtout aux États Unis d’Amérique, ne s’appuient
que sur l’aspect du concept qui les aident à leur démonstration en
oubliant consciencieusement les autres aspects qui peuvent moduler ou
tout le moins atténuer leurs jugements.
La laïcité est un concept avant tout idéologique qui est assez malléable
pour lui faire dire ce que l’on veut, et qui suivant la définition qu’on
lui donne implique de vraies orientations politiques dans l’organisation
de la société. La laïcité défendue par l’extrême-droite n’est pas la
même que celle défendue par Jean Zay, et pourtant il s’agit du même
terme, du même concept sauf que son contenu est différent et pas si
antithétique que cela ne le laisse présager.
Le sociologue Jean Baubérot fait œuvre d’utilité publique en commettant
un petit livre, facile à lire et à comprendre (à peine 173 pages en
comptant la bibliographie particulièrement riche) : Les 7 laïcités à la
française paru aux éditions de la maison des sciences de l’homme dans
lequel il met en perspective au vu de l’histoire l’évolution de ce
concept qui, selon lui, se décline en 7 familles. Sa démonstration fait
comprendre pourquoi deux « laïcards » ne peuvent se comprendre s’ils ne
font pas partie de la même famille.
Jean Baubérot a le mérite de montrer que dès les débats parlementaires
de 1905 ce ne sont pas moins que quatre conceptions de la laïcité qui se
sont affrontées, conceptions toujours vivantes aujourd’hui.
La première, minoritaire, est la laïcité antireligieuse. N’oublions pas
que le « petit père Combes (qui n’était plus Président du conseil quand
la Loi de séparation des églises et de l’état fut votée) avait une
conception « extrémiste » de la laïcité, surtout en ce qui concerne le
port de la soutane : ce vêtement, pour lui et ses amis, empêchait de
penser librement, marquait la soumission et le manque de libre arbitre
des prêtres, elle leur était imposée, et en plus elle portait atteinte à
la dignité masculine car elle pouvait être perçue comme une robe. Si on
change soutane par voile ou bourkha, on retrouve, presque à la virgule
près certains poncifs que nous assènent les médias à longueur de
journée. Actuellement les défendeurs, minoritaires, de cette conception
se trouvent à la gauche extrême, son défenseur le plus médiatique n’est
autre que Michel Onfray pour qui « l’engagement athée et la laïcité est
un tout » Ce courant fait rimer laïcité et athéisme. Jusqu’à dire qu’il
faut détruire le portail des cathédrales car montrant des scènes
religieuses visibles depuis la voie publique, il n’y a qu’un pas. Depuis
la mort du fort peu regretté Enver Hodja, il n’y a plus que la Corée du
Nord qui impose cette vision à son peuple.
La seconde conception est la laïcité gallicane. Elle est la conséquence
de mille ans de rapports entre la France et la papauté (n’oublions pas
que le Président de la République est le seul chef d’état au monde qui a
encore le pouvoir de nomination d’évêques (deux en fait : celui de Metz
et celui de Strasbourg) dans son pays). Pour ses partisans, il est de la
responsabilité de l’état de contrôler les religions et la théologie
enseignés, dispensés dans un cadre défini par les pouvoirs publics. Au
nom de la neutralité dans l’espace public, on porte atteinte à la
liberté de conscience. C’est en filigrane la conception des défenseurs
d’un « islam à la française ».
La troisième et la quatrième conceptions défendent une laïcité
séparatiste. Il y a les séparatistes stricts, comme la fédération de la
libre pensée, position défendue en 1905 par le protestant Ferdinand
Buisson, qui, au nom de la liberté individuelle, donne aux croyants la
possibilité de s’organiser en association cultuelle totalement
indépendantes des pouvoirs publics. Ils sont, bien sûr, opposés au
financement public du traitement des enseignants du secteur privé sous
contrat, mais aussi contre toute idée d’une loi sur le port du voile
dans les crèches ou dans les universités.
Il faut les différencier des séparatistes pragmatiques, de ceux qui avec
Aristide Briand et Jean Jaurès ont fait voter la loi de 1905, et c’est à
cette laïcité que logiquement on doit faire référence quand on parle des
spécificités de la laïcité française. Pour eux, la liberté religieuse
est totale, et l’état ne doit s’occuper strictement de rien dans ce qui
relève du domaine religieux. Les associations cultuelles doivent en
quelque sorte préexister à ses membres et doivent pour exister seulement
se conformer aux règles générales du culte dont elles se proposent d’en
assurer l’exercice. Les pouvoirs publics s’interdisent totalement de
immiscer dans les définitions de ces règles. Quand elle reste dans le
domaine qui est le sien, les religions et ses membres ont exactement les
mêmes droits d’expression dans le domaine public que les personnes qui
n’en sont pas membres. On reconnaît aux cultes un rôle dans la société
qui n’est ni plus ni moins important que les autres groupes ou
mouvements philosophiques, politiques sociales. En revanche comme l’État
reste neutre pour les problèmes internes à chaque culte, ceux-ci, ainsi
que les croyants doivent rester neutres quant à l’organisation de
pouvoirs publics (une religion, par exemple, ne peut demander le report
d’examens pour ses fidèles au nom d’un principe religieux).
Mais depuis 1905, 3 nouvelles conceptions de la laïcité ont vu le jour
dans la société française.
La laïcité ouverte, défendue par les représentants des principaux
cultes. Elle prône la reconnaissance de l’utilité publique des religions
pour contrer le « laïcisme », ce qui tend à réduire la laïcité à la
liberté religieuse. Elle est le pendant, l’inverse de la laïcité
antireligieuse. On en trouve des traces dans le fumeux discours de
Latran quand un Président de la République reconnaissait une plus grande
valeur à la morale catholique qu’à la morale laïque dispensée à l’école...
La laïcité identitaire, concept défendu par une partie de la droite et
de l’extrême-droite. Elle défend les racines « judéo-chrétiennes » et
surtout « chrétiennes », de la France : au nom de la laïcité, tout ce
qui n’est pas issu d’elles doit être banni ou du moins fortement encadré
dans la cité. De fait, on fait plus que tolérer le bouddhisme qui n’a
rien de judéo-chrétien mais on exclue totalement l’islam qui est aussi
d’origine judéo-chrétienne. C’est au nom de cette conception de la
laïcité que l’on refuse les menus de substitution dans certaines
cantines. C’est une conception très attentatoire à la liberté de penser
et à la liberté religieuse, qui viole la neutralité de l’État, puisque
ses partisans revendiquent des droits et des devoirs différents suivant
les croyances des citoyens.
La laïcité concordataire est marginale puisqu’elle ne concerne que trois
départements (la Moselle et les deux alsaciens), mais aussi certains DOM
TOM comme Mayotte, Wallis et Futuna ou la Guyane.
Comme le souligne Jean Baubérot, la France, sans le dire, sait faire du
cas par cas, et que « la laïcité à la française parfois vue à l’étranger
comme une arme de guerre contre les religions, ne correspond pas à la
réalité ».
Pour l’auteur ces 7 conceptions de la laïcité s’articulent de façon
variable autour de 4 concepts fondamentaux, tous aussi importants les
uns que les autres : la liberté de conscience et de religion, l’égalité
des droits, la séparation du politique et du religieux, la neutralité du
l’État. La laïcité est plus qu’un compromis entre ces concepts c’est un
équilibre pour que l’un ne « domine », n’exclut pas un ou des autres. Ce
qui est fondamental c’est l’égalité des droits (et des devoirs) entre
croyants et incroyants mais aussi entre les croyants de chaque religion.
Jean Baubérot conclut en se faisant le chantre de la Ligue de
l’Enseignement qui prône un véritable « aggiornamento » en faveur d’une
laïcité plurielle et multiculturelle.
Il apparaît que les débats qui eurent lieu en 1905, sont toujours
d’actualité. L’intelligence du législateur de cette époque fut de
promulguer une loi qui ne heurtait pas les catholiques. Il est
important, que plus d’un siècle après, la laïcité ne soit pas perçue
comme une arme pour exclure la seconde religion de France de la
communauté nationale. Ce travail de sociologue et d’historien ne fait
que nous le rappeler, il doit devenir la « Bible » de tous ceux qui
s’expriment à tort et à travers sur la laïcité sans s’apercevoir de leur
manque d’originalité et des dangers réels qu’ils font courir aux
libertés publiques et surtout à la la cohésion sociale.
Pierre de Restigné
Les 7 laïcités françaises
Jean Baubérot
Édition de la Maison des Sciences de l’Homme. 12€
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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