[Laicite-info] « Gare aux laïcards extrémistes »
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Jeu 21 Jan 10:51:38 CET 2016
« Gare aux laïcards extrémistes »
Publié par : LE MONDE
Le : 20.01.2016
Par : Jean Baubérot
************************
Une violente mise en cause de l’Observatoire de la laïcité s’effectue
depuis quelques jours. Elle a franchi un nouveau palier avec Manuel
Valls, prétendant que cet organisme n’avait pas le droit de signer un
appel contre Daech [acronyme arabe de l’organisation Etat islamique],
comportant certains signataires qui déplaisent au premier ministre.
Il ne s’agit en rien d’un conflit entre partisans d’une « laïcité molle
» et d’une « laïcité dure ». A ceux qui en douteraient, la vigoureuse
défense de l’Observatoire par la Fédération nationale de la Libre-Pensée
le prouve. La Libre-Pensée critique certaines positions prises par
l’Observatoire. Mais elle estime cela « normal dans un débat
démocratique ». Elle trouve, en revanche, « inacceptables » les
attaques contre cet organisme et dénonce les « conceptions liberticides
» d’« Inquisiteurs d’un temps nouveau ».
La loi de 1905, “ loi de liberté ” selon Aristide Briand, constitue une
rupture avec le gallicanisme
En fait, la polémique actuelle s’enracine dans une controverse ancienne.
C’est Jacques Chirac qui décida de créer un Observatoire de la laïcité,
mais celui-ci ne vit pas le jour et deux organismes représentèrent des
conceptions divergentes de la laïcité : d’un côté la Haute Autorité de
lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), qui veilla à
ce que la loi de 2004 interdisant les signes ostensibles à l’école
publique ne déborde pas son objet ; de l’autre, le Haut Conseil à
l’intégration (HCI), dont l’historique de la laïcité (2007) comporte
onze erreurs, souvent grossières, qui ne s’expliquent que par sa volonté
de relier étroitement laïcité et gallicanisme, politique séculaire des
rois de France. Celui-ci contrôle la religion, réprime celle qu’il
estime mauvaise, protège celle qu’il considère comme bonne.
Remise sur des rails non discriminatoires
Avec Nicolas Sarkozy, la Halde fut normalisée puis supprimée, le HCI
devint le conseiller du prince. Il continua à énoncer des
contre-vérités. Ainsi, il prétendit que la loi de séparation des Eglises
et de l’Etat (1905) comporte un « vide juridique » concernant les
manifestations religieuses dans l’espace public, alors qu’il s’est agi
d’un choix : les parlementaires ont refusé les amendements qui les
limitaient. D’une manière générale, comme l’a montré l’historien Emile
Poulat, la loi de 1905, « loi de liberté » selon Aristide Briand,
constitue une rupture avec le gallicanisme. Cependant, un courant
gallican a continué à exister dans le camp laïque.
Avec François Hollande, l’Observatoire de la laïcité fut véritablement
créé et le HCI supprimé. Cependant, l’ex-HCI publia, à l’été 2013, un
avis. Il voulait étendre l’interdiction des signes religieux ostensibles
à l’enseignement supérieur, faisant peu de cas des franchises
universitaires. Cet avis montre que, dès la création de l’Observatoire,
certains souhaitent le parasiter. Or, le remplacement du HCI par
l’Observatoire a une signification très claire, celle de considérer la
laïcité comme s’appliquant à tous. Même s’il avait été moins ignare, le
HCI symbolisait la réduction de la laïcité aux « problèmes » de
l’immigration, en lien avec l’instauration d’un ministère de l’identité
nationale. Ainsi, il aurait été incongru que le HCI se saisisse de la
question du droit spécifique de l’Alsace-Moselle, ce qu’a fait
l’Observatoire. Il faut donc rendre cette justice à François Hollande :
il a remis la laïcité sur des rails non discriminatoires.
Apologie de l’obscurantisme
Depuis longtemps donc, des personnes, qui se prétendent partisans de la
loi de séparation, mais sont en fait des gallicans républicains, rongent
leur frein, n’ont jamais véritablement accepté la légitimité de
l’Observatoire. Un tweet pointant les raccourcis d’Elisabeth Badinter
posté par le rapporteur de l’Observatoire de la laïcité sur son compte
personnel a déclenché l’hallali.
Si on examine un peu froidement les choses, la situation devrait
paraître ridicule : la liberté d’expression serait quasi absolue quand
il s’agit de Charlie Hebdo et autres, critiquer Mme Badinter reviendrait
à blasphémer contre la République ! Mais quand il s’agit de laïcité,
certains deviennent fondamentalistes et défendent le premier degré
contre toute démarche de connaissance. La position que vient de prendre
Manuel Valls face à l’Observatoire est dans la logique de celle où,
refusant toute démarche de sciences humaines et sociales, il s’est
récemment livré, sans doute à son insu, à une apologie de l’obscurantisme.
Là est l’enjeu premier de cette disputatio. Certains, au nom de
convictions laïques prétendues, s’autorisent à récuser tout savoir sur
la laïcité. Les avis de l’Observatoire reposent pourtant sur une analyse
minutieuse de la loi de 1905, et la double rupture qu’elle a représentée
: face à toute officialité de la religion, face au gallicanisme que
mettait en œuvre Emile Combes. Alors bien sûr, de la connaissance à la
prise de position, il y a toujours un écart et donc un espace pour la
discussion. Mais nous avons, plus que jamais, besoin de cette laïcité
qui, en 1905, dans une situation de quasi-guerre civile, a permis un
rapide apaisement.
Pour une laïcité rassembleuse
Nous avons besoin d’une laïcité rassembleuse face à l’extrémisme de
Daech. Or, face à l’importante augmentation d’actes antimusulmans,
vouloir mettre ceux qui sont engagés dans le combat contre la haine
anti-islam, quels que soient les désaccords que l’on peut avoir avec
eux, hors du pacte républicain constitue une faute énorme, un acte
totalement contre-productif dont le premier ministre sera comptable
devant l’Histoire.
C’est également un très mauvais service rendu aux Français juifs, dont
la situation douloureuse actuelle mérite une amitié plus intelligente.
D’abord parce que prôner une laïcité dite « intransigeante » (pour
reprendre une expression de Valls) qui, contrairement à 1905, ne limite
pas la neutralité religieuse à la puissance publique, atteint forcément
les juifs. Ainsi la terrible agression de Marseille contre un enseignant
juif le 11 janvier s’est-elle transformée, dans certains médias, en
débat sur le droit de porter la kippa dans l’espace public. Quelle
perversion ! Ensuite, parce que le meilleur, et le seul juste moyen de
combattre l’antisémitisme est de lutter contre toutes les haines, et non
de tenir des discours déséquilibrés. Briand demandait une « laïcité de
sang-froid », cette exigence est toujours d’actualité.
Jean Baubérot, spécialiste de la laïcité, est l’ancien titulaire de la
chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des
hautes études. Il est notamment l’auteur de Les Sept Laïcités françaises
(Maison des sciences de l’Homme, 2015).
--
-----------------------
Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
Mel : denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
-----------------------
Nos sites :
http://www.laligue-alpesdusud.org
http://www.laligue-alpesdusud.org/associatifs_leblog
-----------------------
Plus d'informations sur la liste de diffusion Laicite-info