[Laicite-info] Jean-Michel Lecomte > Non, la laïcité ne peut pas être islamophobe
Denis Lebioda
denis.lebioda at laligue-alpesdusud.org
Mar 26 Jan 13:02:57 CET 2016
Non, la laïcité ne peut pas être islamophobe
Publié par : Le Monde.fr
Le : 26.01.2016
Par : Jean-Michel Lecomte
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Voici le débat laïque relancé, et de la pire des façons qui soit, pourvu
d’un mot étendard, l’islamophobie, et d’un enjeu, l’avenir du
remarquable travail conduit par l’Observatoire de la laïcité sous la
présidence de Jean-Louis Bianco. Le débat s’est noué autour des propos
tenus par Elisabeth Badinter interrogée sur une radio publique et qui
affirmait qu’il convenait de « défendre la laïcité sans avoir peur
d’être traité d’islamophobe ».
La rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité, réagissait, sans
mentionner ni la phrase prononcée, ni son auteur, en publiant un tweet
dans lequel il soulignait que quelques mots prononcés à une heure de
grande écoute pouvaient ruiner trois ans de patient travail pédagogique.
Trois des membres de l’Observatoire publiaient alors une tribune, un
rien méprisante, dans laquelle ils prenaient à partie le rapporteur de
l’Observatoire l’accusant d’une sorte de crime de « lèse philosophe ».
Le premier ministre décidait de relayer la polémique lors d’un discours
prononcé devant les amis du Conseil représentatif des institutions
juives de France (CRIF), reprenant à son compte les propos d’Elisabeth
Badinter et adressant une sèche remontrance au président de
l’Observatoire de laïcité et aux travaux conduits par cette autorité,
placée, certes, auprès de lui, mais doté de l’indépendance nécessaire à
l’exécution de ses missions.
Contrairement à ce que laissent supposer tant ceux qui contestent les
travaux conduits par l’Observatoire de la laïcité que le premier
ministre, il n’y a pas deux laïcités, mais bien une seule, tout entière
résumée dans les deux premiers articles de la loi du 9 décembre 1905.
Elle repose sur la neutralité confessionnelle de l’Etat et sur la
garantie de la liberté de conscience associée à la liberté pour chacun
de pratiquer le culte de son choix, voire de n’en pratiquer aucun ou
d’en changer, sous les seules réserves de l’ordre public
démocratiquement défini. Il est aussi certain qu’un tel cadre juridique
n’aurait pu être construit puis mis en œuvre sans le souci constant de
faire de la laïcité un instrument d’affranchissement et d’émancipation.
L’arbitrage politique opéré en 1905 au profit d’une loi de liberté
contre une stratégie de caporalisation des consciences conserve,
aujourd’hui, toute sa pertinence
L’islam et les musulmans ne réclament ni plus d’honneur, ni ne méritent
plus d’indignité que les autres croyances ou les fidèles d’autres
religions. Comme tous les citoyens ils sont soumis à la loi commune.
Faut-il cependant considérer, au motif qu’un certain nombre de criminels
assassinent ici par haine de la liberté d’expression, de la démocratie
ou ailleurs réduisent des hommes et des femmes à une soumission
totalitaire par mépris pour la dignité humaine, en se prévalant d’une
lecture politique insupportablement rétrograde de l’islam dont ils font
la justification de leurs crimes, que les musulmans dans leur ensemble
devraient être tenus pour comptables de leurs dérives ?
Au-delà du fait qu’ils sont les principales victimes de ces dérives
criminelles, le danger d’articuler le propos autour du concept
d’islamophobie conduit à une essentialisation de l’islam et des
musulmans comme la pratique, depuis des années, l’extrême droite qui, on
l’aura noté, conserve un silence gourmand sur le débat qui vient d’être
ouvert.
Certes, il ne s’agit pas de taire les dérives idéologiques, ni les
stratégies de radicalisation se prévalant de l’islam qui nourrissent ces
projets criminels, ni les ambiguïtés d’une diplomatie qui continue de
faire la part belle aux Etats qui les financent ou favorisent leur
financement. Il ne s’agit pas non plus de réduire à de rapides
explications sociologiques la compréhension de ces dérives ou de ces
processus. Mais, à tout le moins, peut-on faire l’économie du sentiment
que la réponse résiderait dans la construction d’un ordre public réduit
à la fonction d’assurer la sauvegarde d’une identité nationale refermée
sur elle-même, exclusive de toute influence qui la viendrait pervertir,
hostile à toute immigration ou à toute singularité cultuelle ou
cultuelle qui ne ferait pas acte de capitulation devant son propre récit.
La tâche est difficile, elle est faite d’explication, elle impose la
mise en œuvre d’une stratégie émancipatrice, elle exige une attention
sans cesse renouvelée à lutter contre les discriminations, vécues ou
ressenties. Elle ne peut être conduite que débarrassée des commodités
essentialisatrices qui ne rassurent que ceux qui y recourent.
C’est à cette tâche d’éducation, d’élucidation et de compréhension que
s’est attaché l’Observatoire de la laïcité. En ces temps de crispation
un tel travail mérite d’être poursuivi, hors des polémiques inutiles et
des procès d’intention.
Jean-Michel Lecomte est vice-président de la Ligue de l’enseignement
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Denis Lebioda
Chargé de mission
Ligue de l'enseignement dans les Alpes du Sud
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